Recruter et surtout fidéliser des salariés qualifiés requiert aujourd’hui non seulement une certaine visibilité sur la rentabilité de son officine, mais aussi un savoir-faire en matière de gestion des ressources humaines. Des compétences qui n’ont pas nécessairement été acquises sur les bancs de la faculté.
Le Quotidien du Pharmacien.- Pour quelles raisons la gestion des ressources humaines en officine devient-elle de plus en plus compliquée ?
Bertrand Cadillon.- Cette complexité découle principalement des difficultés de recrutement sur les postes qualifiés, telles que ceux de pharmacien adjoint et de préparateur en pharmacie. Ces problèmes se sont aggravés depuis environ quatre ans, en raison d’une augmentation des démissions et d’un turn-over perturbant la continuité des services au sein des pharmacies. Corrélativement, les titulaires se retrouvent face à une gestion des ressources humaines rendue plus difficile par des demandes salariales de plus en plus pressantes. De plus, la pénurie de candidats qualifiés les oblige à revoir constamment leurs offres pour rester attractifs, tandis que la concurrence entre officines pour attirer les meilleurs talents s’intensifie. Ces problématiques sont exacerbées par un manque de préparation des titulaires en matière de gestion des ressources humaines. Pour beaucoup d’entre eux, cela devient un vrai casse-tête qui se rajoute à un exercice quotidien déjà dégradé par un poids de l’administratif croissant et les pénuries de médicaments.
Comment cette hausse des frais de personnel impacte-t-elle les officines ?
La hausse des frais de personnel représente un poids financier croissant pour les pharmacies. En 2023, les charges salariales représentaient en moyenne 12 % du chiffre d’affaires hors taxes des officines, soit une augmentation de près de 17 % par rapport à 2021. Ce phénomène est d’autant plus préoccupant que la progression des salaires n’a pas été compensée par une augmentation équivalente des marges brutes des officines, tant s’en faut !
Les officines doivent ainsi consacrer une part importante de leur marge brute à la rémunération du personnel, ce qui laisse peu de place pour les investissements nécessaires au développement de nouvelles missions ou à la modernisation des services. Cette situation peut mettre en péril la rentabilité de nombreuses officines, notamment celles qui ont été achetées au-dessus du prix.
Pourquoi, selon vous, observe-t-on un désamour des jeunes pour les métiers de la pharmacie ?
Le désamour des jeunes pour les métiers de la pharmacie, peut s’expliquer par plusieurs facteurs. D’abord, le cursus d’études est perçu comme long et exigeant, avec des débouchés qui n’apparaissent pas suffisamment attractifs en termes de rémunération d’entrée ou d’évolution professionnelle. Il faut aussi souligner que les différentes réformes du cursus des études de pharmacie ont contribué à éloigner de potentielles vocations.
Les jeunes générations, dont les rangs sont moins nombreux, privilégient des métiers offrant une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle. Or, les horaires variables et souvent contraignants des officines, notamment en milieu urbain ou en centre commercial, ne jouent pas en faveur du métier de pharmacien ou de préparateur. De plus, les possibilités de carrière ou d’association au sein des officines sont limitées. Tous ces facteurs contribuent à ce manque d’intérêt. Disons que le modèle rêvé de cette génération se réalise plutôt dans une « start-up » localisée dans une grande ville qui agit dans le domaine de la RSE (responsabilité sociétale des entreprises) ou la défense de l’environnement avec la possibilité de faire du télétravail ! Face à ces critères, l’officine ne coche pas beaucoup de ces cases !
Pourtant soigner les patients peut constituer un projet professionnel gratifiant
C’est exact au même titre qu’enseigner et former, mais force est de constater que les aspirations des nouveaux étudiants ont changé, reconnaissons aussi que les patients et les élèves ont eux aussi bien changé dans leurs comportements.
Vu du cabinet comptable, comment un pharmacien peut-il rendre son officine plus attractive dans un contexte de recrutement ?
En préambule, en le rassurant, il n’est pas le seul chef d’entreprise dans cette situation : les experts-comptables, les restaurateurs, les chefs d’entreprise du monde de l’informatique sont eux aussi confrontés à ces difficultés. Des rangs d’étudiants plus clairsemés, la baisse du chômage et des besoins de plus en plus forts en salariés hautement qualifiés ont créé une pénurie qui va durer. Le pharmacien doit donc désormais développer ses compétences RH et, par conséquent, se former car ses études ne l'ont pas vraiment préparé à cela. Il apprendra qu’un entretien de recrutement consiste désormais à vendre le poste qu’il propose sans mentir mais en sachant mettre en avant ce qui peut séduire un adjoint ou un préparateur.
Par exemple ?
Un candidat structure son choix autour de trois paramètres bien connus : le montant de la rémunération, l’intérêt technique du poste et enfin l’ambiance générale de l’entreprise. Le premier entretien est le moment crucial durant lequel le pharmacien recruteur doit détecter ce qui compte le plus pour le candidat et ainsi adapter son discours et la présentation de l’officine. Il pourra parler de l’organisation du travail, des responsabilités données ou encore d’un contrat d’intéressement mis en place. Les formations RH insistent aussi sur l’accueil au sein de l’officine, du tutorat et de la saine communication entre le chef d’entreprise et le nouveau salarié sur ses points forts et ses points faibles. Bref embaucher c’est bien, garder le salarié au sein de l’entreprise officinale, c’est encore mieux !
Les experts-comptables ne cachent pas leurs inquiétudes sur les dérives récentes des frais de personnel en officine. Comment, dans ces conditions, concilier une meilleure politique RH et le maintien de la rentabilité ?
Face à ce dilemme, la robotisation et la digitalisation sont une solution qu’il faut considérer sérieusement. L’automatisation de certaines tâches répétitives, comme la gestion des stocks ou la délivrance de médicaments, permet de compenser le manque de personnel tout en améliorant l’efficacité et la productivité de l’officine. Cette évolution technique est devenue essentielle pour pallier les difficultés de recrutement, notamment pour les tâches qui requièrent une importante intervention humaine. Les robots de gestion des stocks et autres outils de digitalisation allègent la charge de travail du personnel. Ils facilitent la concentration sur des tâches à plus forte valeur ajoutée, comme la relation client ou les nouvelles missions de santé publique, telles que la vaccination ou les TROD. La philosophie est de positionner des équipes qui coûtent plus cher sur les tâches les plus utiles pour les patients et par effet de ricochet qui sont en général les plus rémunératrices pour la pharmacie.
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