2024 aura marqué un tournant pour Médiprix. Le groupement de pharmacies né à Montpellier vient de créer sa première filiale à l’étranger, en Espagne. En 2022, c’est son concurrent Hygie31, basé à Toulouse, qui franchissait cette même frontière. Coup sur coup, deux groupes franco-français, non adossés à des grossistes, ouvrent la porte à des adhérents européens. Chacun avec sa méthode. Médiprix fait le pari de la croissance interne. Il revendique déjà 12 adhérents en Espagne où il vise les 50 officines en 2030, en plus des 250 Français, aux points de vente reconnaissables à leurs dessins colorés et joyeux. De son côté, Hygie31, dont la filiale LafSanté regroupe 300 « Pharmacie Lafayette » et 1 000 croix vertes sans enseigne issues de groupements régionaux (Pharmacorp, Pharmacyal, Magdaleon, Quartz…), opte pour la croissance externe. L’entreprise de « La santé pour tous » a repris le groupement catalan Ecoceutics fort de 156 officines et de 250 millions d’euros de chiffre d’affaires au moment du rachat. Dans les deux cas, l’exportation passe par l’adaptation du concept français. 30 Ecoceutics sont déjà aux couleurs de Lafayette, avec un chiffre d’affaires en croissance de 22 % dès les 12 premiers mois. C’est en décembre qu’une première officine devrait prendre les habits de « Mediprix farmacia ».
Deux méthodes, un enjeu
L’objectif est de réduire la pression sur les marges des officines et de libérer du temps aux officinaux au profit des patients. De fait, un réseau devenu plus important augmente sa force de négociation commerciale. « Les adhérents génèrent 3,3 milliards d’euros de chiffres d’affaires et représentent 2,1 milliards d’euros de sell-in en 2024. Cela nous permet de peser sur les marchés », remarque Hervé Jouves, président de Hygie31 qui entend « devenir l’un des leaders européens de la santé ». Et si Médiprix parvient « seulement » pour la première fois au milliard de chiffre d’affaires cumulé cette année, son cofondateur, le titulaire Bertrand Pagès, se veut optimiste. « Nous étions 12 au lancement de Médiprix il y a 8 ans. Aujourd’hui, nous sommes 250, fédérés avec des services différenciants internalisés. Et la valeur immatérielle pour nos partenaires – les laboratoires —, c’est d’être transnational. »
Mutualiser pour des services plus pointus
La stratégie passe aussi par la mutualisation du développement d’outils différenciants. À commencer par les MDD, promis à plus de volumes compte tenu de leurs performances économiques. « Chez Mediprix, c’est plus de 200 références, avec une croissance de 35 % hors lancement en 2024, soit le deuxième laboratoire créateur de valeur derrière le génériqueur », confie Bertrand Pagès, qui entend exporter ces produits. Les économies d’échelle sont peut-être encore plus importantes pour les services. « La R & D en informatique, pour automatiser et faciliter le travail du pharmacien, c’est 40 % de notre masse salariale », souligne Bertrand Pagès.
Dans le sens inverse, des bonnes pratiques espagnoles pourraient inspirer les Français. Chez Hygie31, on a déjà repéré comment Ecoceutics « pilote les RFA grossistes répartiteur à l’euro près », précise Hervé Jouves. « Il n’y a pas de direct : toutes les livraisons chez Ecoceutics – médicaments, OTC, parapharmacie- passent par les grossistes. » C’est autant de temps de gagné pour les équipes. De plus, « la trésorerie est plus facile à tenir car 90 % de la surface est dédiée au commerce et non au stock. Par ailleurs, la livraison permet un réassort automatique pour les pharmaciens », complète le directeur commercial d’Hygie31, Pascal Fontaine.
Une anticipation de long terme
Faut-il y voir une manière d’anticiper un éventuel changement de contexte réglementaire ? « La fin du monopole et l’ouverture du capital, je n’y crois pas à moyen terme mais un projet à long terme doit inclure ces possibilités-là », estime Hélène Charrondière, fondatrice et présidente de l’institut d’études spécialisées dans l’innovation en santé et en pharmacie Health Analytica. « De même viendra la question de la mutualisation des offres en ligne. » Et diriger, c’est anticiper. « Si demain, on veut assurer la pérennité des pharmacies, il faut devenir un acteur européen et pouvoir peser sur ce marché », estime Hervé Jouves, dont le groupe travaille déjà au niveau européen avec les sites CocoonCenter et Paralafayette.
Avant d’en arriver-là, les observateurs voient dans l’internationalisation, une stratégie de valorisation. « La croissance à l’étranger rapporte des capitaux supplémentaires à leurs fonds d’investissement. C’est un moyen d’améliorer la marge arrière du groupement mais cela ne peut avoir que peu d’intérêt pour l’adhérent, » estime le fondateur d’un autre groupement. Chez Médiprix comme chez Lafayette, on réfute cette idée. « Nous ne sommes pas en démarche de valorisation, mais d’investissement », explique Bertrand Pagès, qui, avec son associé Jérôme Escojido, a fait rentrer NextStage AM comme partenaire minoritaire dans le capital de Médiprix en juillet 2023. « Quand nous avons choisi de travailler avec Latour Capital en 2022, nous avions déjà ouvert un projet européen », rappelle de son côté Hervé Jouves.
Quoi qu’il en soit, la duplication d’un modèle n’est pas simple. « Il faut des concepts qui puissent séduire les pharmaciens d’autres pays. Assez logiquement le concept low cost pourrait s’exporter. Celui de Mediprix, aux codes jeunes, peut aussi séduire d’autres populations européennes. Reste à savoir quelle concurrence se trouve en face », observe Hélène Charrondière. D’ailleurs, Lafayette vise depuis des années l’Italie. Jusque-là sans succès.
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