Stimulons un peu notre mémoire de pharmacien : qui se souvient de Sauba, Parke-Davis, Millot-Solac, Roussel-Uclaf ou Oberlin ? Autant de noms qui ont peu à peu disparu, à mesure que les fusions et les rachats ont concentré l’Industrie pharmaceutique.
De même, seuls les lecteurs historiques du « Quotidien » auront connu les livraisons de Repha-Thomas, Recophar ou Droguerie Martin. Ces répartiteurs ont eux aussi été absorbés au fil des ans, dans la nécessaire course à la taille critique qu’a connue la répartition pharmaceutique.
La production pharmaceutique et sa logistique ont donc profondément évolué en quelques décennies, au point de se transformer en mégastructures internationales qui ont pour nom Sanofi ou Pfizer pour l’industrie, et Phoenix-OCP ou Alliance Healthcare pour la répartition.
Mais qu’en est-il du retail, c’est-à-dire le dernier maillon de la chaîne de distribution, en l’espèce l’officine ? À l’heure des rapprochements entre Mylan et Upjohn (qui a donné naissance à Viatris) ou entre OCP et Phoenix, qui contribuent à encore concentrer l’univers pharmaceutique, comment réagissent ces groupements ?
Ça bouge enfin !
Les grandes manœuvres ont commencé il y a quelques années déjà, et semblent devoir s’accélérer. OCP a entamé son « marché » en réunissant en son giron PHR et Réseau Santé, en plus de son groupement historique Pharmactiv. Son rapprochement avec Phoenix, qui détient Pharmavie, va encore renforcer sa part dans le retail. Reste à savoir comment seront gérées ces différentes structures aux typologies assez différentes. De son côté, Univers Pharmacie a pris une participation majoritaire au sein de Forum Santé dès 2017. Et en 2022, c’est Boticinal qui a successivement pris les rênes de Dynamis, puis Ceido.
Il est vrai aussi que l’arrivée de fonds d’investissement a permis de donner d’importants moyens financiers à certains groupements pour assurer leur développement. C’est le cas d’Hygie 31 (la holding de Lafayette) qui a repris Pharmacorp en 2022 et Pharmacyal en 2023. Ou de PSD (Pharma Santé Développement) qui a absorbé coup sur coup Nepenthes et G1000 fin 2019, puis Optipharm début 2022, en plus de sa structure originelle PGS (Pharma Group Santé). Et tout récemment, c’est l’assureur AXA qui est entré au capital du tout jeune groupement Mediprix. Sans compter que des groupements déjà très engagés dans l'indépendance des pharmaciens se décident aussi à se regrouper. Ainsi les deux fédérations de groupements régionaux indépendants Apsara (7 groupements – 600 pharmacies adhérentes) et Agir Pharma (5 groupements – 400 pharmacies adhérentes) ont décidé de se rassembler autour d’une même bannière.
Certains groupements pionniers demeurent seuls
Reste que, à ce jour, toutes les structures historiques n’ont pas encore entamé leur course à la croissance externe. Et certains groupements pionniers demeurent seuls (certains diront isolés). Ainsi, ni Giphar, ni Giropharm n’ont annoncé une volonté de rapprochement avec d’autres structures. Soulignons, concernant ces deux groupements historiques, que les ressemblances ne s’arrêtent pas à leurs seuls noms ! En effet, ces deux coopératives ont des fonctionnements vraiment similaires et leur engagement dans les nouvelles pratiques servicielles n’est plus à démontrer. La logique voudrait qu’en cette période propice à la mutualisation de moyens, ces groupements « cousins » passent à l’action. À suivre donc…
Quant à Evolupharm, autre structure pionnière, son fonctionnement paraît proche de celui d'un laboratoire pharmaceutique… dont il a d'ailleurs le statut. Et sa réussite tient plus à ses nombreuses diversifications (MAD, MDD, génériques) qu'à la fédération des officines constituant son réseau. Ce positionnement particulier le rend assez unique… et désirable !
Dans l’univers des répartiteurs, Astera qui détient LPA (Les Pharmaciens Associés, rebaptisé Santalis), et Alliance Healthcare, qui détient Alphega, ne semblent pas chercher à faire croître leur activité retail. Mais les besoins et les moyens d’une petite officine rurale n’ont plus grand-chose à voir avec les besoins et les moyens d’une grosse officine urbaine ou de centre commercial. Les groupements spécialisés l’ont bien compris, eux qui offrent des prestations adaptées à telle ou telle typologie de pharmacies : naturalité, discount, mégastore, etc.
C’est dans cette optique que la Coopérative Welcoop, qui détenait déjà le groupement généraliste Objectif Pharma, a repris en 2017 la structure Anton & Willem, dédiée à la naturalité. De même Elsie et Pharmabest sont des structures qui n’accueillent en leur sein que de très grosses officines.
Dans cet univers déjà très fourni, et qui tente lentement de se concentrer, de nouveaux groupements de pharmacies ont pourtant fait leur apparition, contribuant ainsi à entretenir l’éclatement de ce marché :
- Mediprix s’est lancé en 2016 et a séduit en quelques années 200 pharmacies.
- Apothical s’est aussi lancé en 2016 et compte à ce jour plus de 60 officines.
D’ailleurs, alors qu’on parle de volonté de concentration des groupements, le site comparateur de groupements choisirmongroupement.com mentionne à ce jour plus de 150 groupements régionaux ou nationaux, rien qu’en métropole.
Et un des leaders du générique avoue signer chaque année plus de 120 accords avec des groupements !
Comment analyser cette double tendance paradoxale ? Le modèle économique historique du groupement consiste à prendre des honoraires proportionnels aux montants des achats générés par ses adhérents. Cette méthode reste (très) rémunératrice et fonctionne même pour des petits groupements régionaux. Et là est la perversion d’un système qui génère trop facilement la création de nombreux groupements d’intérêt économique (GIE), sans autre valeur ajoutée. Ces petites structures locorégionales n’ayant pas vraiment l’intention d’accompagner leurs adhérents sur le périmètre santé.
Quid des services proposés ?
Or nous sommes désormais à l’ère de la pharmacie servicielle, et plus que jamais, c’est aux groupements d’accompagner les pharmaciens dans ce virage stratégique des nouvelles pratiques professionnelles. Si les syndicats négocient et signent avec les autorités de tutelle, c’est bien aux groupements que revient la tâche ardue d’accompagner les pharmaciens au quotidien dans la mise en place des nouvelles missions. Ces GIE et autres groupements locorégionaux sauront-ils engager leurs adhérents dans une démarche de certification qualité ? Sauront-ils décrypter et expliquer à leurs adhérents le contenu de la nouvelle convention pharmaceutique, avec ses nombreuses missions et le modèle économique qui s’y rapporte ? Et sauront-ils participer au financement des primo installés et les accompagner durant leurs premiers pas en tant que titulaires ? Non, bien sûr. Car ces petites structures n’en ont ni les moyens humains, ni le savoir-faire.
La pharmacie d’officine vit un virage historique, avec de nouvelles pratiques axées sur les services et un modèle économique basé essentiellement sur des honoraires et des ROSP. Le choix d’un groupement est donc devenu un acte majeur et très engageant pour un titulaire. Et à l’heure de la multiplication des missions de santé publique (vaccinations, dépistages, accompagnements des patients), le pharmacien moderne a plus que jamais besoin du soutien de son groupement pour s’approprier ces nouvelles pratiques, qui vont de plus en plus peser dans sa rémunération.
Le hic, c’est que, à ce jour, les groupements nationaux n’ont pas encore trouvé le modèle économique qui leur permettrait de financer le nécessaire soutien à apporter à leurs adhérents dans le domaine de la santé. Reste à se concentrer pour mutualiser les investissements. Fiançailles et mariages en vue !
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