La baisse du prix de cession moyen de l’officine, amorcée en 2023, ne s’est pas confirmée en 2024. La tendance est même légèrement repartie à la hausse par rapport à l’exercice précédent, selon les statistiques de l’Observatoire du réseau Conseillers en gestion de patrimoine (CGP) : le prix moyen des transactions est passé de 1,745 million d’euros en 2023 à 1,783 million d’euros en 2024. « Cette moyenne reste élevée », commente Bastien Legrand, président du réseau CGP, dans le cadre de la Journée de l’économie de l’officine (JEO). Et, en effet, si le prix moyen des cessions demeure très en dessous du record de 1,91 million enregistré en 2022, il reste supérieur à celui observé avant le Covid (autour de 1,5 million). Une évolution qui confirme les chiffres de l’étude 2025 d’Interfimo.
Comment expliquer qu’elle ne reflète pas la détérioration de l’économie officinale ? Une première explication tient à l’échantillon de cessions du réseau CGP, mais aussi des autres observatoires. « Nos statistiques sont celles des officines qui se vendent », souligne Bastien Legrand. Les pharmacies qui restent longtemps sur le marché en raison d’un prix trop ambitieux ou qui finissent par fermer, faute de repreneur, ne sont ainsi pas comptabilisées. Or, les petites structures réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 1,6 million d’euros sont moins convoitées. Selon l’étude 2025 d’Interfimo, le nombre de transactions sur ce segment a reculé : il n’a représenté que 28 % des ventes en 2024 contre 35 % en 2023.
Les moyennes nationales apparaissent donc moins pertinentes pour apprécier la valeur d’un secteur où la polarisation s’accélère. « Nous n’avons plus un marché, mais deux », analyse Jérôme Capon, directeur réseau chez Interfimo à la Journée de l’économie d’officine. « La cession est une affaire d’offre et de demande : pour les petites officines, l’offre existe, mais la demande fait défaut. » À l’inverse, l’intérêt se reporte vers des pharmacies plus solides et de taille importante. « La raréfaction de ces actifs fait que les prix de cession n’ont pas reculé », ajoute Bastien Legrand.
« Les petites officines soit se vendent trop cher, soit ne se vendent pas. »
Bastien Legrand
Cette dualité du marché rend le ratio sur le chiffre d’affaires caduc pour analyser les ventes. « Dans un contexte de hausse du chiffre d’affaires, cet indicateur est forcément en diminution », poursuit Bastien Legrand. Il s’établit à 78 % en 2024 contre 88 % en 2022. « On continue de rapporter le prix de cession au chiffre d’affaires pour pouvoir établir des comparaisons historiques, d’une année sur l’autre, mais ce chiffre n’a plus de valeur économique ». Par ailleurs, alors que le chiffre d’affaires est composé à 43 % par des médicaments chers (plus de 470 euros), voire à 24 % par des médicaments onéreux (plus de 190 euros), il n’est plus justifié de valoriser un fonds sur son chiffre d’affaires. L’indicateur le plus fiable demeure le prix rapporté à l’excédent brut d’exploitation (EBE, après rémunération du titulaire). « Il est en recul depuis 2022 car l’EBE est soit stable, soit en baisse. Mais on peut toujours acheter pour un prix moyen qui correspond à sept fois l’EBE. » Pour être précis, on est passé de 7,45 fois en 2022 à 7,1 fois en 2024.
Et en 2025 ? « Les petites officines soit se vendent trop cher, soit ne se vendent pas, souligne Bastien Legrand. Même lorsqu’elles sont proposées à leur véritable valeur, décotée du prix du marché pour tenir compte de leur marge réduite et d’un excédent brut d’exploitation (EBE) plus faible que les autres, il est difficile de les céder ». Emmanuel Leroy, associé et leader national santé chez Rydge Conseil, dresse le même constat. Il y a deux ans, une de ses clientes, titulaire en région parisienne, lui a fait part de son projet de vendre pour partir à la retraite. Elle a fixé le prix à 200 000 euros, son chiffre d’affaires étant stable à 600 000 euros. « Au 30 juin 2025, elle n’avait toujours pas trouvé de repreneur. Épuisée, elle a liquidé sa retraite du régime général et donné mandat à une agence de vendre son officine à 50 000 euros, afin de payer ses cotisations à l’URSSAF de l’année N + 1. Si elle ne trouve pas, cette officine fermera. »
Dans ce contexte, les experts-comptables appellent à une vigilance accrue lors de la préparation des business plans en vue d’un achat. Si les banquiers continuent à financer les projets, « les discours négatifs actuels sur les perspectives des pharmacies pourraient les inquiéter », prévient Jérôme Capon. Interfimo a étudié 900 dossiers en 2025, dont 15 % concernaient des officines de moins de 2 millions de chiffre d’affaires. « Sur ces 15 %, 70 % ont été acceptés. Cela prouve que l’on continue à soutenir un projet bien construit. » Cependant, 30 % d’entre eux sont refusés, pourquoi ? « Une question de prix déconnecté de la rentabilité de l’officine. »
Si les prix restent élevés, c’est aussi, selon Jérôme Capon, parce que le financement a pu se faire grâce à des aides aux primo-accédants, comme les boosters, mises en place par certains groupements et la Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens (CAVP). « Cela a permis à des jeunes de s’installer, analyse l’expert d’Interfimo. Or, même si nous avons été prudents dans nos prévisionnels, ces prix induisent un coût financier lourd, qui risque d’être difficile à rembourser dans un contexte de recul de marge. » Les titulaires qui, malgré tous leurs efforts de restructuration, d’étalement de la dette ou de réduction de personnel, ne font que compenser leurs pertes, vont finir par s’épuiser.
Face à ce constat collectif, « il va falloir changer de méthode pour prévoir la rentabilité de l’officine dans un contexte incertain, insiste Bertrand Cadillon, expert-comptable, directeur du département pharmacie chez Fiducial. Se contenter de prévoir l’EBE à partir de celui du prédécesseur n’est plus réaliste. » Il faudra analyser en détail la structure de l’EBE, anticiper l’impact sur la marge d’une éventuelle fluctuation des remises génériques et de la baisse des prix de ceux-ci, projeter également la hausse des charges, notamment des frais de personnel… « Nous allons devoir recourir à des méthodes utilisées dans d’autres secteurs, mais peu connues dans la pharmacie, souligne Bertrand Cadillon, tels que les flux de trésorerie futurs, la rentabilité prospective… » Quant au marché, « le prix moyen de cession devrait, dans le contexte actuel, être de 10 à 15 % inférieur, estime Bastien Legrand. Nous avons sans doute atteint un pic, le marché va désormais faire son œuvre. »
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