Prospective

Intelligence artificielle : l'officinal devra avoir une vision globale du patient

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Publié le 29/10/2018
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Le journaliste Philippe Pujol, auteur de « Marseille 2040 »* - une enquête rédigée sous la forme d'un récit d'anticipation - décrit un système de santé méconnaissable d'ici à une vingtaine d'années, profondément modifié sous l'influence des nombreuses évolutions technologiques et le poids de la e-santé. « Le Quotidien » l'a rencontré.
Pujol

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Crédit photo : dr

Le Quotidien du pharmacien.- Votre ouvrage pointe le doigt sur les difficultés de notre système de santé : lourdeurs administratives, vieillissement de la population, défaut d'adaptation des lieux de prise en charge, personnels surmenés… Quelles évolutions seraient envisageables pour 2040 ?

Philippe Pujol.- Pour écrire ce livre, il me fallait faire des choix entre différentes possibilités d'évolution pour notre système de santé. Soit un virage vers le tout privé : avec la privatisation de l'ensemble des établissements de santé, ayant pour risque principal le renforcement de la médecine à deux vitesses. Soit un système de santé entièrement public comme au Japon où l'on considère que la santé ne peut être confiée à des intérêts privés. Soit un système de santé qui continue à être mixte (public/privé) avec, néanmoins, une contrainte pour les établissements privés qui devront prendre en charge davantage d'actes peu rémunérateurs mais essentiels pour les patients, afin de soulager les hôpitaux publics. Dans mon ouvrage, j’ai choisi de pousser à son maximum l’évolution voulue par l’actuel gouvernement : une prédominance de l’intelligence artificielle (IA), une réorganisation profonde de la gradation des soins hospitaliers et une quasi-automatisation des protocoles en santé.

Antoine – personnage principal de votre livre — est un jeune régulateur de santé. Il apprend qu'un programme informatique va le remplacer. En quoi consiste ce métier ?

Le métier de régulateur de santé existe déjà dans les plateformes territoriales d'appui (PTA) qui dépendant des agences régionales de Santé (ARS). Aujourd’hui, cette activité est une sorte d’audit des contrats passés entre établissements et ARS. Dans mon livre, le régulateur est une personne dont la formation est axée sur la compréhension du système de santé. Il suit et fait évoluer des protocoles pour le rendre plus efficace. Mais un jour, l'IA le remplace. Des bases de données puissantes deviennent capables d'établir des protocoles pour améliorer notre système de santé à la place du régulateur. Cela marque le début de l'automatisation des décisions en santé.

Avec la montée en puissance de l'IA, comment imaginez-vous l'évolution du métier de médecin ?

Le développement des big data lui sera très utile pour libérer du temps médical. L'IA effectuera les tâches administratives, l'assistera en matière de diagnostic et pourra même, un jour, effectuer le diagnostic : le médecin n'aura plus qu'à le confirmer. De nouveaux profils seront recherchés, dont celui de médecin-ingénieur, à la fois professionnel de santé et informaticien.

Entretiens pharmaceutiques, bilans de médications, expérimentations de la prescription pharmaceutique en 2019… Le métier de pharmacien est en pleine transformation. Quelles pourraient être ses nouvelles compétences dans les décennies à venir ?

Selon mon scénario, d'ici à une dizaine d'années, les pharmaciens seront également formés à l'IA et feront partie de comités scientifiques dédiés à l'IA. Ces derniers réfléchiraient, par exemple, à la mise en place de bases de données mondiales sur les médicaments ou à l'automatisation des données en vue de la création de pharmacies en ligne. Dans ces comités, des réflexions seraient menées pour sécuriser - d'un point de vue réglementaire - la livraison à domicile de médicaments au niveau international. Dans mon ouvrage, les médicaments finissent ainsi par être livrés par le biais de drones ! Cela est déjà testé, notamment en Afrique du Sud.

Comment pourra-t-il faire face à l'IA ?

Pour perdurer face à l'IA, l'officinal devra avoir une vision transversale et globale des patients. Il devra renforcer sa capacité à conseiller et à comprendre l'humain. Le pharmacien est un acteur de proximité qui connaît bien sa patientèle. Il est capable d'appréhender l'ambiguïté de l'être humain. L'IA ne pourra pas le concurrencer sur ce point avant très longtemps. Pour mettre en valeurs les compétences sociétales du pharmacien, la formation initiale devrait, à mon sens, intégrer des notions de sciences humaines : philosophie, psychologie et sociologie.

* « Marseille 2040 », de Philippe Pujol, éd. Flammarion.

Propos recueillis par Hélia Hakimi-Prévot

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3469