Considéré par ses ennemis – souvent envieux – comme obsolète, excessivement contraignant et bridant l’économie, le monopole pharmaceutique a été maintes fois menacé au cours des ans. Dans les années quatre-vingt, l’enseigne E.Leclerc attaque la première en ouvrant des rayons de parapharmacie dans ses magasins. En 1987, le Conseil de la concurrence l’autorise à vendre des produits d’hygiène et cosmétiques jusqu’ici réservés aux pharmacies et en 1989, la Cour d’appel de Paris interdit aux laboratoires de ne vendre leurs produits cosmétiques qu’en officine. E.Leclerc obtient aussi, en 1986, l’autorisation de vendre de la vitamine C. Premiers coups de canifs dans le monopole.
En 1989, la Cour d’appel de Paris interdit aux laboratoires de ne vendre leurs produits cosmétiques qu’en officine
La création d’un espace commun européen, avec ses envies de libéralisme et ses directives de dérégulation de marchés, met un coup de pression supplémentaire sur la pharmacie « à la française », plus protectrice que dans les autres États membres. Les menaces sur tous les piliers arrivent ensuite de toute part, y compris des institutions nationales. Entre 2007 et 2008, les pharmaciens ont ainsi essuyé coup sur coup le rapport Beigbeder – qui propose d’ouvrir le marché du médicament sans ordonnance aux opérateurs « low cost » – le rapport Rochefort – qui veut autoriser la vente de produits pharmaceutiques courants dans certains petits commerces de quartier après « une courte formation auprès d'un pharmacien référent » – et le rapport Attali, favorable aux délégations de tâches mais qui veut sortir les médicaments sans ordonnance du monopole, abolir les règles d’installation ou ouvrir le capital à des tiers. En 2007, la Commission européenne met en demeure la France parce qu’avec ses règles strictes de propriété des officines, elle entraverait « la liberté d'établissement et de circulation des capitaux ».
Au nom du pouvoir d’achat
La Loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite Loi Hamon, crée une autre brèche dans le monopole en autorisant notamment la vente des tests de grossesse et d’ovulation en grande surface. Michel-Edouard Leclerc, qui zyeute le marché du médicament depuis des années, prétend alors que les médicaments sans ordonnance pourraient « être vendus 20 à 25 % moins chers » dans ses parapharmacies. Il ne cessera sa propagande pour que ses « docteurs en pharmacie » puissent vendre des médicaments.
Les médicaments sans ordonnance pourraient être vendus 20 à 25 % moins chers dans les parapharmacies du groupe Leclerc
Michel-Edouard Leclerc
Toujours en 2014, le gouvernement s’inspire d’un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) écrit par un certain Richard Ferrand (« Professions réglementées : pour une nouvelle jeunesse »), pour rédiger son projet de loi pour la croissance et le pouvoir d'achat, visant notamment à assouplir la composition du capital des officines et à autoriser la vente des médicaments à prescription facultative en grandes surfaces. Le projet de réforme poussera massivement les pharmaciens à la grève le 30 septembre. « Ils ne comprennent pas la remise en cause des règles fondamentales d'organisation de la pharmacie française, performante, y compris du point de vue des prix des médicaments non remboursables, évolutive et dotée d'une bonne capacité de réponse aux défis de son temps, comme l'absence de médicaments falsifiés. Ces règles ont permis par ailleurs d'assurer la sécurité du public et l'égalité d'accès aux médicaments sur le territoire », écrivait alors l’Ordre des pharmaciens.
Vente en ligne et financiarisation : les nouvelles menaces
Dix ans plus tard, en mai 2024, les pharmaciens sont massivement redescendus dans la rue pour protester contre les fermetures d’officines, qui s’accélèrent, les ruptures de stocks de médicaments, devenues ingérables, la perte d’attractivité du métier, l’absence de réforme dans leurs études et contre la menace de dérégulation des règles de vente en ligne, commanditée par le Premier ministre d’alors, Gabriel Attal, encore une fois pour faire baisser le prix des médicaments. En 2024, les autorités décideront aussi de sortir du monopole les produits de contraste, qui peuvent être remis directement par le radiologue.
Mais la profession n’a pas besoin de ça pour tanguer. La désertification médicale rend difficile la situation de plus en plus d’officines. Les prix des médicaments baissent. Les ogres de la financiarisation ont investi la biologie médicale et, de plus en plus, l’officine, mettant à mal l’indépendance. Un rapport du Sénat tire le signal d’alarme en septembre 2024.
Reste que la profession est agile et s’est adaptée. Dès 2007, l’Ordre a développé, seul, le dossier pharmaceutique (DP) dont le potentiel est régulièrement salué par les autorités. Il a inspiré le DMP et, avec les services DP-Ruptures, DP-Alertes, DP-Rappels…, il est aujourd’hui également utilisé pour sécuriser la chaîne d’approvisionnement du médicament. C’est seule aussi que la profession s’est regroupée et organisée pour faire front contre la dérégulation de la vente en ligne de médicaments, avec la construction du portail de services et d’e-commerce « Ma pharmacie en France ».
Pour faire baisser les prix, les pharmaciens ont accepté, en 2008, la mise en place de l’accès direct pour les médicaments de médication officinale, voulue par la ministre de la Santé de l’époque, Roselyne Bachelot.
Enfin, la convention pharmaceutique signée en 2012 avec l’assurance-maladie a été un tournant dans l’exercice de la profession. Elle introduit les honoraires de dispensation et les ROSP (rémunérations sur objectifs de santé publique), et modifie le mode de rémunération qui tend désormais à être décorrélé des volumes. Elle introduit aussi de nouvelles missions (accompagnements AVK, asthme), dont la liste ne cessera de s’allonger.
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