À retenir
- Les médicaments photosensibilisants appartiennent à de nombreuses classes différentes, de grande importance thérapeutique, et concernent tant les modes d’administration par voie locale que générale.
- Il convient de faire la distinction entre réactions de phototoxicité et de photoallergie, dont les mécanismes sont très différents.
- La phototoxicité concerne plus souvent les voies systémiques et la photoallergie les voies locales.
- Des réactions photoallergiques croisées sont possibles.
- Les réactions de photosensibilisation peuvent être mises à profit dans un but thérapeutique sous réserve de précautions particulières.
Phototoxicité
La phototoxicité (la plus fréquente) est une réaction photochimique liée aux propriétés chimiques du médicament et non pas à l’individu. Les rayonnements le plus souvent impliqués sont les UVA, mais parfois des UVB, voire des rayonnements du spectre de la lumière visible.
Les traitements systémiques déclenchent plus souvent une phototoxicité.
La réaction phototoxique concerne tout individu soumis à des doses de substances photosensibilisantes suffisantes et exposées à la lumière. Elle survient très rapidement, en quelques heures. L’absorption de l’énergie lumineuse par le chromophore provoque une excitation de ses électrons conduisant à une interaction avec les systèmes biologiques membranaires et/ou la formation de radicaux libres. Ressemblant cliniquement à un coup de soleil intense, l’histologie montre un aspect typique de coup de soleil de cellules appelées « sunburn cells ».
Physiopathologie
Le chromophore (autrement dit le médicament ou l’un de ses métabolites) atteint un niveau excité instable à la suite de l’absorption de l’énergie apportée par une certaine longueur d’onde ; le retour à un état stable nécessite un transfert d’énergie vers des molécules voisines, avec formation d’espèces réactives de l’oxygène (le plus souvent l’anion superoxyde, plus rarement l’oxygène singulet) et/ou de radicaux libres en grandes quantités qui vont se lier à des structures cellulaires diverses en les altérant. On peut aussi observer la formation de liaisons stables entre les états excités du photosensibilisant et un constituant cellulaire (ex : les psoralènes) ou encore la création de photoproduits stables toxiques pour la cellule, voire pour l’organisme.
Notion de chromophore
Le chromophore (endogène ou exogène) est la partie de la structure d'une molécule qui absorbe les photons de la lumière, conférant notamment une couleur au produit. Il peut également être défini comme une substance qui possède des électrons capables d'absorber l'énergie et d'être excités.
Rappelons à ce sujet que si la phototoxicité est le plus souvent délétère, elle peut aussi être thérapeutique avec la Puvathérapie (effet notamment anti-inflammatoire : psoriasis cutané, lichen plan, mycosis fongoïde, dermatite atopique, vitiligo, lucite estivale bénigne) qui associe des rayons ultraviolets (UVA) à une prise médicamenteuse de psoralène par voie orale. Citons également la photothérapie dynamique topique (kératose actinique, maladie de Bowen, carcinome basocellulaire, lymphome cutané…) utilisant des dérivés de l’acide delta-aminolévulinique.
Des différences d’une molécule à l’autre
Il peut exister de grandes différences de degré de phototoxicité au sein d’une même série chimique de base. C’est ainsi, par exemple, que dans le cas des fluoroquinolones, connues pour leur pouvoir phototoxique élevé, la présence d’un substituant en position 8 augmente l’intensité de la phototoxicité mais varie en fonction de la nature de ce dernier : la moxifloxacine est la molécule la moins phototoxique parmi les molécules possédant une substitution en position 8, à l’inverse de l’ofloxacine.
Il convient aussi de tenir compte de la demi-vie de la molécule.
En pratique
En pratique, l’ampleur de la réaction phototoxique est déterminée par :
- La dose du médicament ;
- L’intensité de l’exposition solaire ;
- Le phototype du patient ;
- Les réactions cutanées se limitent aux zones photoexposées et peuvent être très intenses.
Photoallergie
La photoallergie, beaucoup plus rare car elle concerne la capacité d’un individu à se sensibiliser, correspond à un phénomène immunitaire. Elle est classée dans les réactions d’hypersensibilité retardée de type IV à médiation cellulaire et dont la physiopathologie ressemble à celle des allergies de contact ou d’une urticaire.
Les produits topiques déclenchent plus souvent une photoallergie.
Physiopathologie
Comme toute allergie, la photoallergie nécessite une sensibilisation préalable. Elle peut se croiser avec d’autres molécules et persister après éviction du médicament. La plupart des produits concernés sont des molécules de faible poids moléculaire incapables à elles seules d’induire une réaction immunologique. On les dénomme des haptènes (parfois de préhaptènes).
L’absorption des rayons UV (le plus souvent des UVA, parfois des UVB, comme pour la phototoxicité) entraîne la constitution d’une liaison covalente du médicament en cause avec une protéine porteuse endogène (l’albumine pour la voie générale ou la kératine pour la voie locale) en formant un photoantigène immunologiquement actif que les cellules dendritiques, dites de Langerhans, présentent aux lymphocytes T, provoquant une réaction inflammatoire.
L’activation des lymphocytes T cytotoxiques libère des substances qui détruisent les kératinocytes (apoptose) ce qui déclenche la survenue de lésions cutanées, tandis que les lymphocytes T mémoires secrètent des cytokines recrutant des polynucléaires neutrophiles au niveau du site de l’inflammation et activant des macrophages qui vont jouer in fine un rôle majeur dans le retour à la normale.
En pratique
En pratique, une photoallergie :
- Est une véritable réaction allergique et n’est donc pas dose-dépendante ;
- Survient chez des sujets prédisposés ;
- Survient 5 à 21 jours après la prise ou l’application du médicament ;
- Nécessite une sensibilisation initiale (possiblement asymptomatique) faisant généralement suite à une exposition solaire d’une durée d’au moins 7 jours, mais le délai peut être plus court dans une situation de reprise du médicament (24 heures) et même avec une exposition minime aux UV ;
- La réaction cutanée ne se limite pas aux zones photoexposées et peut même atteindre les zones couvertes.
5 jours C’est le délai minimal après la prise de médicament où une réaction de photoallergie peut apparaître
Dans quelles situations cliniques ?
Trois catégories de substances photosensibilisantes sont essentiellement responsables d’accidents de photosensibilisation : les antibiotiques, les AINS et les phénothiazines (utilisées comme antipsychotiques, antiémétiques, antitussifs, antiallergiques).
Antibiotiques
Les fluoroquinolones sont particulièrement impliquées. Les cyclines, quant à elles, induisent des réactions de phototoxicité avec des manifestations cliniques variées à type de lichen plan, de lupus et de photo-onycholyse (décollement de l’ongle). L’intensité de la réaction varie en fonction du type de cycline : la chlorotétracycline ainsi que la doxycycline seraient les plus photosensibilisantes. La métacycline et la lymécycline le seraient moins. Le risque avec la minocycline semble faible.
Les sulfamides (quelle que soit leur classe pharmacologique) ont un potentiel photoallergique classique. Cependant, la sulfadiazine argentique est exceptionnellement impliquée dans des réactions de photosensibilisation.
Anti-inflammatoires non stéroïdiens
Depuis son utilisation en formulations locales, le kétoprofène est devenu une cause importante de photosensibilité médicamenteuse. Les réactions cutanées peuvent être très intenses. Cette photosensibilité est aussi caractérisée par la possibilité de réactions croisées et de photosensibilités persistant plus de deux mois après l’arrêt du médicament.
Des réactions croisées sont possibles avec des molécules ayant un noyau commun de type benzophénone : acide tiaprofénique, certains hypocholestérolémiants de type fibrates, un filtre solaire (benzophénone-3, octocrylène).
Le piroxicam peut être responsable de réactions de photosensibilité de type allergique. C’est un eczéma des zones découvertes pouvant être bulleux et conduire à un traitement par corticoïdes per os, voire à une hospitalisation. Il existe des réactions croisées avec les autres oxicams : méloxicam et ténoxicam.
Cas du kétoprofène
Des réactions de photosensibilisation ont été rapportées après application cutanée de kétoprofène (tendinites superficielles, entorses, contusions articulaires, arthrose des petites articulations, lombalgie aiguë…) avec en outre le risque de réactions croisées avec des molécules chimiquement proches (fénofibrate, écrans solaires de type benzophénone…) ; des réactions concomitantes semblent également possibles avec le triclosan, un antiseptique très largement utilisé, et certains parfums. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a rappelé en 2012 les règles de bon usage des formulations gels de ce produit. Il est recommandé aux pharmaciens de rappeler aux patients l'importance de suivre les mesures préventives contre le risque de photosensibilité au cours d'un traitement par un topique contenant du kétoprofène :
- Ne pas exposer les zones traitées au soleil, même en cas de soleil voilé, ou aux UVA en solarium pendant toute la durée du traitement et deux semaines après son arrêt ;
- Protéger les zones traitées du soleil par le port d'un vêtement ;
- Procéder à un lavage soigneux et prolongé des mains après chaque utilisation du gel ;
- Ne pas appliquer les gels de kétoprofène sous pansement occlusif ;
- Arrêter immédiatement le traitement en cas d'apparition d'une réaction cutanée.
À savoir : la photosensibilité au kétoprofène pourrait durer plusieurs mois après l’arrêt des applications de gel.
Phénothiazines
Par voie générale, les phénothiazines (employées surtout comme psychotropes) sont connues pour être phototoxiques. Par voie topique, les phénothiazines sont utilisées dans le traitement symptomatique local du prurit, en particulier après piqûres d’insecte.
En pratique
D’une manière générale, l’éruption liée à une photosensibilisation siège sur les zones découvertes, principalement le visage, le dos des mains et le décolleté. D’autres zones peuvent être atteintes, dos des pieds, face postérieure des avant-bras et face antérieure des jambes. Il existe en général une délimitation nette avec les vêtements. Un respect de la zone cachée par le bracelet-montre est assez typique. En cas d’application locale, la réaction dessine le contact de la substance photosensibilisante avec la peau.
Le délai d’apparition peut être variable, de quelques heures (le plus souvent) à quelques jours. Il existe aussi des zones du corps naturellement protégées et habituellement épargnées par l’éruption : zone sous-mentonnière, zone sous-sourcilière (paupière supérieure), zones rétro-auriculaires, fond des plis cutanés. Il peut enfin arriver que toutes les régions du corps exposées à la lumière ne soient pas atteintes.
Le « super coup de soleil »
La réaction phototoxique débute rapidement, quelques heures voire seulement quelques minutes après l’exposition. Elle est habituellement décrite comme un « super coup de soleil » avec sensation de forte brûlure. L’érythème douloureux peut s’accompagner d’œdèmes, de bulles voire de décollements, évoluer vers une desquamation (mais sans prurit), puis vers une hyperpigmentation pouvant persister plusieurs mois. La limite entre les zones découvertes et couvertes est classiquement très nette. Si le médicament est pris par voie générale, la réaction peut alors concerner toutes les zones photoexposées.
L’étendue de la réaction, surtout si elle va jusqu’au décollement bulleux, conditionne d’éventuelles conséquences générales, avec possiblement mise en jeu du pronostic vital.
À savoir : si les phototypes clairs sont plus à risque, une réaction phototoxique est également possible sur les phototypes plus foncés.
« L’eczéma solaire »
Les symptômes surviennent de manière retardée. Ils se caractérisent par un schéma « crescendo », typique des hypersensibilités de type IV, l’ampleur de la réaction augmentant pour atteindre un pic environ, 48 à 72 heures après la survenue des premiers signes, contrairement aux réactions phototoxiques, plus immédiates et suivies d’un « decrescendo ».
La réaction photoallergique revêt l’aspect typique d’un eczéma des zones exposées à la lumière mais pouvant largement déborder ces dernières.
L’eczéma est rouge, parfois vésiculeux et suintant, très prurigineux et évolue vers la desquamation. Des anomalies de pigmentation peuvent aussi se manifester, de couleur brune ou bleutée. La gravité peut naître de l’intensité de la réaction. Le kétoprofène, par exemple, peut déclencher sur un même patient à la fois une sensibilisation de contact et une photoallergie particulièrement intenses.
Attention aux suites
Dans la plupart des cas, la réaction photoallergique disparaît lentement à l’arrêt du produit. La complication la plus fréquente est l’impétigo ; une surinfection par le virus de l’herpès est également possible.
La gravité peut être le fait d’une évolution très prolongée de la photoallergie après arrêt de la prise du produit avec une réintensification de l’éruption à chaque exposition solaire. On parle alors de photosensibilisation persistante quand la photosensibilité dépasse 3 mois et dure moins de 1 an. Au-delà de 1 an, on peut redouter une évolution vers une dermatite actinique chronique (DAC), revêtant la forme d’un érythème persistant du visage avec une photosensibilité très nette, s’aggravant au fil des mois ou des années, débordant sur les zones couvertes. Parmi les médicaments incriminés : AINS (dont gels de kétoprofène), phénothiazines, statines ; ainsi que certains filtres solaires.
Les troubles résiduels de la pigmentation sont inhabituels.
Prise en charge
Pour les deux types de photosensibilisation, la prise en charge repose sur l’arrêt du médicament en cause. Si cela est impossible, une éviction solaire ou des mesures de photoprotection sont indispensables : protections vestimentaires anti-UV, mise à l’ombre systématique et utilisation de préparations antisolaires à fort indice de protection. Les réactions phototoxiques et photoallergiques peuvent bénéficier de l’application d’un émollient et d’une corticothérapie locale. Les cas sévères (dermatite actinique chronique) peuvent relever d’un traitement corticoïde par voie générale.
Pictogramme « photosensibilisation »
En complément des informations précisées dans les notices des médicaments exposant à un risque élevé de photosensibilisation, leur conditionnement extérieur peut présenter un pictogramme spécifique afin de les identifier facilement et ainsi prendre les mesures préventives adaptées. Le pictogramme est un triangle équilatéral rouge sur fond blanc dans lequel on trouve un soleil partiellement recouvert d’un nuage.

Il est accompagné de la mention « Protéger les zones traitées par le port d’un vêtement afin de ne pas les exposer au soleil, même voilé, ou aux UVA. »
Testez-vous
1. Sous quel délai moyen survient le pic d’une réaction photoallergique ?
a) 6 heures ;
b) 2 - 3 jours ;
c) 7 jours.
2. Citez une classe de médicaments exposant particulièrement à un risque de photosensibilisation :
a) AINS ;
b) Phénothiazines ;
c). Statines.
3. Quelle est la cycline la plus souvent impliquée dans une réaction de photosensibilisation ?
a) Métacycline ;
b) Lymécycline ;
c) Doxycycline.
Réponses : 1. b) ; 2. a) et b) ; 3. c).
Quel que soit le type de photosensibilisation, l’arrêt du médicament s’impose
Equiper l’officine
Dématérialisation des factures, une obligation future
Histoire de la pharmacie
Les grandes collections d’art des laboratoires pharmaceutiques
Saga des marques
Korres, les soins bleu, blanc, Grèce
Qui peut le moins peut le plus