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Vols et agressions à l’officine : le bilan de trop

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Publié le 10/04/2024
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En 2023, 475 déclarations d’agressions ont été adressées au Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (CNOP), dans l’immense majorité par des officinaux. Un chiffre en augmentation de près de 30 % par rapport à 2022 et qui ne reflète qu’une part de la réalité car de nombreux pharmaciens ne signalent pas les menaces, injures et autres violences physiques dont ils sont victimes. Face à ce constat, des mesures pour préserver la sécurité des pharmaciens s’imposent, notamment pour ceux qui assurent des gardes de nuit et sont de plus en plus exposés.

Crédit photo : SOURCE : CONSEIL NATIONAL DES PHARMACIENS – AVRIL 2024

Des menaces ou des injures de patients frustrés parce qu’ils n’ont pu obtenir ce qu’ils voulaient, des individus qui font usage de la violence après avoir été surpris en train de voler des produits, d’autres qui n’hésitent pas à briser une vitrine ou une serrure pour venir dérober quelques dizaines d’euros dans le fond de caisse… Aujourd’hui, de nombreux pharmaciens subissent vols et agressions, ou vivent avec la peur d’en être un jour victimes. Parce que tous les officinaux ne déclarent pas ces faits, parce qu’il n’est pas toujours simple de porter plainte, il est impossible de faire un bilan exhaustif des vols et agressions qui visent spécifiquement la profession. Néanmoins, le dernier rapport annuel du CNOP, dont « Le Quotidien du pharmacien » a eu copie, donne une photographie de la situation actuelle et confirme un sentiment que doivent partager de nombreux officinaux. Les actes de délinquance visant les officinaux sont en augmentation.

Une moyenne de 40 agressions déclarées par mois

En 2023, 475 pharmaciens (dont 97 % d’officinaux) ont déclaré une agression à l’Ordre, soit une moyenne d’environ 40 déclarations par mois. Un chiffre en hausse de près de 30 % comparé à 2022 et de 40 % par rapport à il y a cinq ans. Si l’on excepte l’année 2020, au début de la crise du Covid-19, le nombre de signalements n’a jamais été aussi élevé depuis 5 ans. La majorité des faits dénoncés par les officinaux concerne des menaces, des injures ou encore des agressions physiques principalement motivées par des refus de dispensation, mais aussi par des difficultés de prise en charge ou des pénuries de produits de santé. L’année 2023 a aussi été marquée par les émeutes urbaines qui ont embrasé plusieurs villes du pays entre les mois de juin et de juillet. Durant cette période, de nombreux bâtiments et services ont fait l’objet de dégradations et les pharmacies et les laboratoires de biologie médicale n’ont pas été épargnés. Plus de 60 d’entre eux ont été ciblés pendant ces émeutes mais seulement 26 l’ont officiellement déclaré. À noter que sur l’ensemble de l’année 2023, trois régions concentrent près de la moitié des agressions déclarées : l’Île-de-France (environ 16 % des cas), Auvergne-Rhône-Alpes (près de 15 %) et Nouvelle-Aquitaine (plus de 12 %). Enfin, dans 3 % des cas au niveau national, l’agresseur était en possession d’une arme (blanche ou à feu).

Les agressions commises pendant les gardes ont doublé en l’espace de 5 ans

 

Le rapport du CNOP met aussi en lumière la part des vols dans les atteintes recensées. Aujourd’hui, ces derniers représentent 40 % des déclarations. Sur 126 vols déclarés, tentés ou commis, un peu plus d’un tiers s’est produit alors que l’officine était ouverte mais la majorité (plus de 60 % des cas) a été perpétrée pendant la fermeture. Pour les vols dont l’objet a été renseigné, c’est l’argent qui a été visé en priorité, plus que les médicaments (stupéfiants, anxiolytiques, antalgiques…) et bien davantage que les produits de parapharmacie ou les préservatifs. Autre donnée importante évoquée par le rapport, les agressions commises pendant les gardes ont doublé en l’espace de 5 ans. En tout, 46 pharmaciens ont été concernés en 2023, contre 40 en 2022 et « seulement » 23 en 2018.

Le travail mené par le CNOP confirme enfin une autre tendance loin d’être nouvelle, les officinaux victimes d’agressions sont encore trop peu nombreux à aller jusqu’à déposer plainte auprès de la police ou de la gendarmerie. À peine plus d’un tiers d’entre eux a osé franchir le pas (34,5 %). « Si le manque de temps et la peur des représailles font partie des principales raisons avancées, d’autres estiment que la plainte ne se révèle pas nécessaire compte tenu du peu de suites données », analyse l’Ordre.

Des peines plus lourdes pour les agresseurs ?

Cet état des lieux fait donc état d’une dégradation de la situation si l’on en croit l’augmentation du nombre de déclarations de pharmaciens pour vols et agressions. Beaucoup de travail reste à accomplir pour permettre aux officinaux de se sentir davantage en sécurité, mais l’Ordre tient toutefois à souligner qu’une prise de conscience s’est opérée au cours de l’année écoulée. « Je tiens particulièrement à saluer la mobilisation des parlementaires qui se sont emparés de cette question et concrétisent en ce moment même un projet de loi. C’est une étape supplémentaire, qui va dans le bon sens », tient notamment à saluer la présidente du CNOP, Carine Wolf-Thal. Elle fait ici référence à l’adoption, le 14 mars à l’Assemblée Nationale, d’une proposition de loi visant à aggraver les peines en cas de violences ou de vols visant des professionnels de santé. Le texte entend également élargir aux soignants le délit d'outrage, prévu en cas d'atteinte à la dignité de personnes dépositaires de l'autorité publique. En attendant que cette loi passe entre les mains des sénateurs, le CNOP promet, de son côté, « d’agir en concertation avec ses partenaires et les pouvoirs publics afin de trouver des solutions concrètes pour renforcer la sécurité de celles et ceux qui prennent soin des autres. Rien ne saurait justifier l’agression d’un professionnel de santé », réaffirme l’Ordre.

Pascal Marie

 

« L'ordre a besoin de connaître les réalités du terrain »


Source : Le Quotidien du Pharmacien