Jérémie Assayag
Ma contre-proposition : « Origine, le réseau »
Au travers de son association baptisée « Origine, le réseau », Jérémie Assayag propose à ses confrères et consœurs une nouvelle vision de l’exercice officinal qui passe notamment, mais pas seulement, par l’usage raisonné de l’IA.
Le Quotidien du pharmacien - Quelle vision de l’officine porte votre association ?
Le Quotidien du pharmacien - Quelle vision de l’officine porte votre association ?
Jérémie Assayag – Nous accompagnons les officinaux qui nous sollicitent dans la transformation de leur exercice professionnel. Nous voulons proposer un modèle d’officine qui replace le pharmacien comme acteur de santé de proximité et non plus comme commerçant. L’écrasante majorité des jeunes qui entreprennent un cursus pharmaceutique cherchent à exercer un métier de santé. Ils souhaitent s'intéresser aux personnes, à l'ordonnance ou à la pharmacologie. C’est-à-dire à tout ce qui constitue le cœur de ce métier. Seulement, beaucoup de pharmacies tendent aujourd’hui à ressembler à une grande surface, plus qu’à un véritable lieu de santé. J’ai été séduit il y a quelques années par le modèle que défendait Barbara Le Boënnec, qu'elle avait construit en prenant appui sur la thèse de Jean-Patrice Folco. Tous deux défendent, à rebours du modèle commerçant qui domine aujourd’hui, l’idée que les petites et moyennes officines dont l’activité est majoritairement construite sur le médicament remboursable, sont des modèles économiques viables. Depuis 3 ans, je propose même à mes patients une pharmacie sans rendez-vous avec une salle d’attente pour les patients polypathologiques pour qui la station debout est difficile. On ne vient pas chercher sa crème dermocosmétique dans notre officine, mais on vient y consulter des professionnels de santé. Le changement de modèle est difficile, c’est effrayant de voir son CA descendre de 100 000 euros, et la thèse de Jean-Patrice Folco est économiquement très pointue et donc pas simple à transposer à la réalité. Notre association a vocation à accompagner les officinaux sur cette voie.
Pensez-vous que cela puisse constituer un modèle pour le futur de la pharmacie ?
Cela dépendra de mes confrères et de mes consœurs, voudront-ils changer de modèle ? En parallèle du développement de notre nouveau modèle d’officine, j’ai commencé à écrire des billets d’humeur sur LinkedIn, pour communiquer sur mon projet, pour m’amuser, mais aussi pour dénoncer des travers que j’observe depuis des années dans notre profession. J’ai tout de suite reçu des retours positifs. En gagnant en notoriété, notre modèle a commencé à interroger. Comment cette pharmacie peut-elle être rentable, alors qu’elle ne joue pas le jeu des promotions en parapharmacie et que 90 % de son chiffre d'affaires est construit sur du médicament remboursable ? C’est à ce moment-là que l’intérêt a commencé à croître pour ce mode d'exercice. Loin de la pharmacie vide et austère, notre lieu de travail est très végétalisé, et dispose d’une bibliothèque santé et d’un espace muséographique dédié à l’histoire de la pharmacie. Tout cela donne envie d’y travailler. C’est tout particulièrement le cas pour la part de la jeune génération, de la part de laquelle je reçois de nombreux messages en privé. Je reçois aussi beaucoup de visite de jeunes de la région lyonnaise qui ont entendu parler de nous sur les réseaux sociaux. Nous avons aussi vu des pharmaciens industriels revenir vers l’officine, parce que c’est au sein d’un modèle comme le nôtre qu’ils avaient à l’origine imaginé exercer. Par ailleurs, j’ai l’intime conviction que si plus de pharmacies ressemblaient à la nôtre, cela atténuerait la crise des vocations chez les jeunes. Je le constate lorsque je discutant avec les étudiants qui viennent me rencontrer.
Quelle place occupera la vente en ligne ou l’intelligence artificielle (IA) dans votre modèle ?
C'est indéniable, nous ne pourrons pas faire sans. Le nerf de la guerre c’est le temps et l’IA va nous en libérer. N’importe quel officinal vous le dira, nous manquons de temps. Les algorithmes sont des outils d’optimisation formidables donc en mesure de changer la donne. Dans mon officine, nous travaillons déjà avec Phealing, qui sécurise le double contrôle. Sans logiciel intégrant l’IA, cela nous occuperait au moins une heure par jour. Nous utilisons aussi Careanimation, qui nous donne la capacité d’éditer des QR codes liés à des vidéos de démonstrations de bon usage du médicament. Le game changer en revanche, c’est la robotisation. Jusqu’à aujourd’hui, je résistais, mais certains logiciels qui arrivent sur le marché vont demain nous permettre de simplement avoir à scanner l’ordonnance pour que les médicaments tombent dans un panier, pour que le double contrôle soit automatiquement fait et que l’on n’ait plus qu’à indiquer à notre patient les conseils associés. Idem pour les commandes auprès des grossistes. L’intelligence artificielle va nous libérer un temps qui sera investi ailleurs. Nous pourrons, à la place de la mise en rayon, effectuer des TRODs, des bilans partagés de médication ou des vaccinations. Tout autant de missions qui sont rémunératrices. Quant à la vente de ligne, non seulement je n’y crois pas, mais elle ne me fait pas peur non plus. Les personnes qui voudraient acheter en ligne, sont à la recherche d’une promotion ou de diversité. En d'autres termes, ils cherchent des prix bas. Des éléments depuis longtemps absents de mon officine. Ces personnes ne sont pas attachées à leur pharmacien, mais à ce qu’il vend et au prix auquel il le vend. Le business model orienté commerce et prix bas fragilise les officines face aux géants que sont Amazon ou Leclerc. Ils misent sur le mauvais cheval. La différence qui fait notre force et qui par ailleurs est le plus rentable, c’est le monopole pharmaceutique. C’est cette situation de force sur laquelle nous devons nous appuyer pour fidéliser notre patientèle, plutôt que sur de la parapharmacie peu chère. Et ce monopole, je pense que nous ne sommes pas près de le perdre.
Stéphanie Janvier
« Le meilleur déchet, c’est celui qu’on ne produit pas »
Titulaire à Trémuson, dans les Côtes d’Armor, Stéphanie Janvier a récemment été récompensée lors des Trophées de la pharmacie dans la catégorie Responsabilité Sociale et Environnementale (RSE). La pharmacienne explique comment l’approche de son métier a changé ces dernières années.
Le Quotidien du pharmacien.- Comment est née cette volonté d’améliorer les pratiques dans votre officine en matière de RSE ?
Stéphanie Janvier.- Je pense que le facteur déclencheur a été un questionnement sur la qualité des cosmétiques. J’ai des enfants, j’ai encadré deux thèses sur le sujet des perturbateurs endocriniens… Quand on a ces problématiques à l’esprit, on prend conscience qu’on ne peut plus se permettre de vendre des produits de mauvaise qualité en pharmacie. Aujourd’hui, nous ne proposons plus de références avec des formules qui posent problème. La période du Covid, le réchauffement climatique… tout cela m’a aussi amené à réfléchir. Nous préférons désormais être livrés au fil de l’eau par les grossistes, pour limiter le nombre de cartons notamment. Le meilleur déchet, c’est celui qu’on ne produit pas. Nous encourageons nos salariés à covoiturer pour se rendre au travail. Proposer la vaccination à nos patients, cela leur évite également d’aller voir un médecin, donc devoir faire un déplacement supplémentaire. Je travaille dans un territoire touché par la désertification médicale, la téléconsultation permet parfois à un patient de ne pas faire 100 kilomètres pour trouver un dermatologue. C’est donc une démarche globale. La prochaine étape c’est de commander davantage auprès de centrales pour ne plus être dépendants de certains laboratoires qui nous poussent sans cesse à commander des produits dont nous n’avons pas besoin et/ou en quantité trop importante.
Comment le métier de pharmacien pourrait-il encore évoluer à l’avenir ?
Je crois énormément aux nouvelles missions. Nous avons participé à l’expérimentation OSYS, fait des travaux pour ouvrir cinq espaces de confidentialité pour accueillir au mieux les patients… On pourrait imaginer aller encore plus loin, sur la prévention du diabète, de l’insuffisance rénale. Prescrire des produits pour le sevrage tabagique, être rémunéré pour certains actes que nous faisons déjà parfois, comme vérifier régulièrement la tension artérielle d’une personne âgée qui a du mal à se déplacer pour aller voir un médecin…
Est-ce que l’organisation du travail au sein d’une pharmacie doit aussi évoluer ?
Nous avons des difficultés de recrutement aujourd’hui et proposer des semaines de travail sur 4 jours, cela s’impose aujourd’hui à nous. Il faut réussir à entendre les besoins du salarié et à les conjuguer avec les contraintes du travail. Lorsque les salariés se sentent bien, ils veulent rester. Votre pharmacie acquiert une bonne réputation et, comme c’est notre cas, vous avez de nombreux candidats qui postulent pour venir travailler chez vous.
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