Un an après avoir repensé son rayon de para à l’occasion d’un transfert à proximité d’un centre commercial, la Pharmacie Lescombes à Eysines (33) affichait une croissance remarquable : + 737 € par mètre linéaire. Mais combien de titulaires surveillent la performance au mètre linéaire ? Trop peu, selon les experts.
Un outil de pilotage
Chaque choix de produit et chaque emplacement ont un sens. « Une étagère a un coût. Il en faut ni trop ni trop peu. Si elle est inadaptée, la rentabilité sera inappropriée. Un produit présenté en broche comme une brosse à dents à 2 €, ou une crème à 80 €, ne nécessite pas le même investissement », alerte Julie Springer, fondatrice de LMJ Conseil, spécialisée dans la stratégie commerciale en officines. En pharmacie, la consultante élabore ses propositions plutôt à partir du rendement que de la rentabilité. Le premier constitue un ratio chiffre d’affaires sur mètre linéaire quand le second se calcule à partir de la marge. « La performance c’est un indicateur à suivre obligatoirement, mais pas en valeur absolue. Ce qui compte c’est plutôt son évolution », précise-t-elle. Et son confrère Christophe Bodart de nuancer. « La gestion au mètre linéaire n’est pas une obligation. Mais dans le contexte des remises génériques en forte baisse, développer les ventes hors médicaments à 2,1 %, va devenir stratégique. La para et l’OTC sont des leviers de rentabilité », estime cet ancien préparateur.
Un levier de négociation
Chez Alexandra Ducros-Bourdens, titulaire de la pharmacie de Montgiscard (31) depuis 2009, surveiller le rendement au mètre linéaire est devenu un réflexe. Il faut dire qu’elle n’hésite pas à se remettre en question. En 2019, elle transfère près d’un grand parking mais le parcours client de son point de vente est long et compliqué. Une fois le plus fort de la pandémie passé, elle décide de repenser son point de vente avec Julie Springer. « Depuis 2021, j’analyse le rapport entre la marge d’une gamme et le nombre d’étagères qu’elle occupe. Je compare les performances des laboratoires avec celles d’Avène et Caudalie qui fonctionnent bien chez moi. Quand elles sont moins bonnes, je demande de l’aide : des promotions, des animations… », détaille la pharmacienne. Chez elle, le rendement au mètre linéaire est devenu un outil factuel de négociation lors des achats de parapharmacie. « Je regarde le nombre d’étagères allouées à un laboratoire et l’évolution de l’indicateur. Ainsi je vérifie si le poids de la marque dans l’univers est cohérent avec l’espace occupé », explique Julie Springer. « Certains laboratoires font les cow-boys en demandant voire en “exigeant” deux descentes mais il ne faut pas oublier qu’ils n’ont pas de point de vente : ils ont besoin des pharmacies, » rappelle-t-elle aux acheteurs.
Rencontrer les commerciaux est chronophage. Lydie Tornare, fondatrice de la société de consulting Oxygen'Pharma, conseille d’adopter un canal d’achat selon l’importance des marques dans la rentabilité de l’officine : travailler en direct avec les laboratoires clés et passer par des plateformes pour les autres. De quoi optimiser l’investissement en temps. Reste le souci de la motivation. « Si on ne voit pas les commerciaux, les gammes manquent d’animation et on pense moins à les conseiller », remarque Alexandra Ducros-Bourdens, qui n’est pas prête à limiter les rendez-vous avec les marques.
Ce n’est pas parce qu’une officine a de l’espace qu’elle doit le remplir de meubles
Une gestion saine passe par un bon merchandising. Ainsi, ce n’est pas parce qu’une officine a de l’espace qu’elle doit le remplir de meubles. Car qui dit « étagères », dit « produits ». « Si les remplir plombe la trésorerie, on peut les enlever, les remplacer par un mur végétalisé, un bar à tisanes, une cabine, un fauteuil pour que les gens puissent s’asseoir, un comptoir plus confortable… C’est du service et cela se compte en mètres carrés plutôt qu’en mètres linéaires. D’où l’importance de choisir des meubles modulables. Le merchandising, ce n’est pas du joli, c’est répondre à une logique commerciale », justifie Julie Springer. Cela paraît évident, mais il faut selon elle, « prioriser les produits qui génèrent le plus de marge. Avec la croissance de la parapharmacie durant ces dernières années, le MAD (N.D.L.R. : maintien à domicile) avait un peu disparu. Or, ce qui rapporte en pharmacie aujourd’hui ce sont le MAD et les services. Ainsi je remets le MAD en avant, je propose de plus en plus d’ouvrir des showrooms ».
Autre règle clé d’un merchandising efficace : sélectionner pour chaque segment de produits le leader, un challenger et une offre discount. « Souvent il manque le “prix”. Les MDD apportent cela en plus d’une différenciation. Sinon il faut trouver une alternative par exemple, pour les poux, chez Biogaran ou Viatris », conseille Lydie Tornare, également ancienne commerciale des groupements MaPharmacieRéférence et Pharmacorp. Ainsi avec un même principe, chaque officine a le moyen d’améliorer sa rentabilité tout en vendant des marques différentes de ses confrères alentour.
Pondérer les univers
C’est bien connu, comme le « bon produit », l’emplacement des univers impacte les ventes. « Des indicateurs chiffrés, on peut déduire si l’exposition des univers est correcte ou pas. Souvent le libre accès est sous exposé alors qu’il est le plus rentable devant, de même que l’offre Nature. À l’inverse, le bébé, la dermocosmétique et les capillaires tendent à prendre une place démesurée », estime Lydie Tornare. Idem au sein de chaque rayon. « Dans l’espace bébé, les accessoires de biberon prennent souvent trop de place alors que le sérum physiologique est plus rentable. Quant aux produits de santé bébé – ceux qui font venir la maman en pharmacie - ils ont tendance à être trop peu visibles. On peut par exemple placer du Bepanten près du lait pour mieux le montrer. » À la Pharmacie Lescombes, où la consultante a réorganisé en ce sens les univers, l’assortiment et le merchandising, les ventes ont bondi en un an de 69 % pour les premiers soins, 41 % pour le dentaire, 32 % pour les médecines alternatives comme pour l’hygiène…
S’appuyer sur l’efficacité d’un linéaire amène parfois à des décisions étonnantes. Ainsi concernant le lait maternel. « Ces produits sont stratégiques mais ils ne génèrent aucune rentabilité. Leur accorder deux descentes, 14 étagères, n’apporte en général rien. Il est possible de les exposer autrement. C’est un sujet particulièrement sensible lors des transferts, quand les titulaires ont d’un coup davantage de place. Or parfois mieux vaut carrément réduire l’espace alloué. S’il cartonne, il sera toujours temps de l’agrandir », estime Julie Springer. « À l’inverse, des marques qui marchent très bien en ce moment comme SVR ou CeraVe méritent davantage de visibilité et elles tournent ! Mais attention le plus souvent au-delà de trois facings on n’est plus dans la rentabilité. »
Mollo sur les stocks
La pharmacie de Montgiscard a fait des choix radicaux au regard des chiffres. « Le stock de Vichy ne tournait pas assez. On l’a remplacé par Garancia », explique la titulaire, qui s’adapte ainsi à l’actualité du marché. « On se fixe pour objectif que le stock tourne au moins deux fois par an. D’ailleurs, Nuxe, aujourd’hui le laboratoire chez moi le moins performant en termes de rotation, ne tourne qu’une fois. Si la marque ne nous aide pas, nous allons réduire l’espace de 2 à 1 descente, ne garder que les trois produits leaders ou la remplacer par une marque Instagram… » tranche celle dont la pharmacie a vu son chiffre d’affaires grimper de 2,6 M€ en 2021 l’année où elle a commencé à suivre la performance au mètre linéaire à 4,8 M€ aujourd’hui.
Le rendement ne s’analyse pas seulement au regard du front office. « Je suis quatre indicateurs : le chiffre d’affaires, la marge, les stocks et les délais de paiement », confie Lydie Tornare. Établir un ratio entre la valeur des produits immobilisés et le chiffre d’affaires qu’ils génèrent, permet de savoir si le niveau de stock est correct. Prendre en compte uniquement l’espace occupé « devant » biaise les analyses de rentabilité. « D’un point de vue comptable, on estime que le stock immobilisé doit représenter au maximum 10 % du chiffre d’affaires. En réalité, il faut nuancer par taux de TVA. Pour prendre une température rapide de la bonne gestion des achats et de l’espace, je regarde le 20 % : il tourne très souvent 2 fois par an. Or mieux vaudrait quatre rotations annuelles, » explique l’ancienne acheteuse de chez E. Leclerc. Selon les experts, de nombreux titulaires achètent trop, simplement pour bénéficier d’une ristourne. Une fausse bonne idée. Avoir du stock pour un an ou plus, c’est autant de trésorerie immobilisée, de produits à entreposer, à déplacer du back-office au front-office, voire à brader au bout d’un moment. Autrement dit, le surstock impacte la rentabilité au mètre linéaire.
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