L’hiver a été long, très long pour le cannabis thérapeutique en France : voilà des mois que la possibilité que l’Hexagone rejoigne la liste des vingt-deux pays européens qui autorisent le produit restait à l’état de projet.
Pour rappel, après trois ans d’inclusion de patients atteints de pathologies graves en impasse thérapeutique (douleurs neuropathiques réfractaires, épilepsies sévères pharmacorésistantes, symptômes rebelles en oncologie, situations palliatives, spasticité douloureuse de la sclérose en plaques), l’expérimentation du cannabis thérapeutique coordonnée par l’Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM) a pris fin en mars 2024. Depuis, aucun nouveau malade ne pouvait plus accéder au produit. Et même les participants déjà inclus, autorisés de manière dérogatoire à poursuivre le traitement, enchaînaient les périodes de sursis.
Mais les vents semblent désormais plus favorables… Et ce printemps est porteur d’une bonne nouvelle : la prolongation de l’accès au cannabis pour les patients de l’expérimentation jusqu’en mars 2026… « le temps de la généralisation » : la perspective d’une autorisation du produit en bonne et due forme est ainsi officiellement ouverte. Mais l’ère du cannabis thérapeutique est-elle réellement sur le point de s’ouvrir ?
Une première phase réglementaire est d’ores et déjà engagée, les textes d’autorisation ayant été notifiés à la Commission européenne – qui doit « vérifier que la réglementation française n’aura pas d’impact négatif sur le marché commun européen », explique Ludovic Rachou, président de l'Union des industriels pour la valorisation des extraits de chanvre (UIVEC). « Cela ne devrait pas poser problème », prévoit-il, confiant.
Néanmoins, cette saison administrative pourrait se prolonger : en cas de verdict positif de la Commission européenne, les textes devront ensuite passer devant le Conseil d’État. « Avec les congés d’été, il y a peu de chance que les textes soient adoptés avant septembre », estime Ludovic Rachou.
Un manque de données d’efficacité ?
En outre, la Haute Autorité de santé (HAS) doit elle aussi évaluer l’intérêt du produit en vue d’une éventuelle prise en charge par la sécurité sociale. « Une saisine a bien été reçue », confirme l’instance, dont les conclusions seront capitales. « La HAS a réellement le pouvoir d’enterrer le cannabis médical », souligne Ludovic Rachou. Or difficile de prévoir la position de la HAS au regard d’un déficit de données d’essais cliniques. En fait, il y a bien quelques données sur l’effet du cannabis dans les indications retenues par l’expérimentation française. D’un point de vue physiopathologique, « cela fait des années que la recherche a montré que les récepteurs aux cannabinoïdes sont impliqués dans la régulation de la douleur et dans la motricité musculaire », indique Éric Serra, chef du service du centre d’étude et de traitement de la douleur du CHU d’Amiens et président de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD).
Et quelques essais cliniques ont été conduits avec certains cannabinoïdes. D’où d’ailleurs le développement de médicaments contenant du CBD ou du THC tels que le Marinol ou le Sativex – cependant respectivement non commercialisés en France, faute d’accord sur le prix, ou disponibles seulement en accès compassionnel.
Mais avec l’huile de cannabis ou autre produit directement issu de la plante, seules des études de cohorte sont disponibles. À l’instar de l’expérimentation française - qui a néanmoins apporté quelques données supplémentaires : « le cannabis a apporté un soulagement significatif à 35 % des plus de 3 000 patients inclus », résume le Pr Nicolas Authier, psychiatre et pharmacologue au CHU de Clermont-Ferrand. Et ce, pour un profil de sécurité rassurant. « Ont surtout été décrits quelques effets indésirables d’ordre neurologique ou psychiatrique (fatigue et somnolence, anxiété), des manifestations digestives peu spécifiques, et quelques symptômes cardiovasculaires (palpitations) », détaille le pharmacologue. Très peu de cas d’accoutumance et de dépendance physiologique ont été observés.
Aussi, globalement, le niveau de preuve de l’intérêt du cannabis thérapeutique reste toutefois modeste. « L’ouverture d’un accès compassionnel au cannabis thérapeutique dans d’autres pays a probablement encouragé à ne pas aller plus loin en termes de recherche », déplore le Pr Authier. Et l’expérimentation française visait avant tout à s’assurer de la faisabilité de la mise à disposition du cannabis thérapeutique – et non à confirmer son rapport bénéfices/risques.
« On a pris le temps de s’acculturer au cannabis médical, de rassurer les pouvoirs publics, de montrer que le cannabis n’est pas autre chose qu’un médicament
Pr Nicolas Authier, psychiatre et pharmacologue au CHU de Clermont-Ferrand
Un produit bien accepté
De surcroît, même si la HAS venait à juger favorablement le cannabis thérapeutique, reste à savoir dans quelle mesure il pourrait réellement être utilisé en routine.
Certes, le cannabis médical apparaît bien accepté sur le plan sociétal. Et ce, côté politique - le ministre de la Santé a affirmé haut et fort ce mois de mars la différence entre cannabis thérapeutique et cannabis récréatif – comme côté patients. « Des individus qui ont vu mon nom dans la liste des pharmaciens agréés par l’ANSM pour délivrer du cannabis thérapeutique se présentent spontanément à l’officine pour demander du cannabis médical », rapporte Michel Leroy, pharmacien à Paris qui a pris part à l’expérimentation. « Des patients nous consultent avec leur journal sous le bras, et nous demandent s’ils peuvent avoir du cannabis thérapeutique », constate aussi le Pr Céline Louapre, neurologue à la Pitié-Salpêtrière et secrétaire adjointe de la Société française de neurologie (SFN).
Dans le même esprit, les professionnels de santé sont également ouverts au produit. « Si des patients, même minoritaires, peuvent être soulagés par le cannabis thérapeutique, il ne faut pas les priver de ce produit », estime Michel Leroy, côté pharmaciens. De même, côté prescripteurs, « le cannabis est vu d’un très bon œil, comme un outil supplémentaire à essayer dans des situations où les médicaments disponibles ne fonctionnent pas très bien », résume le Pr Louapre. Son de cloche similaire chez les spécialistes de la douleur. D’autant que, estime le Pr Serra, la perception de la douleur a changé au sein de la communauté médicale : « l’époque où on pensait qu’abaisser la douleur gênait l’observation de l’évolution de la maladie est révolue. »
Lourdeur administrative et manque de guidelines
Mais ce volontarisme pourrait ne pas suffire, et se heurter à des problèmes pratiques liés au fort encadrement du produit. À commencer par une charge administrative élevée. « Pendant l’expérimentation, les médecins devaient remplir un registre, tâche très chronophage », se souvient Ludovic Rachou. Sans compter la masse des rendez-vous de renouvellement des ordonnances - sécurisées. « Il semble que le traitement à base de THC devra continuer d’être renouvelé tous les 28 jours », déplore le Dr Thomas Roux, neurologue à la Pitié-Salpêtrière.
Une obligation de participation à la formation de l’ANSM pour les médecins et les pharmaciens pourrait aussi freiner les ardeurs. « Cette exigence de formation obligatoire, identifiée comme un flop pendant l’expérimentation, et qui n’existe pas pour les autres médicaments - figure toujours dans le texte présenté à la Commission européenne », note Ludovic Rachou.
Parallèlement, des outils d’aide à la prescription du cannabis thérapeutique réellement utiles continuent de manquer. L’adaptation du traitement « reste pour le moment une espèce de cuisine », témoigne le Dr Roux alors même que « les huiles et les fleurs de cannabis permettent (justement) d’adapter le ratio CBD/THC à chaque patient, et ainsi de personnaliser le traitement – contrairement aux médicaments existants comme le Sativex », relève le Pr Louapre. Néanmoins, la neurologue dédramatise. « Comme pour chaque nouveau produit, nous allons élaborer de bonnes pratiques de prescription ; en neurologie, nous réfléchissons déjà à conserver des échelles d’évaluation de la spasticité et de la douleur spécifiques qui se sont avérées utiles pendant l’expérimentation. »
En outre, à l’instar des autres produits de santé, le cannabis thérapeutique pourrait ne pas échapper aux problématiques de tensions d’approvisionnement. « Des ruptures temporaires – de seulement un à deux mois - ont pu freiner les inclusions pendant l’expérimentation », reconnaît Ludovic Rachou. Le développement d’une filière française – encore balbutiante – pourrait contribuer à sécuriser le produit. « En tout cas, contrairement à d’autres pays, la France n’ayant pas fait le choix de la préparation magistrale, elle a une carte à jouer en élaborant de nouvelles galéniques. » D’autant que les formes mises à disposition jusqu’à présent sont perfectibles : même avec les huiles, des patients ont pu rapporter « que les flacons fuyaient ou que les graduations de pipettes apparaissaient peu lisibles », admet le Dr Roux.
Au total, l’expérimentation semble avoir bien préparé les esprits. « On a pris le temps de s’acculturer au cannabis médical, de rassurer les pouvoirs publics, de montrer que le cannabis n’est pas autre chose qu’un médicament », juge le Pr Authier. Pour l’heure, le projet semble s’orienter vers une phase exclusivement administrative. « Depuis un an, nous sommes entrés dans un temps purement réglementaire », pas forcément gage de bénéfice et à l’issue incertaine. « Or certains patients qui souffrent ne peuvent pas attendre : il faudrait reprendre les inclusions, au moins pour certaines indications comme les soins palliatifs », insiste le pharmacologue. Plus largement, la poursuite des recherches sur le cannabis thérapeutique est souhaitable. « Ce n’est pas parce qu’on donne accès à un produit que la recherche doit s’arrêter. »
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