Difficile de dater précisément le moment où la technologie a franchi le seuil des officines. L’arrivée des logiciels de gestion d’officine (LGO), dans les années 1990, marque toutefois un tournant.
LGO : la première pierre
« Le LGO est arrivé assez tôt dans la gestion courante et, au fil du temps, a suivi un développement informatique lié à l’activité de dispensation du médicament via l’ajout de nouvelles fonctionnalités de télétransmission, la facturation notamment », explique Hélène Charrondière, fondatrice et dirigeante de Health Analytica, société spécialisée dans les études de marché sur l'innovation en santé.
L’arrivée des premiers logiciels de gestion a marqué un tournant : les produits sont référencés, les ventes suivies, les commandes automatisées. À cela se sont progressivement greffés les automates de dispensation. Hélène Charrondière date une nouvelle accélération technologique majeure au début des années 2000, avec l’arrivée des robots et automates en back-office, venus remplacer peu à peu les systèmes de fiches Fahrenberger. En quelques instants, un robot prépare l’ordonnance avec une précision chirurgicale, limitant les erreurs et libérant un temps précieux pour le conseil pharmaceutique. « Mais ça ne concerne qu’une partie des officines, puisqu’environ un tiers d’entre elles sont actuellement équipées d’un automate. »
La réglementation, moteur de la modernisation
Le véritable coup d’accélérateur a lieu dans la seconde moitié des années 2000. « Les évolutions technologiques apparaissent généralement avec des avancées dans le cadre conventionnel ou réglementaire », fait remarquer Hélène Charrondière. « La convention pharmaceutique de 2012 a marqué une nette avancée en engageant les pharmaciens à utiliser les outils numériques pour télétransmettre les feuilles de soins et scanner les pièces justificatives à destination de l’assurance-maladie », décrypte-t-elle. Cet engagement a contribué à démocratiser encore un peu plus l’usage de l’informatique dans le cœur de métier de la pharmacie. L’avenant de 2018, qui détermine les modalités de mise en œuvre de la téléconsultation en officine, a contribué au développement des cabines de téléconsultation dans de plus en plus d’officines.
Le LGO au centre
Plus récemment encore, c’est la mise en place du Ségur du numérique en santé qui a accéléré la transformation digitale du système de santé, y compris pour les officines de ville. Principal intérêt pour les pharmaciens ? Favoriser l’interopérabilité entre les LGO et d’autres services comme le DMP (dossier médical partagé), de généraliser la e-prescription, de sécuriser les échanges de données de santé et d’améliorer le partage d’informations avec les autres professionnels.
« Les LGO évoluent progressivement de leur rôle traditionnel – centré sur la gestion des stocks, des médicaments et des remboursements – vers une fonction plus axée sur l’accompagnement des patients. On n’y est pas encore totalement, mais le Ségur du numérique, avec sa vague 2, marque clairement cette orientation en introduisant des outils plus sécurisés et interopérables, pensés pour faciliter le partage de données autour du patient et améliorer son suivi et sa prise en charge », décrit Hélène de Courteix, fondatrice de la société de conseil La Pharmacie Digitale.
Des loupés et une complexité accrue
Toutefois, il y a aussi eu quelques ratés. En 2013, la France a transposé en droit national une directive européenne qui autorise, dans toute l’Union, la vente en ligne de médicaments non soumis à prescription médicale.
Nous entrons désormais dans une phase de “plateformisation” étroitement liée aux politiques publiques
Hélène Charrondière, fondatrice et dirigeante de Health Analytica
Ce qui devait théoriquement ouvrir une nouvelle ère numérique pour les pharmacies. Mais dans la pratique, l’impact a été modeste : peu de pharmaciens se sont lancés et les ventes en ligne restent marginales.
Ce sont aussi les nouvelles missions du pharmacien et la crise du Covid-19 en 2020 qui ont conduit à l’émergence et à l’adoption de nouveaux outils d’éditeurs traditionnels et de start-up, afin de faciliter la mise en place de ces services. Ce développement accru a entraîné une superposition d’outils qui a complexifié l’environnement numérique. Et le manque d’interopérabilité avec les LGO n’a rien arrangé. Selon l’analyse d’Hélène Charrondière : « Nous entrons désormais dans une phase de “plateformisation” étroitement liée aux politiques publiques », qui vise à mieux centraliser les outils et à fluidifier la communication entre eux.
Étiquettes électroniques et lutte contre la démarque
Passé le back-office, la technologie a investi les rayons. Écrans, linéaires digitaux, mais surtout étiquettes électroniques compatibles avec les LGO, autorisant un affichage dynamique des prix, de la disponibilité, des promotions, le tout via des mises à jour centralisées.
La lutte contre la démarque inconnue s’est également digitalisée. Un peu à travers l’encaissement automatique, afin de réduire les risques d’erreurs dus au comptage et au rendu manuel des espèces, ou encore à la préparation du fond de caisse, mais surtout, dans la lutte contre le vol à l’étalage, avec l’adoption de dispositifs issus de la grande distribution tels que des portiques et antennes antivol.
L’intelligence artificielle pour augmenter le pharmacien
À l’ère de l’intelligence artificielle, l’IA joue sa partition dans le domaine de la sécurité. La start-up française Veesion a développé un système de caméras dopé au deep learning, qui analyse en temps réel la gestuelle pour détecter des comportements suspects.
La vague de l’IA générative fait quelques remous et ouvre des perspectives intéressantes dans le conseil personnalisé au patient, l’optimisation des stocks et l’automatisation de tâches répétitives. Les outils exploitant cette technologie sont encore rares, mais pas inexistants. La medtech Tessan a récemment alimenté ses cabines et bornes de téléconsultation à l’IA générative qui interagit avec les patients, collecte les symptômes, puis génère un dossier destiné à aider le médecin dans son diagnostic. L’IA peut être intégrée au comptoir afin d’assister le pharmacien dans sa délivrance et sa mission de conseil. L’intégration de cette jeune technologie nécessite toutefois de la prudence, en raison des risques d’erreurs (ou « hallucinations ») et des exigences réglementaires en matière de protection des données de santé entre autres.
La pharmacie tend vers toujours plus de digitalisation dans tous les aspects de son fonctionnement. Dans cette période de transformation se pose la question de la formation, indispensable pour appréhender pleinement ces solutions. « Que ce soit dans la formation initiale ou continue, y compris dans le cadre du DPC (Développement professionnel continu), il n’existe pas de véritable obligation de se former à des thématiques telle la cybersécurité », fait remarquer Hélène de Courteix. Tant que la formation n’intégrera pas pleinement les évolutions technologiques, « la transformation du secteur sera plus lente qu’ailleurs », tranche-t-elle.
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