Pourquoi s'engager pour une pharmacie plus écoresponsable ? Les raisons évoquées par les groupements sont nombreuses, mais trois reviennent le plus souvent : réagir face à une urgence écologique toujours plus pressante, répondre à une demande tant des patients que des pharmaciens, et gagner en visibilité dans un domaine de plus en plus concurrentiel.
Répondre à une demande de plus en plus forte
Auparavant considérés comme une simple mode, l’écologie, le bio, le naturel, représentent aujourd’hui une préoccupation majeure. Les Français placent désormais l'environnement en seconde place des priorités auxquelles le gouvernement devrait s’attaquer (1). Une préoccupation que l'on retrouve chez les pharmaciens eux-mêmes. « Il y a une demande, surtout venant de la nouvelle génération de pharmaciens », affirme Alexis Berreby, cofondateur de Leadersanté Groupe, dont plus de 15 % des adhérents s'impliquent dans une démarche écoresponsable. Un constat partagé par la totalité des autres groupements. Leurs adhérents, en particulier les plus jeunes, sont de plus en plus nombreux à vouloir entamer des actions écoresponsables au sein de leurs officines.
Cette évolution n’a rien de surprenant pour Philippe Besnard, président de Pharma Santé Développement : « Les pharmaciens se sont déjà naturellement saisis du sujet, avec la gestion des déchets et du recyclage. Il y a un clair changement d’attitude et de compréhension de ces enjeux de la part des pharmaciens et des patients. » Ces initiatives ne sont toutefois plus suffisantes pour répondre aux enjeux climatiques ainsi qu'à la demande des patients. En effet, ces derniers s'interrogent désormais sur l'origine de leurs produits et recherchent des médicaments, mais également des accessoires (sacs, boîtes…) plus respectueux de l'environnement. Pour les attirer et les fidéliser, les pharmacies mettent en avant des gammes de produits locaux et écologiques, tout en travaillant sur leur façade extérieure.
Un devoir
Pour beaucoup de groupements, cette implication va plus loin qu'une simple démarche commerciale. Selon Jérôme Escojido, cofondateur de Médiprix, « l'enjeu climatique est d'une telle importance que les petites actions ne suffisent plus. Un engagement majeur des groupements et de leurs pharmaciens est indispensable, et nous avons tous des adhérents motivés qui nous poussent à toujours plus d'innovations dans ce sens. Une révolution globale est en marche au niveau mondial avec des enjeux décisifs pour la planète et notre avenir. Toutefois, cette transformation est d'une telle envergure et d'une importance si capitale pour le futur que l'adhésion de tous les acteurs du secteur sera indispensable pour réussir ». L'heure n'est plus aux petites actions personnelles et aux écogestes, mais à un changement de paradigme pour toute la chaîne pharmaceutique. Un changement qui ne pourra se faire qu'avec la coopération des groupements, mais aussi des laboratoires, des distributeurs et des pharmaciens.
Certains pharmaciens considèrent que cet engagement est de leur devoir. « Notre philosophie, ce n'est pas la rentabilité, mais la création de valeur et de sens métier. Améliorer la qualité de vie de nos patients et de notre personnel est une évidence », témoigne Daniel Buchinger, président d'Univers Pharmacie.
Franchir le cap
Signe de l'implication de la profession, la convention pharmaceutique signée avec les pouvoirs publics intègre désormais une dimension RSE. De même, les nouvelles normes de consommation et la hausse des prix de l'énergie poussent à la métamorphose de l'officine elle-même. Il sera de plus en plus compliqué pour les pharmaciens de ne pas franchir le cap de la démarche écoresponsable.
Du côté des groupements, face à cette triple demande (patients, pharmaciens, législateur), ne pas progresser sur ce terrain risquerait d'être préjudiciable dans le futur. Car l'écoresponsabilité est aujourd’hui une valeur ajoutée qui permet aux groupements d'accroître leur réputation auprès des patients et des pharmaciens. Elle représente aussi une source de revenus potentiels grâce aux économies d’énergie réalisées et à la fidélisation d’une patientèle exigeante. Le recours à des acteurs locaux apporte également une plus grande résilience face aux perturbations de la chaîne logistique et permet de bénéficier de circuits d'approvisionnements plus courts.
« C'est aujourd'hui le meilleur moment pour se lancer car après, ce sera trop tard. Le changement climatique, c'est une lame de fond qui va tous nous emporter. Il faut la saisir, plutôt que la subir », affirme Gilles Unglik, directeur général opérationnel de Giropharm.
Pour Sébastien de Larminat, directeur général de Totum, « la question est de savoir quelles actions nous mettons derrière le mot écoresponsable. Quand on est une industrie, il faut qu’on impacte principalement le domaine industriel qui est le nôtre ». Les groupements s'y prennent de multiples manières.
Une question, des dizaines de réponses.
Certaines actions font consensus au sein des groupements. Les plus communes sont la sensibilisation des adhérents aux gestes écoresponsable, comme le recyclage des déchets médicaux ou la réduction de la consommation d'énergie (voir page 27 « La pharmacie zéro carbone est-elle possible ? »). Les pharmaciens lancent ensuite les actions nécessaires, comme opter pour un éclairage basse consommation, ou choisir des vélos ou des véhicules hybrides pour délivrer les médicaments aux patients. Des initiatives qui se font aussi au siège des groupements, afin de montrer l'exemple aux adhérents (voir page 29 « Quand l’exemple vient d’en haut »). L'utilisation de matériel plus écologique, comme des sacs et des emballages en papier réutilisables plutôt que du plastique est également particulièrement répandu.
D'autres changements se font à l'échelle du groupement lui-même, plutôt qu'à celle de ses pharmacies adhérentes. Il s'agit par exemple de la mise en place de partenariats avec des laboratoires locaux afin d'augmenter la part de médicaments et produits (compléments alimentaires par exemple) « Made in France ». De nombreux groupements numérisent également leurs activités afin de faire des économies et de réduire la consommation de papier.
Deux types de groupements se distinguent : ceux qui proposent des conditions et des services et ceux qui proposent des stratégies extrêmement cadrées. PUCPharma a opté pour un compromis entre ces deux postures. « Plutôt qu'imposer une stratégie à l'adhérent, nous lui proposons 6 axes différents, dont un autour de la pharmacie écoresponsable, avec pour objectif de l'accompagner dans la voie qu'il a choisie », explique Didier Le Bail, président de PUCPharma. Au programme : une académie de formation avec plusieurs cursus et spécialisations (aromathérapie, phytonutrition…) et une liste de partenaires locaux proposant des services et des produits différenciants.
Certains groupements inscrivent leur action hors des sentiers battus. Ainsi, Pharmabest s'est associé avec l'entreprise Reforest’Action et finance la plantation de 10 000 arbres chaque année en France et dans d'autres pays du monde. De son côté, LafSanté, dans le cadre de son partenariat avec le mouvement écologique « 1 % pour la Planète », reverse 1 % du prix de vente de sa crème solaire naturelle Onisis à des associations environnementales qui luttent contre la pollution des océans. D'autres encore, comme LeaderSanté n'oublient pas que l'écoresponsabilité inclut également l'humain, avec des actions caritatives contre le cancer du sein ou en faveur des femmes victimes de violences.
Le réseau Apsara (2), lui, présente une réponse relativement unifiée, puisque les différents groupements partagent leurs réflexions et coordonnent leurs actions. Ces dernières sont réparties entre 3 axes : la responsabilité économique (choix d'acteurs locaux tout en garantissant la qualité des produits et des services proposés), la responsabilité sociale (garantir l'hygiène, la sécurité et le droit des salariés) et la responsabilité environnementale (réduction de l'impact carbone, utilisation des ressources de manière responsable, etc.). « Les résultats ne sont pas encore mesurés, mais l'évolution se fait petit à petit », affirme Jean-Claude Pothier, président de D.P.G.S et directeur général d'Apsara. Le réseau a d'ailleurs conçu un guide pour la pharmacie écoresponsable en 2021, dont la nouvelle version est sortie en août 2022, afin d'accompagner les officines certifiées Iso 9 001.
Giropharm, qui a récemment dévoilé d’ambitieux plans pour la RSE et en particulier l’écoresponsabilité, se focalise actuellement sur l’optimisation de la gestion des déchets, la priorisation des acteurs français et locaux dans ses nouveaux partenariats, et la sensibilisation des patients à la problématique de l’environnement, notamment via sa mascotte Lili. Signe de cet investissement, le groupement compte financer des diagnostics et des plans d'actions pour ses adhérents afin de les accompagner dans leur démarche éco-responsable, mais aussi lancer des formations sur le sujet.
Il n'existe pas officiellement de système unifié de certification pharmacie écoresponsable, bien que Pharma Système Qualité y réfléchisse (voir page 32). De nombreux groupements cependant ont créé leur label. Ainsi, Alphaga Pharmacie a monté depuis plus de 10 ans son propre programme de certification interne. À travers ce dernier, le groupement met à la disposition de ses adhérents des outils pour les accompagner tout au long de leurs démarches écoresponsables : guides sur l'organisation interne de la pharmacie, la collecte des déchets, le lancement d'un projet écoresponsable, avec des affiches pour communiquer sur ces sujets. Une initiative qu'a également amorcée Univers Pharmacie « Nous n'en sommes pour l'instant qu'au déploiement », annonce son président, Daniel Buchinger.
Certains groupements vont au-delà des démarches écoresponsables : ils ont construit leur identité autour de ce thème. C'est le cas de Pharm O'naturel, présent sur cette thématique depuis 15 ans, qui a poussé ses efforts jusqu'à la création d'un concept store 100 % écologique pour ses officines, en s'associant avec des entreprises d'écoconstruction dédiées. Un engagement assumé : « Aujourd’hui, nous sommes plus que jamais dans une période où il faut affirmer ses choix et être cohérent avec ces derniers. Une pharmacie qui vend des produits écoresponsables mais utilise un éclairage polluant et énergivore manque de cohérence », déclare Denis Fragne, directeur général délégué en charge du développement réseau.
Mediprix, particulièrement engagé et volontaire sur la quasi-totalité des initiatives écoresponsables citées jusqu'à présent, utilise sa carte de fidélité pour financer des projets écologiques. Concrètement, lorsqu'un patient achète un produit naturel de certains laboratoires partenaires du groupement, il cumule des points sur sa carte de fidélité, carte qui lui permet d'obtenir des cadeaux (sacs, produits bonus, réductions). Le laboratoire concerné reverse une partie du bénéfice issu de cet achat à une association écologiste. Un système gagnant-gagnant, qui encourage le patient à s'orienter vers des produits naturels et récompense les laboratoires les plus vertueux en donnant plus d'exposition à leurs produits.
Giphar privilégie les ingrédients d'origine naturelle pour sa marque propre et fabrique en France jusqu'à 85 % de ses produits. Le groupement s'est également associé à des imprimeurs certifiés Imprim’vert pour ses supports papiers. Évolupharm s'est engagé à ce que ses produits (compléments alimentaires, produits d'hygiène pour enfants, nettoyants…) en MDD (marques de distributeurs), qu'ils soient en développement ou en reformulation, soient certifiés par Ecocert, un label pour les produits biologiques et écologiques.
« La France est un des pays qui consomme le plus de médicaments au monde, rappelle Grégoire Vergniaud, directeur de la communication de Totum. C'est en agissant au niveau de leur conception, mais aussi de leur distribution, que les groupements peuvent réduire le plus fortement leur impact environnemental. » La mutualisation des livraisons du dernier kilomètre, afin de réduire la pollution engendrée par les véhicules, est une des pistes étudiées par le groupement.
Le groupement a également créé TotumLab, un fonds de dotation qui mène des projets d'études et d'expérimentations sur la transformation des pratiques officinales pour améliorer la santé des Français. Un de ses objectifs est de réduire le nombre de prescriptions médicamenteuses inutiles. Et de limiter d'autant les rejets dans l'environnement, notamment dans le milieu aquatique (3). Un enjeu important pour Totum : « favoriser la baisse de la consommation ne sera possible qu'en faisant évoluer nos pratiques officinales », conclut Grégoire Vergniaud.
Une démarche fructueuse
Marc Brotelande, président d’Unipharm Basse-Normandie, note que l'écoresponsabilité est très bien perçue par les patients, qui recherchent des produits français et locaux. Une bonne image dont les retombées positives sont perçues chez les groupements qui se sont saisis du sujet avant les autres, comme Pharm O'naturel. « Chez nos adhérents qui adoptent un écoconcept complet, nous avons constaté jusqu’à 50 % de hausse du chiffre d’affaires », confirme son président Denis Fragne.
Même son de cloche chez Pharmodel, où 85 % des pharmacies se sont directement ou indirectement engagées dans des démarches écoresponsables : « On observe des croissances importantes du chiffre d'affaires dans les pharmacies qui sont à la pointe. Nous avons également des retours qualitatifs dans nos groupes de travail de la part des pharmacies elles-mêmes ! », revendique Rafaël Grosjean, son fondateur. Un constat partagé par Didier Le Bail : « Chez nos précurseurs, nous avons observé une augmentation de la marge, car les patients sont sensibles à ces produits. C'est une démarche longue, certes, mais qui fidélise bien plus les patients, car elle répond à une de leurs principales préoccupations. »
Un contexte difficile
Malgré des résultats probants, les pharmacies pleinement écoresponsables sont encore minoritaires. En effet, elles font face à un contexte économique tumultueux, avec un manque de personnel parfois criant et des difficultés de recrutement quasi généralisées. De plus, les nouvelles missions se sont multipliées, notamment après la mobilisation des pharmaciens lors de la pandémie de Covid-19, qui a épuisé les équipes officinales.
« Beaucoup de pharmaciens sont intéressés par l'écoresponsabilité, mais ont été débordés par le Covid et des tests. Et le personnel manquant fait que certaines actions sont difficiles à mettre en place », confirme Marie-Pierre Barrée, directrice de développement chez Unipharm Basse-Normandie. Caroline Lapointe, directrice digital, marketing & communication de LafSanté rappelle également que les initiatives écoresponsables ne sont pas toutes vouées à la réussite : « Les tests sur le vrac sont peu concluants, il n'y a pas de très forte adhésion », constate-t-elle. La faute à un cadre réglementaire très strict, et la nécessité de former le personnel pour sécuriser les opérations de remplissage et de nettoyage des flacons, sans compter le risque de développement microbiologique.
La réalité économique est aussi un autre frein : « Arborer le drapeau français sur les emballages, c'est bien, mais tout cela à un coût. La complexité est de trouver un équilibre entre produit compétitif français, tout en maintenant un prix raisonnable », résume Philippe Besnard.
Aller plus loin
L'écoresponsabilité n'est toutefois pas un vain projet et les groupements y voient une filière d'avenir. À condition qu'elle soit bien maîtrisée « Le marché vert et naturel est en développement mais devra être associé au conseil du pharmacien. La caution médicale de ce dernier est ce qui le différencie d'une biocoop. Il ne faut pas distribuer des produits car ils sont écologiques, mais parce qu'ils sont efficaces ! », milite Josselyn Hermouët, dirigeant du groupement Aelia. François Douère, directeur des opérations chez Évolupharm, appelle à la même vigilance : « Il faut être à l'affût de ce qu'attendent les consommateurs, afin que les pharmaciens puissent leur répondre et les informer sur le sujet ». « C’est un sujet qui va devenir important à l'avenir, prédit Alexis Berreby, notamment auprès des nouvelles générations qui vont en faire un aspect essentiel de leur consommation. Les évolutions sont lentes, mais ce sont les petits fleuves qui font les grandes rivières. » Pour Gilles Unglik, c'est en effet cette capacité à mutualiser efforts et actions qui permettra aux groupements d'être à la hauteur du défi : « Il faut avoir compris individuellement pourquoi il faut s’engager, mais ce n’est qu’en agissant de manière collective que nous atteindrons des résultats probants ».
Pour soutenir le mouvement des groupements, il faudra toutefois de l'aide de la part de ceux qui, aujourd'hui encore, refusent d'agir. Mais aussi de la part des institutions. « En pharmacie, on ne peut pas communiquer réellement, pointe Jérôme Escojido Même si l'on fait les choses vraiment bien, il est difficile de le faire savoir, ce qui limite la motivation des pharmaciens qui pourraient se lancer non pas par conviction mais pour augmenter leur chiffre d'affaires. » Des pharmaciens dont le secteur aura besoin pour entrer véritablement dans une écoresponsabilité globale.
(1) Selon un sondage « Opinion en direct » réalisé par Elabe pour BFMTV en août 2022.
(2) qui regroupe D.P.G.S, Pharm & Free, Pharmasud, Unipharm 33, Unipharm Grand Ouest, Unipharm Loire Océan et Unipharm Normandie.
(3) « Quand le médicament fait mal à la nature », Quotidien du Pharmacien, 30 juin 2022, Évelyne Gogien-Oudry.
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