Dossier - Spécial hépato-gastro

Trois ordonnances à digérer

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Publié le 25/06/2018
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ordo teddy

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Crédit photo : Caroline Victor-Ullern

Ordo Raphael

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Crédit photo : Caroline Victor-Ullern

ordo Paul-Henry

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Crédit photo : Caroline Victor-Ullern

Monsieur Raphaël T., 44 ans

Le contexte

La rectocolite hémorragique (RCH) de Monsieur T. a été diagnostiquée il y a une dizaine d’années. Aujourd’hui, c’est son licenciement économique qui explique la survenue d’un épisode de rectorragies accompagné de selles impérieuses. Le médecin généraliste a reconduit un traitement antérieurement prescrit par un spécialiste.

Fivasa (mésalazine), un anti-inflammatoire d’action locale, est indiqué dans le traitement des poussées légères à modérées de RCH ainsi que dans son traitement d’entretien (comme dans celui de la maladie de Crohn).

Colofoam (hydrocortisone) est un corticoïde anti-inflammatoire indiqué sous forme de lavement (flacon de mousse rectale) pour traiter localement la poussée aiguë de la maladie.

Le diclofénac est un anti-inflammatoire non-stéroïdien (AINS) prescrit car le patient se plaint de douleurs articulaires. Il est ici inadapté : les douleurs, de survenue brutale car liées à la poussée aiguë de la maladie, ont toute chance de disparaître avec le traitement étiologique. Cet AINS expose à un risque hémorragique. En revanche, l’administration de paracétamol ne pose pas de problème, du moins aux doses usuelles.

Le médecin, peu habitué à ce type de traitement, n’a pas adapté la posologie de Fivasa à l’état du patient : en phase aiguë, il est logique d’augmenter la dose, en passant par exemple à 2,4 voire 3,2 g/j (au lieu de 0,8 à 1,2 g/j) pendant 2 ou 3 semaines. Les autres posologies sont correctes mais la dose journalière maximale de paracétamol devrait être mentionnée.

Votre conseil

Le lavement est réalisé de préférence au coucher. En dehors des phases de poussée, le régime alimentaire doit rester normal. En phase aiguë, privilégier un régime appauvri en résidus (fruits, crudités, légumes, céréales, etc.) ainsi qu’en lactose, mais respecter des apports suffisants en sel. La consommation d’alcool est évidemment proscrite.

 

Monsieur Teddy T., 58 ans

Le contexte

Patient hypertendu, Monsieur T. souffre de coliques et présente une abondante diarrhée : il a « pris froid » lors d’une sortie la veille. Face à une diarrhée virale, le médecin a prescrit un traitement symptomatique, en en profitant pour renouveler le traitement antihypertenseur.

Le racécadotril (Tiorfast et génériques), un antisécrétoire intestinal inhibiteur de l'enképhalinase (enzyme responsable de la dégradation des enképhalines), augmente l’activité des enképhalines endogènes au niveau du tube digestif. Le recours à ce médicament est justifié car Monsieur T. ne peut être « handicapé » dans son activité d’enseignant : le médecin a toutefois réduit au maximum (1 jour) ce traitement symptomatique.

La diosmectite (Smecta et génériques) bénéficie d’une indication dans les diarrhées aiguës et chroniques ; c’est de plus un protecteur de la muqueuse digestive.

Le traitement antihypertenseur de Monsieur T. associe un diurétique, l’hydrochlorothazide (HCT) à un antagoniste de l’angiotensine II, l’irbésartan. L’utilisation d’un diurétique chez un patient ayant des diarrhées importantes d’une hypotension symptomatique : il est prudent de signaler au patient le risque d’étourdissements et de vertiges.

Votre conseil

Le traitement symptomatique d’une diarrhée aiguë ne doit pas faire négliger les mesures diététiques et une réhydratation adaptée : compte tenu de l’usage d’un diurétique, Monsieur L. doit y veiller tout particulièrement.

 

Monsieur Henri-Paul D., 58 ans

Le contexte

Monsieur D. a consulté en urgence pendant ses vacances à La Réunion : il souffrait d’une douleur vive, envahissant l’hypocondre droit et irradiant dans le dos, et se plaignait de nausées. Un diagnostic de lithiase biliaire a été porté. Une cholécystectomie s’avérant probablement nécessaire mais pouvant être différée, le médecin a prescrit un traitement permettant de surseoir au geste chirurgical jusqu’au retour du patient à son domicile parisien.

L’acide ursodésoxycholique (Delursan) est un acide biliaire naturel qui augmente la sécrétion des acides biliaires endogènes, inhibe leur réabsorption par l’intestin et diminue leur concentration sanguine. En réduisant la saturation biliaire en cholestérol, il est indiqué dans le traitement de la lithiase biliaire cholestérolique peu ou non symptomatique ainsi que dans les hépatopathies cholestatiques chroniques.

Le Questran (colestyramine), une résine de synthèse échangeuse d’ions, inhibe le cycle entérohépatique des acides biliaires et du cholestérol qu’elle fixe sous la forme de complexe insoluble, ce qui favorise leur élimination dans les selles. Son indication est limitée au traitement des hypercholestérolémies essentielles.

La co-prescription de Questran et de Delursan est, sauf exception, déconseillée. Le médecin a ici prescrit la colestyramine hors AMM pour réduire le prurit induit par la fixation intradermique des sels biliaires en excès. Il a par contre précisé que la prise des deux médicaments devait être clairement séparée.

Les posologies sont correctes : la dose du Delursan est faible pour limiter l’incidence du prurit souvent rapporté en début de traitement. Le Questran a aussi pour objet de limiter cet effet indésirable. Par la suite, il est probable, en attendant l’intervention, que le médecin portera à deux comprimés par jour la posologie du Delursan et supprimera l’administration du Questran.

Paracétamol et codéine (antalgique de palier 2) et phloroglucinol (antispasmodique) sont destinés à permettre au patient de supporter la douleur jusqu’à son retour, prévu 4 jours plus tard.

Votre conseil

Le traitement par le Delursan s’administre durant les repas, eux-mêmes pris à des heures régulières pour prévenir la stase biliaire. L’efficacité du traitement n’est pas immédiate et il requiert une observance rigoureuse. Bien entendu, de strictes mesures diététiques s’imposent : éviter la nourriture trop grasse et les sucres, boire en abondance, adopter un régime riche en fibres, pratiquer un exercice physique suffisant qui contribue à améliorer la dynamique des voies biliaires.

Les médicaments destinés à vidanger la vésicule biliaire (cholagogues, comme le mannitol ou le sorbitol), fréquemment administrés aux patients présentant des difficultés de digestion ou constipés, de même que celle de médicaments cholérétiques (nombreux extraits végétaux : artichaut, etc.) augmentant la production de bile, sont déconseillés en cas de maladie des voies biliaires. 

Nicolas Tourneur

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3447