Vision prospective

Dix personnalités du monde officinal imaginent la pharmacie millésime 2065

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Publié le 22/05/2025
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À quoi ressemblera le métier de pharmacien d’officine en 2065 ? Les pharmacies telles qu’on les connaît existeront-elles encore ? Dix personnalités du monde officinal partagent avec nous leur vision de l’avenir, optimiste mais lucide.

Carine Wolf Thal, présidente du CNOP
L’intérêt des patients et de la santé publique est notre boussole

Comme ils l’ont toujours fait, les pharmaciens s’adapteront aux enjeux sanitaires. La prévention et le premier recours seront des missions clés dans les prochaines décennies. Tant que l’intérêt des patients et de la santé publique sera notre boussole, nous resterons cette profession respectée et indispensable dans le système de santé. Pour autant, de nombreux défis nous attendent : conserver une formation solide tout en l’adaptant, s’approprier les nouvelles technologies pour un pharmacien augmenté mais jamais remplacé, et conserver un écosystème sécurisé pour assurer un bon usage du médicament. Le monopole pharmaceutique, l’indépendance professionnelle et la démarche qualité sont les garanties de cette sécurité et de la confiance accordée aux pharmaciens. Concernant les Ordres professionnels, ils continueront de porter haut et fort ces valeurs auprès des pouvoirs publics mais ils pourraient évoluer dans leur fonctionnement, en intégrant par exemple les usagers de santé.


Alain Grollaud, président de Federgy
Anticiper pour en maîtriser l’évolution

Les pharmaciens ont pris conscience de leurs forces depuis la pandémie de Covid. En 2025, ils sont plus professionnels de santé que commerçants et s’affirment dans le parcours de soin. Cette dynamique devrait continuer, avec néanmoins des inconnues de taille : comment va évoluer la réglementation ? Quel financement pour les officines de demain ? Comment répondre aux futurs besoins des patients et de la population ? Nous n’avons pas encore les réponses mais nous devons les anticiper pour maîtriser l’avenir de notre métier. C’est dans cet objectif que Federgy propose le portail de service « ma pharmacie en France », à destination des pharmaciens comme des patients. Quant aux groupements, je suis certain qu’ils prendront de plus en plus d’importance car ils contribuent à protéger les pharmacies sur l’ensemble du territoire.

Laurent Filoche, président de l’UGDPO
L’humain au cœur de la relation

Dans quarante ans, la relation humaine sera toujours le point fort de la pharmacie. Cette pharmacie du futur sera un véritable hub de santé ambulatoire, un espace pour orienter les patients dans un système de santé de plus en plus complexe. Avec l’intelligence artificielle, la médecine prédictive et personnalisée permettra de soigner la plupart des maladies organiques. Mais le parent pauvre restera la santé mentale. D’où la nécessité de conserver et de renforcer le lien entre le pharmacien et le patient, dans les officines. Concernant le monopole pharmaceutique, je reste optimiste. Un système de régulation efficace sera d’autant plus nécessaire demain pour exploiter au mieux les nouvelles technologies et éviter des dérives. Il serait dangereux de laisser s’installer un oligopole dans le secteur du médicament.

David Syr, directeur du Gers Data
La prévention et l’adhésion en ligne de mire

En 2065, la pharmacie d’officine existera toujours, mais sous une forme différente de celle qu’on connaît. Elle sera mixte, à la fois physique et virtuelle, tout en conservant sa capacité à interagir de manière fluide et intuitive. Le métier se concentrera sur la prévention et l’adhésion thérapeutique, alors que des nouveaux traitements auront invisibilisé de nombreuses maladies. Pour cela, il y aura de plus en plus d’entretiens normés. Quant au monopole sur le médicament, il perdurera si la pharmacie réussit à transformer l’image d’un monopole privilège en un monopole sociétal, c’est-à-dire à démontrer la valeur ajoutée de ce système monopolistique pour la population. Cela impose de mesurer, dès à présent, l’impact de l’intervention du pharmacien sur les économies générées. La pharmacie est maîtresse de son destin : l’avenir est entre les mains des pharmaciens.

Ilan Rakotondrainy, président de l’ANEPF
Un expert des thérapeutiques

Dans quarante ans, je serai en fin de carrière ! Le pharmacien aura un rôle central dans le système de soin, en relais et en coordination avec tous les autres professionnels de santé. J’imagine la pharmacie de 2065 comme un centre de santé où, plus que l’expert du médicament, le pharmacien sera l’expert des thérapeutiques. Son intervention permettra d’évaluer les bénéfices et les risques afin de définir la thérapeutique la plus favorable pour le patient. Les études permettront d’acquérir les connaissances nécessaires pour exploiter les nouvelles technologies, notamment l’IA. Je souhaite que le modèle d’études de santé perdure, avec encore plus de formations communes aux diverses filières de santé. Connaître les compétences de chaque métier de la santé, c’est la base de l’interprofessionnalité.

Damien Chamballon, président de l’ANprep
Un préparateur plus autonome en 2065

Avec l’émergence de l’IA, on pourrait craindre la disparition des préparateurs. Les robots seront peut-être capables de lire une ordonnance, de donner les médicaments et d’énumérer les conseils associés, mais aussi perfectionnés soient ils, ils ne remplaceront jamais la relation humaine entre le professionnel et le patient. Le métier de préparateur va évoluer vers plus de technicité et d’accompagnement, dans une démarche de pharmacie clinique. J’imagine même des préparateurs en pratique avancée, autorisés à exercer certaines tâches avec plus d’autonomie. La transformation du métier de préparateur a déjà commencé avec la réforme de la formation. Si nous arrivons à saisir les opportunités, le préparateur de 2065 n’aura rien à voir avec celui de 2025.

Martial Fraysse, membre de l’Académie nationale de pharmacie
Le pharmacien, un humain dans un monde organisé par l'IA

Dans 40 ans, le pharmacien sera un maillon fort de la santé publique. L'intelligence artificielle fera partie de son quotidien pour faciliter toutes les tâches administratives. L’IA permettra d'optimiser l'intervention humaine au service des patients, de se recentrer sur le cœur de métier à savoir la prévention, l'orientation, l'observation et la mise en sécurité des patients. Grâce à l’IA toujours, le pharmacien saura arbitrer des situations complexes en lien avec l'équipe de soin, car l’officine restera le point d'entrée le plus accessible dans le parcours de soins, que ce soit en réel ou en virtuel. Enfin, l'éducation thérapeutique du patient (ETP) permettra d'autonomiser le patient dans la maîtrise de sa pathologie et de son traitement, lequel sera personnalisé.

Laetitia Henin Hible, présidente de PHSQ
Le pharmacien face aux nouvelles menaces sanitaires

En 2065, notre système de santé devra faire face aux nouvelles menaces sanitaires, conséquences des changements climatiques, et au vieillissement de la population. Un vrai défi en termes de financement, avec des conséquences sur l’économie officinale. La prévention sera indispensable parce qu’on ne sera plus capable de financer la prise en charge de toutes les pathologies. Cette prévention passera par les pharmaciens, dans les pharmacies. Peut-être d’ailleurs qu’on appellera ces espaces des centres de santé et de pharmacie. Chaque intervention s’inscrira dans une démarche One Health. À la pharmacie, on pourra faire analyser son environnement, la qualité de l’eau, de l’air… L’impact du médicament et de l’activité pharmaceutique sur l’environnement sera mieux pris en compte. Dans ce nouveau contexte, la qualité sera l’atout majeur pour démontrer la pertinence de l’intervention du pharmacien.

Philippe Besset, président de la FSPF
Demain se prépare aujourd’hui

En 2065, sur Terre ou sur Mars, le pharmacien sera toujours utile à partir du moment où les principes fondamentaux sont respectés : être un professionnel formé aux techniques et aux connaissances scientifiques de l’époque, qui exerce dans un lieu accessible, au service de la population. On a créé ce système il y a mille ans et ça fonctionne. Dans la forme, l’exercice sera certainement différent parce que l’IA va transformer nos métiers de la santé. On peut imaginer que le pharmacien fera davantage de tests ou pourra initier des traitements de prévention. Nous devons d’ores et déjà nous préparer à exploiter ce potentiel technologique. Mais le plus important est de rester en phase avec les besoins de la population. En tant que pharmacien ou en tant que président de syndicat, la projection dans l’avenir a toujours guidé mes choix. Car ce qu’on décide aujourd’hui aura des conséquences demain. On en reparle en 2065…

Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO
Un rôle accru pour le pharmacien

Si l’économie le permet et que le maillage reste efficient, la pharmacie sera la première porte d’entrée dans le système de santé en 2065. Les pénuries de médecins seront derrière nous mais il restera un besoin essentiel de proximité avec les patients. La réponse à ce besoin sera le pharmacien d’officine. En plus de la dispensation du médicament, le pharmacien aura pour mission de réaliser l’étude en vie réelle des médicaments, c’est-à-dire d’évaluer la pertinence d’un médicament sur un individu et d’agir pour optimiser le traitement. Il pourra d’ailleurs initier des traitements et sera un acteur de référence dans la prévention. Il aura un rôle important dans la mise en œuvre d’une médecine personnalisée en réalisant des actes de biologie délocalisée. Tout cela, nous pouvons parfaitement l’imaginer parce que les premières pierres ont été posées.

David Paitraud

Source : Le Quotidien du Pharmacien