Vaccination

Une concertation citoyenne à double tranchant

Publié le 08/02/2016
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Alors qu’une cyber-concertation citoyenne sur la vaccination devrait débuter en mars, l’Académie de médecine s’inquiète de la place que pourraient y prendre les anti-vaccinaux, très virulents sur le Web.
L’Académie de médecine va proposer de remplacer le terme d’obligation par celui d’exigibilité...

L’Académie de médecine va proposer de remplacer le terme d’obligation par celui d’exigibilité...
Crédit photo : phanie

Le 12 janvier dernier, Marisol Touraine a annoncé la tenue d’une grande concertation nationale au sujet la vaccination.

En mars, une plateforme Web recueillera les avis de tous ceux qui le souhaitent : citoyens, professionnels, associations, institutions. En mai, ces contributions seront analysées par un jury de citoyens, de professionnels de santé et d’experts scientifiques. Enfin, en octobre, l’ensemble du travail sera rendu public et servira de base pour une évolution de la politique vaccinale.

Cependant, l’Académie de médecine s’interroge déjà sur le futur contenu de cette politique vaccinale et s’inquiète de la tournure que pourrait prendre la concertation citoyenne.

Le lobby des anti-vaccinaux

« Nous redoutons des débats houleux », avance le Pr Pierre Bégué, président de l’Académie nationale de médecine, lors d’une séance dédiée à la vaccination le 2 février. Plus précisément, l’Académie craint que ce débat citoyen soit monopolisé par la minorité d’anti-vaccinaux. « Même s’ils ne représentent que 2 % à peine de la population, les médias, Internet et les réseaux sociaux leur permettent de décupler leurs moyens de diffusion et de faire pression sur les personnes d’autant plus indécises qu’elles sont mal informées », avancent les académiciens.

Désormais, les Français devenus hésitants au sujet de la vaccination représentent 15 à 20 % de la population. Et l’obligation vaccinale fait de plus en plus débat dans une société devenue contestataire.

Pour la ministre de la Santé qui s’est exprimée lors de cette séance académique, « la concertation permettra d’avancer sur la coexistence de vaccins obligatoires et recommandés, qui peut nuire à la lisibilité de la politique de vaccination et contribuer à alimenter le doute. Cette différenciation relève d’un héritage historique et ne semble cohérente ni sur le plan épidémiologique, ni sur celui des objectifs poursuivis ».

Exiger au lieu d’obliger

L’Académie partage ce souhait de lever les ambiguïtés entre obligation et recommandation vaccinale. Et le discours des sages s’oriente plutôt vers renforcement des devoirs vaccinaux, étant donné que la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite ne sont pas les seules maladies contre lesquelles il est important de se protéger aujourd’hui.

« Nous proposons, de remplacer le terme obligation, qui passe mal aujourd’hui dans notre société, par celui d’exigibilité vaccinale »
, avance Pierre Bégué. Autrement dit, il n’y aurait plus seulement trois vaccins obligatoires (diphtérie, tétanos et poliomyélite) mais une liste élargie de vaccins exigibles à l’entrée en collectivité (crèche, école, université), pour certaines professions (médicales, militaires) ou dans certaines situations (voyages, épidémies, etc.). Notamment les vaccinations DTP, mais aussi celles contre l’hépatite B, la coqueluche, ou l’hæmophilus influenzae deviendraient une condition sine qua non pour que les enfants et les adolescents entrent en collectivité.

Toutefois cette stratégie fait émerger un nouveau danger : celui de voir fleurir des écoles pour les enfants non vaccinés, comme cela est le cas aux Pays-Bas ou aux États-Unis. Avec les risques d’épidémies qui en découlent : c’est à partir de ces écoles qu’ont flambé, aux États-Unis, une épidémie de rougeole, et, en Hollande, une épidémie de poliomyélite.

Par ailleurs, le président de l’Académie insiste sur l’importance de renforcer la formation des professionnels de santé sur la vaccination. « Lorsqu’une personne entend le discours des anti-vaccinaux, dont le lobbying est puissant, elle devient hésitante face à la vaccination. Si lorsqu’elle interroge son médecin, ce dernier ne sait pas répondre, elle hésitera encore plus », relève-t-il. La formation et l’information sont donc primordiales pour lutter contre les idées reçues.

Charlotte Demarti

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3238
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