La vente en ligne n’est plus l’eldorado qu’elle promettait il y a encore peu de temps. Les pharmacies qui s’y sont essayées en sont revenues : ce n’est pas rentable, ou rarement, et difficile à gérer. Et pourtant, il semble plus que jamais indispensable d’être présent sur Internet autrement que par le biais de sites vitrines.
Cette présence sur la Toile, aussi indispensable qu’on se plaît à le dire, déroute de nombreux pharmaciens qui balaient souvent le sujet d’un revers de la main en affirmant qu’ils n’en ont pas besoin, que ce n’est pas leur métier. Sur ce dernier point, ils ont raison, c’est un métier technique, chronophage, et c’est coûteux : un site créé en nom propre peut coûter des milliers d’euros, des dizaines de milliers quand il s’agit d’un site de vente en ligne.
Pourtant, l’offre s’organise pour apporter des solutions mutualisées qui permettent d’être présent sur Internet à moindre frais et sans que le pharmacien y ait à consacrer trop de temps. Des solutions construites sur un socle commun, une industrialisation des sites Web en quelque sorte, assortie d’une relative personnalisation. Aujourd’hui, il est possible d’utiliser le Web le plus intelligemment possible dans de bonnes conditions.
Un cadre réglementaire incertain
Mais pour quoi faire ? De la vente en ligne, assurément, puisqu’il existe des « places de marché », des sites Web sur le modèle d’Amazon où l’internaute vient acheter des produits provenant de diverses pharmacies qui auront accepté d’être leurs partenaires. Ledit site s’occupe de tout, le pharmacien n’a plus qu’à gérer la commande.
La naissance de ces places de marché n’a pas été des plus simples. 1001pharmacies.com, la première et aujourd’hui la plus connue, est arrivée dans un contexte difficile, en 2012, avant l’arrêté des bonnes pratiques en 2013 et son annulation par le Conseil d’État l’année suivante. L’hostilité du conseil de l’Ordre, les batailles judiciaires qui ont suivi ont émaillé l’actualité de la vente en ligne des pharmacies.
Aujourd’hui, seule l’ordonnance de 2012 précisant les responsabilités des pharmaciens constitue la base juridique sur laquelle il est possible de se lancer dans l’aventure de la vente en ligne, laissant un champ plus ouvert désormais. D’autres initiatives ont suivi, notamment celle de Doctipharma, une émanation du célèbre site Doctissimo, propriété du groupe Lagardère.
Une arrivée qui elle aussi a suscité la méfiance de nombreux pharmaciens. « C’est vrai qu’ils sont moins enthousiastes que ce que l’on aurait pu penser au départ », admet Stéphanie Barré, directrice générale de Doctipharma. « Peut-être la peur de ne pas être assez compétitifs. Ce n’est pourtant pas le meilleur prix qui est décisif, l’important est d’avoir un référencement large, des produits de niche et de bons prix », estime-t-elle.
La place de marché, ouverte au printemps 2014, a proposé dans un premier temps uniquement de la parapharmacie, et ensuite de l’OTC à toutes les pharmacies autorisées à en vendre sur Internet. Elle référence les produits de la Banque Claude Bernard, une des plus larges bases de données de médicaments en France et travaille de concert avec ses pharmacies partenaires pour affiner le référencement. Le rôle du pharmacien va être de gérer la commande, et notamment de décider si oui ou non il va l’accepter, apanage essentiel du rôle du pharmacien, rappelle Stéphanie Barré.
Y aller par étapes
Une autre place de marché, Pharmarket, propose un modèle un peu différent. « Nous avons un site Internet avec un catalogue dans lequel les internautes peuvent choisir leurs achats, mais c’est sur le site de la pharmacie que la commande se fait », explique Nicolas Métairie, fondateur et président de l’entreprise.
Une façon de répondre à la critique selon laquelle la notoriété consécutive au trafic généré par les pharmacies sur une place de marché bénéficie à cette dernière et non à ses partenaires officines. L’aspect métier est valorisé par Pharmarket, tient à préciser son président. « Les conseils sont mis en valeur par les sites clé en main que nous leur proposons », souligne Nicolas Métairie.
« Par ailleurs, lors de chaque commande, le pharmacien peut contrôler si la même commande n’a pas déjà été effectuée auprès d’un autre partenaire de notre place de marché, un peu sur le modèle du DP » Une précaution qui ne vaut bien sûr que si l’internaute a fait cet achat sur Pharmarket et non auprès d’un autre site de vente en ligne.
« L’avantage d’une plateforme de vente en ligne mutualisée est de permettre aux pharmaciens d’y aller par étapes », ajoute Nicolas Métairie. « Les titulaires commencent par voir un peu comment ça se passe, observent le niveau des commandes, s’organisent et mettent petit à petit les ressources adéquates. »
Le concept de « Web to store »
L’usage des places de marché n’est cependant pas la panacée, et ne permet pas toujours d’atteindre l’objectif de ventes et de visibilité sur la Toile souhaité par les pharmaciens. Or, la mutualisation ne concerne pas seulement la vente en ligne, d’autres services sont proposés qui ont tous pour principe commun de faire en sorte que les internautes identifient et suivent une ou plusieurs officines données afin qu’ensuite ils aillent dans l’espace physique y faire ce qu’ils ont à y faire, armés des informations qu’ils auront recueillies.
C’est le concept de « Web to store » défendu par de nombreux prestataires, y compris par les places de marché elles-mêmes, à l’image de Doctipharma qui prévoit de nouveaux services destinés à « amener les patients dans l’officine », selon Stéphanie Barré. Le premier de ces services qui se développe beaucoup actuellement est ce que l’on appelle le « click & collect », la possibilité donnée aux patients d’envoyer leur ordonnance par Internet afin qu’elles soient préparées par leur pharmacien.
L’avantage pour eux est de ne se rendre à la pharmacie qu’une seule fois pour une ordonnance. Compte tenu des nombreuses ruptures liées à la gestion des stocks en flux tendus, ils sont souvent forcés d’y revenir. Autre point positif, il aura consulté auparavant d’autres éléments proposés par le site de la pharmacie et viendra avec d’autres idées en tête.
« Souvent le client ou le patient n’a pas le temps de tout bien regarder dans l’officine, il est pressé, tandis que chez lui, il dispose de ce temps pour se renseigner tranquillement », explique Samuel Mottin, co fondateur de Pharmanity, une plateforme de mutualisation de services Web. Une façon indirecte de développer le panier moyen.
Néanmoins, cette prestation nécessite que le pharmacien en informe sa clientèle, un effort pas si évident à faire. Les prestataires prévoient différents outils pour les aider, comme par exemple cette carte de visite sur laquelle a été imprimé un QR Code, proposé par Gulliver.com. Une aide il est vrai un peu particulière puisque l’application conçue par cette société spécialisée dans la création de sites Internet la propose exclusivement sur smartphones.
« 60 % des internautes ont accès au Web par le biais des mobiles », justifie Frédéric Lemann, gérant de la marque Gulliver.com. Cette application mobile fonctionne sur le même principe de la mutualisation des services pour créer des sites Internet, un socle commun qui laisse une certaine marge pour l’adaptation du logo et des couleurs afin de personnaliser l’application aux couleurs de l’officine. « Cette application s’adresse aux clients de proximité des officines », précise Frédéric Lemann. Proximité, un mot qui revient souvent dans la bouche des prestataires.
Le click & collect s’accompagne parfois d’une fonctionnalité de géolocalisation, c’est ce que proposent notamment les plateformes Pharmanity et Unooc (voir « Le Quotidien du Pharmacien » du 9 novembre 2015). L’internaute commence par vouloir localiser une officine en recherchant un produit précis ou un prix.
Un lien direct au LGO de l’officine permet ainsi d’accéder à une information mise à jour, un affichage nuancé par diverses techniques permet cependant de ne sélectionner que les prix considérés comme compétitifs par les pharmaciens. Outre la nécessité de prévoir un comptoir dédié afin de faciliter l’accès aux personnes ayant recours à ce système de clock & collect, il est utile de rappeler que ce type de fonctionnalité ne dispense pas les équipes officinales d’apporter le conseil inhérent à toute délivrance.
L’erreur serait d’apporter certes un service pour le patient dans une vision qui le conforterait « que le pharmacien n’est jamais qu’un épicier », selon les mots de Philippe Duperray, directeur associé d’Atelier Presse Media (APM), spécialiste de la création de sites de santé. La proximité, ça va avec le conseil et c’est bien là la perspective ouverte par le Web to store.
Et maintenant les réseaux sociaux
Les prestataires spécialisés dans la création de sites Web, mutualisés ou pas, explorent encore d’autres pistes pour aider les pharmaciens à apporter encore du service. Medprice par exemple va prochainement lancer une sorte d’annuaire enrichi, lespharmaciens.net, qui fournit toutes les informations détaillées sur une officine, au-delà des renseignements de base : « cela permettra notamment à toutes les pharmacies disposant de spécialités fortes de se faire connaître », explique Ghislain Vanlaer, gérant de la société, créatrice de sites Internet.
L’inscription à cet annuaire sera gratuite, un outil qui « ne représente pas un enjeu économique » pour Medprice. Mais un atout supplémentaire pour aider ses clients à avoir plus de visibilité sur la Toile. Autre démarche, cette fois assurée par APM, la création d’une page facebook pour toute pharmacie possédant un site Web, ou sur le point de l’avoir.
Certains prestataires lorgnent en effet sur les réseaux sociaux pour apporter une autre façon de communiquer, et APM est l’un des tout premiers à proposer une page facebook, co-gérée par APM et le titulaire selon les termes de Philippe Duperray. APM, dans son approche mutualisée de création de sites Web, a l’habitude de gérer tout ou partie du contenu des sites de ses clients. Il préconise une information plus ponctuelle, plus quotidienne, pratique, sur le célèbre réseau social.
« Nous sommes arrivés à un stade où nous souhaitons que les pharmaciens communiquent désormais un peu plus, ce qui est toujours un peu difficile pour eux de le faire sur leur propre site », déclare Philippe Duperray. Le Web to store n’en est qu’à ses débuts. « On n’a encore rien vu », prédit Ghislain Vanlaer.
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