On sait aujourd’hui quelles familles de médicaments sont les plus dangereuses pour l’environnement, en particulier pour les animaux : antibiotiques, antidépresseurs, anticancéreux et hormones stéroïdiennes essentiellement. Et l’impact des résidus médicamenteux dans la nature est connu : féminisation de poissons mâles, espèces en danger, bactéries hyper-résistantes… Mais ces répercussions restent sous-estimées et les efforts pour les réduire insuffisants. Les premiers effets néfastes de résidus médicamenteux constatés sur les animaux remontent pourtant aux années 1960. Curieusement, certes espèces de poissons d’eau douce (par exemple les vairons) se démasculinisaient, d’où une altération de leur reproduction. En cause, la présence dans l’eau d’hormones comme les œstrogènes, même à des concentrations très faibles (3 ng/L).
Poissons, phoques, loutres…
Les pilules contraceptives, les phytoestrogènes et les anticancéreux comme le tamoxifène ne sont pas les seuls perturbateurs endocriniens retrouvés dans la nature. Des substances chimiques industrielles comme les plastifiants, les pesticides, les hydrocarbures aromatiques également. Mais les effets des différents perturbateurs endocriniens - observés aussi chez les reptiles, les alligators de Floride, les phoques de la Baltique, les loutres, les invertébrés et les oiseaux piscivores - peuvent interagir ou se renforcer en se mélangeant (« effet cocktail » ). Or certains, aujourd’hui interdits dans les pays occidentaux, comme le fameux DDT et le tributylétain utilisé dans les antifoulings de bateaux, sont faiblement biodégradables.
Les firmes pharmaceutiques doivent certes analyser l’impact environnemental de leurs produits avant toute mise sur le marché, de la production à l’élimination (Environmental Risk Assessment), mais un impact jugé négatif du médicament ne peut pas empêcher la commercialisation. L’analyse reste donc à ce jour informative.
Des lueurs d’espoir cependant : une méthode est délivrée par l’Agence européenne du médicament (EMA) et certaines entreprises analysent leurs produits déjà commercialisés. En France, Sanofi, par exemple, a une démarche anticipative sur la gestion de ses principes actifs et sur leurs potentiels résidus se retrouvant dans les eaux rejetées dans l’environnement. Des stations d’épuration (STEP) existent aussi sur certains sites pharmaceutiques pour réduire la concentration de certains composants chimiques utilisés pour la production de médicaments. C’est positif mais modeste. De leur côté, les stations d’épuration des eaux usées n’agissent en général pas sur les résidus médicamenteux présents dans les eaux de sortie alors qu’un traitement plus efficace, prenant en compte les principes actifs et leurs métabolites, est possible. Mais l’investissement est coûteux.
Vautours en danger
Autre exemple de médicament hautement toxique qui pourrait éradiquer une espèce, en l’occurrence les vautours : le diclofénac vétérinaire, interdit en France mais autorisé dans d’autres pays européens dont l’Espagne depuis 2013. Les oiseaux nécrophages peuvent en effet se nourrir de la chair d’animaux d’élevage morts traités. Pourtant, là encore, le phénomène est connu : en Inde, dans les années 1990, 1 % des carcasses de vaches contaminées par cet AINS ont suffi à éliminer 95 % de la population de vautours. En France, l’alerte a été donnée en mai 2021 dans la revue Science : des scientifiques européens y signalaient un premier cas d’intoxication au diclofénac d’un vautour moine, le plus grand vautour européen, inscrit sur la liste rouge des espèces menacées en France. Si ce vautour a pu être retrouvé mort dans son nid grâce à sa balise GPS - dont peu d’oiseaux sont équipés à cause de son coût, environ 3 000 euros -, d’autres sont vraisemblablement morts pour la même raison. En Espagne, les placettes d’équarrissage où les carcasses étaient contrôlées ont été supprimées et la population peut ainsi déposer en pleine nature des carcasses d’animaux possiblement traitées au diclofénac. Auparavant, quatre vautours fauves avaient été empoisonnés par la flunixine, un autre AINS toxique pour les oiseaux nécrophages. Les vautours - moine, fauve, percnoptère et gypaète barbu - présents dans l’Hexagone, notamment dans les Pyrénées, ne sont pas à l’abri de cette menace car les jeunes passent leurs premières années de vie en Espagne*.
Pour prévenir l’extinction de ces espèces déjà en danger, les scientifiques ont demandé l’interdiction de toute urgence, dans toute l’Europe, du diclofénac et d’autres AINS toxiques et, si besoin, l’utilisation, à la place, d’autres médicaments vétérinaires connus sans danger pour les vautours, comme le méloxicam. Jusqu’ici, pas de réaction…
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