Le 3 juin, l’antenne de pharmacie de Coupiac est officiellement devenue la deuxième à ouvrir ses portes en France, après celle de Cozzano en Corse. Elle sera suivie, en août, par celle de Puycasquier, dans le Gers, et celle de Châteauneuf-de-Randon, en Lozère. D’autres projets, à La Chapelle-d’Angillon, dans le Cher, et à Cremaux, dans la Loire, sont aussi en gestation. En tout, douze projets, au maximum, pourraient voir le jour d’ici à la fin de l’année.
Pour les 360 habitants de Coupiac, village du sud de l’Aveyron, la naissance de ce nouvel établissement pharmaceutique ne va pas changer leurs habitudes. Une semaine seulement aura séparé la fermeture de la pharmacie du village de l’ouverture de l’antenne. Cette dernière a été installée au sein même des locaux de l’ancienne pharmacie et les horaires sont eux aussi identiques ! Pas de dépaysement non plus au comptoir, où les patients de Coupiac peuvent demander conseil 4 jours et 35 heures par semaine à Laure Blondel, l’ancienne adjointe devenue en quelques jours gérante de l’antenne. « C’est comme si j’étais titulaire, mais attention, je sais bien que je ne le suis pas vraiment, s’amuse-t-elle. Je suis salariée et j’ai un patron. » Ce patron c’est Philippe Reynal, titulaire de l’officine de Trébas, village situé à 15 km dans le département voisin du Tarn. Ce pharmacien, qui exerce lui aussi seul dans un petit village, a accepté de porter ce projet. La précédente titulaire de l’officine de Coupiac, Marie-Hélène Delon, a retardé son départ à la retraite, année après année, jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée pour sauver la pharmacie. Faute de repreneur, c’est donc sous la forme d’une antenne qu’elle a pu survivre. « Pour les patients, il n'y a pas de changements visibles. Je propose les mêmes services qu'avant », explique Laure Blondel.
Si, dans le cas de Coupiac, aucun changement notable ne distingue l’antenne de la pharmacie au niveau de son fonctionnement, il a tout de même fallu opérer cette transition en coulisses. « Les débuts ont été un peu chaotiques, concède la pharmacienne. Les trois premières semaines, je n'avais pas encore la carte CPS donc impossible de télétransmettre à l'assurance-maladie. Il y a eu quelques changements au niveau informatique, pour la gestion des stocks… il a fallu prendre ses marques. C'est surtout au niveau administratif que cela s'est avéré compliqué. Tout le monde découvre un peu ce nouveau concept. » Des difficultés que Vivien Delpoux, le titulaire corse porteur du tout premier projet d’antenne concrétisé en France, a été le premier à affronter. Problèmes pour la télétransmission et la gestion du tiers payant, rejets… Les débuts ont été compliqués, mais le pharmacien corse n’a jamais pensé à renoncer. « Cela ramène un service de proximité au village, cela crée une émulation », confiait-il récemment. Les défis, cependant, sont encore nombreux. « Au moment de l’ouverture (en juillet 2024), j’estimais qu’il nous faudrait 150 patients par jour pour être rentables. Pour l’instant, nous n’y sommes pas mais il faudra attendre la fin de la période estivale pour tirer un premier bilan. » Vivien Delpoux souhaite notamment augmenter les horaires d’ouverture de l’antenne, qui n’accueille pour l’instant les patients qu’un seul jour par semaine.
Des critères théoriques qu’il faut confronter à la réalité du terrain
L’antenne pharmaceutique est un concept nouveau, du moins en ce qui concerne son application sur le terrain. Un modèle que l’on a pu croire voué à l’échec, après l’expérience ratée de Tende, commune des Alpes-Maritimes qui avait obtenu l’autorisation de l’ARS de PACA pour ouvrir une antenne mais n’a jamais vu le jour, faute de pouvoir recruter un pharmacien diplômé pour en assurer la gestion. L’ expérimentation des antennes s’inscrit toujours dans le cadre de l’article 51, qui permet de tester des organisations innovantes en santé, à l’instar du dispositif OSyS. La direction générale de l’offre de soins (DGOS) a décidé d’autoriser douze projets d’antennes dans six régions. Les agences régionales de santé (ARS) ont ensuite charge d’identifier les territoires et les communes où l’ouverture d’une antenne peut être envisagée, selon différents critères. « Le premier d’entre eux, c’est trouver des pharmaciens intéressés pour être porteurs de projets, rappelle tout d’abord Christophe Bonnier, directeur adjoint à la direction des projets de l’ARS d’Occitanie, qui a récemment validé trois projets d’antennes dans la région. On prend en compte les communes d'implantation, la date de fermeture de l'officine, la distance avec les pharmacies adjacentes, la qualité de l’accès aux médicaments pour la population locale, la typologie et l’âge moyen de cette population et celle des communes autour, l’existence ou non de transports en commun, la distance avec la pharmacie-mère… Ce sont des critères théoriques que l'on confronte ensuite à la réalité du terrain. Il nous faut absolument un consensus au niveau des professionnels de santé du secteur », détaille-t-il. Autres conditions à respecter, la présence d’au moins deux pharmaciens diplômés sur le projet et l’obligation d’ouvrir au moins deux demi-journées par semaine.
Parmi les dossiers retenus et validés par l’ARS d’Occitanie, celui de Puycasquier, village gersois qui a vu son officine fermée en début d’année mais aussi celui de Châteauneuf-de-Randon, en Lozère. Ce dernier est porté par Jessica Brugeron, une jeune titulaire installée depuis six ans dans le village voisin de Bagnols-les-Bains. « À l’origine, mon idée était de racheter la licence et de permettre à un jeune pharmacien de s'installer, puis il y a eu cette possibilité d'ouvrir des antennes de pharmacie. J’ai été la seule à défendre cette idée », témoigne l’officinale, originaire de la région et très investie pour la défense de l’accès aux soins dans son département, le moins peuplé de France. Sa volonté de prendre la responsabilité de cette antenne ne lui a pas valu que des compliments. « On m'a prévenu que j'allais me mettre des gens à dos, que j’allais y laisser des billes. » Depuis la fermeture de l’ancienne pharmacie de Châteauneuf, des patients du village ont en effet pris l’habitude de se rendre dans d’autres officines, qui craignent aujourd’hui d’être pénalisées par l’ouverture de l’antenne. Pas suffisant pour faire reculer Jessica Brugeron, qui a déjà recruté une jeune diplômée pour s’occuper de l’antenne, deux jours et demi par semaine à partir du 5 août. « Le local (un ancien musée mis à disposition par la mairie), c’était un rectangle blanc et vide. La mairie nous a offert le gros œuvre, notamment pour aménager une salle d'orthopédie où l'on pourra aussi proposer la vaccination. Les charges et le loyer sont offerts par la commune pendant le temps de l'expérimentation. L'ARS participe également beaucoup financièrement, il ne reste à ma charge que quelques éléments d'ameublement, très peu au global. » En plus de cela, les ARS versent une subvention de 12 000 euros par an pour soutenir chaque antenne. Pour Jessica Brugeron, c’est maintenant une aventure de trois ans qui commence, avec la volonté de faire de l’antenne une pharmacie à part entière, qui puisse apporter les mêmes services qu’une officine traditionnelle, le tout, en étant rentable. « On espère aussi que cela va convaincre un médecin de revenir au village », ajoute-t-elle.
Un risque de déstabiliser le maillage ?
Modèle d’avenir ou bien simple pansement sur une jambe de bois ? Du côté des syndicats de pharmaciens, le regard porté sur ce concept est aujourd’hui mitigé. « Je crois à ce modèle, confie Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Il faut cependant avoir des points de vigilance, notamment sur la distance entre la pharmacie-mère et l’antenne. » Opinion plus réservée encore du côté de Lucie Bourdy-Dubois, présidente de la commission métier de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). « Maintenir une offre pharmaceutique, c’est évidemment positif. Cela dit, des questions se posent. Celui de la multipropriété premièrement. Un seul et même pharmacien se retrouve à la tête de deux points de vente, or, il est toujours préférable qu’une officine soit dirigée par un titulaire en toute indépendance. L’autre point d’attention que nous avons mis en avant, ce sont les conséquences pour les autres pharmacies du secteur, est-ce que ces antennes ne vont pas fragiliser le réseau ? », interroge-t-elle. « La DGOS a voulu une expérimentation volontairement large et vague, pour avoir différents cas de figure. Sur les projets validés, certains nous semblent vertueux et apportent un vrai service à des populations qui en avaient besoin. En revanche, quand la pharmacie-mère n’est pas la plus proche et se situe même à 30 km, ou quand on en ouvre une alors qu’il y a sept officines dans un rayon de 15 km, on n’est pas dans l’esprit de ce que doit être une antenne », regrette-t-elle.
Dans deux ans, ou peut-être un peu plus, (voir page 5), quand l’expérimentation des antennes de pharmacie prendra fin, il sera alors possible de savoir si ce modèle peut avoir un avenir. Pour Lucie Bourdy-Dubois, il faut d’ores et déjà envisager un cadre plus strict si l’on veut que l’antenne de pharmacie puisse remplir ses objectifs sans nuire à son écosystème. « Si le modèle de l’antenne est pérennisé, il faut des garde-fous. Pour nous, la meilleure antenne, c’est une pharmacie qui ne ferme pas. Les conséquences financières que peut provoquer l’ouverture d’une antenne pour les officines alentour, c’est un point qu’il faut surveiller de très près. »
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