Les mots du patient
- « Le médecin a prescrit un antidépresseur à Jocelyne : elle n’a que 14 ans ! »
- « Mon fils doit être traité pour son trouble de l’attention. »
- « Pourrait-on prescrire un médicament pour faire dormir ma fille de 10 ans ? Elle ne dort que deux ou trois heures par nuit ! »
- « Le médicament n’empêche pas mon fils d’être toujours agressif… »
- « Est-il justifié de prescrire des psychotropes à des jeunes ? »
Un usage de psychotropes à la hausse
Les soins de première intention recommandés pour les troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent reposent sur des pratiques psychothérapeutiques et sur un accompagnement psychologique, éducatif et social : le traitement par psychotrope(s) devrait constituer un complément éventuel ou une réponse de seconde voire de troisième ligne. Mais, faute de spécialistes (pédopsychiatres, pédiatres, intervenants sociaux), les jeunes en souffrance psychique sont pris en charge – souvent ils ne le sont pas du tout – par des médecins généralistes : à peine 30 % des enfants sont-ils reçus par un pédiatre, qui, manquant de temps, se focalise avant tout sur les moins de 2 ans. En 2022, 72 % des psychotropes destinés aux enfants étaient prescrits par des généralistes (prescrivant surtout des anxiolytiques et des psychostimulants en renouvellement de prescriptions de spécialistes), 7 % par des pédiatres et 9 % par des (pédo)psychiatres (le reste l’étant par d’autres spécialistes). La difficulté du recours aux pratiques non médicamenteuses favorise la solution « chimique » de mise en œuvre plus aisée, immédiate et peu gourmande en temps de professionnels. Par ailleurs, les intelligences artificielles et les réseaux sociaux donnent à beaucoup de patients l’illusion d’un « savoir » sur les pathologies et sur leur prise en charge : les jeunes recourent volontiers à ces outils numériques pour « diagnostiquer » leurs troubles, étant dès lors plus en quête d’interventions médicales.
Dans ce contexte, la prescription des médicaments psychotropes pour les enfants et les adolescents connaît en France ces dernières années une augmentation forte et pérenne – signant une tendance de fond. Entre 2014 et 2021, la hausse a été d’environ 48 % pour les antipsychotiques, 62 % pour les antidépresseurs, 78 % pour les psychostimulants et 155 % pour les hypnotiques/sédatifs (analyse de prescriptions ambulatoires chez les 0-19 ans, pour la population attachée à la Sécurité sociale, soit un peu plus de 51 millions de sujets). Ces augmentations sont deux à vingt fois plus élevées que celles observées en population générale. Même si les comparaisons restent difficiles, la consommation de psychotropes par les jeunes patients est inférieure dans les autres pays d’Europe (pour s’en tenir à un exemple, la prévalence de la consommation d’antipsychotiques chez les 12-17 ans en Allemagne est, en gros, 2 à 3 fois moins élevée qu’en France) ; qui plus est, divers pays européens observent un palier, voire une baisse, de la prescription par psychotropes chez les plus jeunes. La consommation de psychotropes chez l’enfant et l’adolescent en France reste toutefois très inférieure à ce qu’elle est aux États-Unis (jusqu’à 11 % chez les adolescents).
+ 155 %, c’est la hausse des prescriptions d’hypnotiques/sédatifs chez l’enfant entre 2014 et 2021
À l’été 2024, le rapport annuel de l’assurance-maladie soulignait « l’évolution préoccupante de la consommation de médicaments psychotropes chez les adolescents et jeunes adultes » sur la période 2015-2023 avec des augmentations allant jusqu’à 60 % pour les antidépresseurs et 35 % pour les antipsychotiques : cet organisme estime qu’environ 936 000 jeunes de 12 à 25 ans se sont vus prescrire un traitement psychoactif en 2023. Si l’incidence (nombre de nouveaux utilisateurs) reste plutôt stable, la prévalence a augmenté, passant de 2,3 % chez les 6-11 ans en 2011 à 3,2 % en 2023, l’accroissement étant surtout marqué pour les psychostimulants.
Il faut noter que les prescriptions d’anxiolytiques et d’antidépresseurs sont plus fréquentes chez les filles que chez les garçons, qui reçoivent, eux, plus fréquemment des psychostimulants ou des antipsychotiques.
La durée moyenne des traitements augmente : ainsi le nombre de mois de consommation pour 1 000 patients est-il passé de 80 en 2010 à 138 en 2023. Les polyprescriptions sont plus banales elles aussi : le taux de co-prescription de deux classes de psychotropes est passé de 15 % en 2010 à 31 % en 2023 et il n’est désormais pas exceptionnel que des enfants reçoivent trois psychotropes voire plus.
Des jeunes en souffrance
Les raisons du mal-être psychique des jeunes reflètent en miroir le malaise d’une société en perte de repères et qu’effraie son avenir incertain. De multiples facteurs sociaux comme environnementaux expliquent ainsi angoisse et dépression : citons des causes exogènes (situation familiale : deuil, divorce, etc. ; situation de harcèlement scolaire ou sexuel, isolement, etc.) ou endogènes (maladie pédopsychiatrique type phobie, TOC, psychose, addiction y compris bien sûr aux réseaux sociaux). S’y ajoutent les conséquences longtemps mésestimées de l’épidémie de Covid-19 et du confinement, l’éco-anxiété, la perception, sous le prisme des attitudes des parents ou des proches, du malaise sociétal et des inégalités sociales : ainsi, en 2022, 30 % des enfants recevant au moins un psychotrope vivaient dans des conditions défavorables contre 22 % en 2010 (cette proportion étant même d’environ 50 % si ce psychotrope est un antipsychotique).
Une prescription contrainte
Si la pertinence des stratégies de prise en charge non médicamenteuses (thérapies comportementales ou d’inspiration psychanalytique, musicothérapie, art-thérapie, etc.) est reconnue chez l’enfant et l’adolescent, l’évaluation de l’efficacité des psychotropes dans cette population ne repose généralement pas sur des données robustes. Ces médicaments exposent de plus à une iatrogénie significative, souvent différente de celle observée chez l’adulte. Des contraintes éthiques et économiques, du fait d’un marché réduit, limitent les études cliniques sur de jeunes patients même si un règlement européen (CE n° 1901/2006) encadre depuis 2007 le développement des médicaments destinés au sujet jusqu’à 17 ans inclus (il incite la conception de présentations adaptées et vise à garantir la sécurité du patient).
Les psychotropes exposent à une iatrogénie significative chez l’enfant, souvent différente de celle observée chez l’adulte
Prescription hors AMM
Peu de psychotropes bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) adaptée, une large part de leur prescription s’effectue hors agrément chez l’enfant ou l’adolescent : des études internationales révèlent (données avant 2015) des taux de prescription hors AMM et hors recommandations variant entre 60 % et 90 % selon l’âge et l’indication. Rappelons que, dans ce cas, la prescription, censée être exceptionnelle, porte la mention « Hors AMM », le prescripteur ayant une obligation d’information renforcée du patient ainsi que des parents ou tuteurs qui signent une décharge écrite. De plus, le médicament n’est alors pas pris en charge par l’assurance-maladie.
Cette prescription se fait sans le support opposable que constitue l’AMM quant aux spécificités du traitement dans ce contexte ou sans investigations cliniques sur son retentissement à long terme. Le médecin doit donc maîtriser les recommandations, être au fait de la littérature spécialisée et connaître les agréments des spécialités dans d’autres pays (dont il pourra s’inspirer) pour justifier alors son choix thérapeutique.
Spécificité de la prescription
La prescription d’un psychotrope ne doit pas constituer un handicap pour le développement de l’enfant, par exemple en altérant ses capacités cognitives ou en induisant une iatrogénie endocrinienne. Le médecin privilégiera systématiquement une monothérapie en considérant le médicament comme un « outil » facilitant l’accès à d’autres thérapeutiques.
Sa prescription intégrera les spécificités physiologiques (maturité enzymatique progressive, jusque vers l’âge de 10 ans, sensibilité des récepteurs, etc.) expliquant des différences dans la pharmacocinétique et la pharmacologie de la molécule chez l’enfant ou l’adolescent et l’adulte.
La dose sera idéalement calculée en mg/kg, avec un maximum correspondant à celui administré à l’adulte (poids > 50 kg). Variant selon la molécule, l’âge minimal d’utilisation sera vérifié dans le RCP de la spécialité, tout comme le cadre réglementaire de prescription et de suivi du traitement propres à certains médicaments.
Les formes orales sèches ne sont pas adaptées à l’enfant de moins de 6 ans (risque de fausse-route).
Enfin, face au risque de stigmatisation lié à la prise du traitement, il sera pertinent de prévoir, si possible, des prises discrètes (par exemple forme LP administrée le matin, au domicile).
Conduite du traitement
Encadré par le prescripteur mais aussi par les proches du patient, le traitement s’accompagne d’un travail psychologique afin que le jeune patient n’en vienne pas à considérer que des « substances » pourraient constituer un remède à tout type de maux.
La prescription pédiatrique nécessite un accord de l’enfant patient et de ses parents (et/ou tuteurs).
L’initiation du traitement comme son adaptation ou son changement sont des décisions qui impliquent le clinicien, les parents ou responsables légaux, et le jeune patient, ce qui peut entraîner des avis divergents. Il est toutefois banal que les familles réalisent des fenêtres thérapeutiques, adaptent les doses, voire suspendent ou interrompent le traitement, hors avis médical. Les patients comme leurs proches doivent être conscients que l’usage de psychotropes peut induire, outre des effets indésirables somatiques, des changements émotionnels ou comportementaux.
L’arrêt à terme du traitement et l’éventuelle réapparition ultérieure des troubles ayant justifié son instauration sont souvent redoutés par le patient et par son entourage et doivent donc être anticipés.
Antipsychotiques : des limites
L’usage des antipsychotiques, souvent hors AMM car « calqué » sur des observations faites chez l’adulte, peut interroger car l’enfant et l’adolescent semblent plus sensibles que l’adulte à certains effets indésirables, notamment aux troubles métaboliques, à l’hyperprolactinémie, à la prise de poids et à une sédation diurne souvent handicapante. Le rapport bénéfice/risque est évalué avec soin lors de l’instauration du traitement et un suivi régulier s’impose (notamment : croissance, bilan hépatocellulaire, métabolique et sanguin, ECG, évaluation des capacités d’apprentissage) même si les molécules de seconde génération bénéficient d’une meilleure tolérance que celles de première génération (« neuroleptiques »).
Les antipsychotiques de seconde génération (atypiques) trouvent place dans la prise en charge des décompensations inaugurant une schizophrénie à un âge minimal de 15 ans (aripiprazole), 16 ans (clozapine) ou 18 ans (amisulpride, olanzapine, quétiapine, rispéridone).
Les troubles du comportement traités par antipsychotiques (de 1re ou de 2e génération) relèvent du spectre des retards mentaux accompagnés ou non de troubles envahissants du développement (TED). Chlorpromazine, cyamémazine, lévomépromazine, propériciazine et halopéridol sont indiqués dès l’âge de 3 ans dans les troubles graves du comportement avec agitation et agressivité. La pipampérone buvable l’est à partir de 5 ans ; le sulpiride buvable l’est à partir de 6 ans (une situation exceptionnelle peut justifier un emploi chez un sujet plus jeune, selon l’AMM). La rispéridone est indiquée à partir de 5 ans chez un sujet ayant un handicap intellectuel (avec ou sans TSA) et un trouble des conduites. L’aripiprazole n’est pas agréé chez le patient de moins de 18 ans dans les troubles autistiques (il l’est dans la schizophrénie), mais est souvent prescrit hors AMM dans ce contexte. Ces molécules exposent à une prise de poids et à une sédation expliquant que leur usage soit limité aux troubles sévères.
Antidépresseurs : un suivi rigoureux
La dépression touche 0,5 % à 2 % des enfants et 3 % à 10 % des adolescents. Sous-diagnostiquée, elle s'accompagne de troubles comportementaux (relationnels, familiaux et scolaires, notamment un comportement régressif avec retrait, irritabilité, parfois agitation) durables, d'apparition souvent brutale. Parfois tenus pour une « crise d'adolescence », ces signes peuvent passer inaperçus, d’où un risque de passage à l'acte agressif ou antisocial (notamment chez le garçon) et un risque suicidaire - en France, le suicide est la seconde cause de décès entre 15 et 24 ans.
Seule la fluoxétine est indiquée, à partir de l’âge de 8 ans, dans la prise en charge d’un épisode dépressif caractérisé (EDC) d’intensité sévère à modérée. Instauré à dose progressive (paliers de 10 mg), le traitement est poursuivi entre 6 mois et 1 an pour prévenir le risque de récidive, à la plus faible dose efficace. Sa surveillance est réalisée idéalement toutes les semaines durant le premier mois, puis toutes les 2 semaines pendant un mois, puis tous les mois. Hormis les signes iatrogènes somatiques (nausées, céphalées, troubles digestifs, etc.), elle recherche des signes iatrogènes psychiques comme une agitation inhabituelle, des troubles du sommeil (insomnies, parasomnies), des comportements de prise de risques, des tendances suicidaires (risque maximal durant les 3 premières semaines du traitement), de l’irritabilité voire de l’agressivité, des impatiences motrices. Toute exacerbation de l’humeur attirera l’attention (risque de virage maniaque 5 fois plus élevé chez l’enfant et l’adolescent que chez l’adulte). Les antidépresseurs ont l’avantage de ne pas induire de dépendance. S’y ajoute, chez le sujet prépubère, un suivi de la croissance et de la maturation sexuelle (courbe staturo-pondérale, IMC, évolution pubertaire selon les stades de Tanner) et, passé 3 mois de traitement, une surveillance endocrinienne ; une consultation spécialisée s’impose en cas de doute sur l’évolution staturo-pondérale ou sexuelle. L’arrêt, progressif, ne doit jamais être fait à l’initiative du patient ou de ses proches (risque suicidaire notamment). Il est judicieux de le réaliser durant une période de vacances, moins stressante.
Si ce traitement reste insuffisant à dose maximale (60 mg/j), il sera arrêté progressivement puis relayé par un autre, qui pourrait être, hors AMM, la sertraline ou l’escitalopram (agréé aux États-Unis dans la dépression à partir de 8 ans) : la pratique fait privilégier ces inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, mieux tolérés que les tricycliques et aussi efficaces.
Dépression : seule la fluoxétine est indiquée, à partir de l’âge de 8 ans, dans la prise en charge d’un épisode dépressif caractérisé d’intensité sévère à modérée.
La paroxétine est contre-indiquée dans la dépression chez l’enfant. Les inhibiteurs doubles (IRSNa) ne sont pas recommandés chez l’enfant et l’adolescent (risque important d’idéation suicidaire avec la venlafaxine). Les tricycliques ne sont pas indiqués en France dans la dépression du sujet jeune. Il faut souligner que des publications de référence laissent planer un doute sur l’efficacité des antidépresseurs (y compris sur celle de la fluoxétine) dans la prise en charge des troubles dépressifs chez le sujet jeune.
Un antidépresseur constitue aussi une réponse dans la prise en charge de fond d’un trouble anxieux sévère, d’un trouble obsessionnel compulsif (TOC), d’une phobie, d’un trouble panique ou d’un stress post-traumatique. Le traitement est généralement conduit avec la sertraline : cette molécule n’est indiquée en France chez le patient pédiatrique (6 à 17 ans) que dans le TOC mais elle l’est aux États-Unis dans tous les types d’anxiété chez l’enfant. Le traitement, initié à 25 mg/j, est augmenté progressivement jusqu’à une dose de 200 mg/j. Il peut être poursuivi jusqu’à deux ans. La fluvoxamine est indiquée en France dans le TOC dès 8 ans. La clomipramine, un tricyclique, est indiquée dans le TOC dès 10 ans mais son usage n’est pas recommandé (risque cardiotoxique).
Anxiolytiques : un recours marginal
L’hydroxyzine est agréée à partir de 3 ans dans l’insomnie d’endormissement liée à un état d’hyperéveil (cf. ci-dessous) mais elle est souvent prescrite en pédiatrie hors AMM dans les manifestations mineures d’anxiété. Certains spécialistes préconisent en alternative un neuroleptique type cyamémazine, chlorpromazine, lévomépromazine ou propériciazine, également hors AMM dans les troubles anxieux, des médicaments qui n’exposent pas à accoutumance ou dépendance.
Le recours aux benzodiazépines (BZD) doit rester exceptionnel chez l’enfant et l’adolescent. Il ne constitue une réponse de fond ni dans l’anxiété ni dans la dépression. Les BZD ne sont en aucun cas recommandées en pédiatrie, mais comme chez l’adulte, elles trouvent éventuellement une place ponctuelle, en seconde intention (après la psychothérapie, la sophrologie ou les méthodes de relaxation), dans le traitement de l’anxiété lorsque l’action doit être rapide. Plusieurs molécules sont agréées dès 6 ans : alprazolam, bromazépam, clorazépate, lorazépam, oxazépam, prazépam.
Les BZD exposent à des troubles cognitifs et mnésiques problématiques en situation d’apprentissage scolaire, à des perturbations dans les relations sociales, à dépendance et accoutumance. Chez l’enfant, elles entraînent parfois des effets paradoxaux avec agitation, violence, déréalisation, désinhibition, agitation psychomotrice : ils semblent moins rares en cas de lésions cérébrales.
Le recours aux benzodiazépines doit rester exceptionnel chez l’enfant et l’adolescent
Hypnotiques : proscrire les BZD et apparentés
La nature des troubles du sommeil varie selon l’âge et, à partir de l’adolescence, ils se rapprochent de ceux de l’adulte. Nombre de ces perturbations ont pour origine une réduction du temps de sommeil du jeune patient au profit d'autres activités : un fréquent retard au coucher peut induire un syndrome de retard de phase de sommeil qu’aggrave l’usage des écrans. Il tente parfois de compenser la diminution de ses performances scolaires et son manque de vigilance diurne en prenant des excitants (café, substances psychoactives), ce qui crée ou aggrave des difficultés psychopathologiques (anxiété, phobie scolaire, dépression). Face à cela, le médecin évite la prescription d’hypnotiques qui perturbent l’architecture du sommeil et exposent à dépendance et accoutumance. La prise en charge est avant tout non médicamenteuse (agenda du sommeil, psychothérapie, sophrologie, méditation, chromothérapie, luminothérapie en liaison si besoin avec un psychologue ou un pédopsychiatre comportementaliste) et elle impose le respect de règles d’hygiène de vie. Un médicament sédatif peut être nécessaire en cas d’échec mais son usage doit rester exceptionnel et temporaire.
L'alimémazine, une phénothiazine anti-H1, est indiquée, après échec des mesures comportementales, dans le traitement des insomnies d'endormissement liées à un état d'hyperéveil (vigilance accrue liée à des manifestations anxieuses au coucher) chez l'enfant de plus de 20 kg (solution buvable) et de plus de 6 ans (comprimé), sur 2 semaines au maximum.
Autre anti-H1, l'hydroxyzine est agréée, chez l’enfant de plus de 3 ans (forme buvable) ou 6 ans (forme orale sèche), dans le traitement de seconde intention de l’insomnie d'endormissement liée à un état d'hyperéveil, après échec des mesures comportementales seules, pour 2 semaines au maximum. La posologie de l’AMM est, dans cette indication, de 1 mg/kg/j. La dose maximale journalière n’excède pas 2 mg/kg/j chez l'enfant < 40 kg et 100 mg/jour chez l'enfant ≥ 40 kg. Elle expose à une iatrogénie anticholinergique et à un risque d'allongement du QT, d’où ses contre-indications et interactions.
La mélatonine (Adaflex 1, 2 et 5 mg ; Slényto LP 1 et 5 mg) est un traitement de l'insomnie de l'enfant et de l’adolescent (6 à 17 ans) et de l'adolescent présentant un trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité (TDAH), lorsque les mesures d'hygiène de sommeil sont insuffisantes. La dose initiale recommandée est, indépendamment de l'âge, de 0,5 à 2 mg une fois par jour, 30 à 60 minutes avant l'heure du coucher souhaitée. Cette dose peut être augmentée progressivement chaque semaine jusqu'à obtention d'un effet suffisant, sans dépasser 5 mg.
De plus, Slényto LP (1 et 5 mg) est indiqué, en complément de mesures d'hygiène du sommeil, à partir de 2 ans et jusqu’à 18 ans, comme traitement de l'insomnie associée à un trouble du spectre de l'autisme (TSA) et/ou à un syndrome de Smith-Magenis (HAS 2019).
La prescription d’une BZD constitue une ligne ultime de traitement, sur une période aussi brève que possible (dans un contexte d’insomnie réactionnelle sévère par exemple). Le zolpidem est contre-indiqué avant l’âge de 15 ans.
Thymorégulateurs : peu justifiés
Les troubles bipolaires (I et II) ont une prévalence d’environ 1 % chez l’adolescent et ils sont rares (et discutés) avant la puberté. Des manifestations d’allure maniaque accompagnent néanmoins des affections psychiatriques et développementales. La prescription de thymorégulateurs n’est pas agréée en France avant 18 ans, exception faite de celle du lithium, « déconseillé chez l’enfant » et agréé implicitement à partir de 16 ans (âge des soins destinés aux adultes). L’usage de ces médicaments expose à une iatrogénie potentiellement sévère. Rappelons la nécessaire surveillance de la lithiémie comme le risque de survenue de troubles neurodéveloppementaux et d’anomalies congénitales justifiant l’encadrement de l’usage du divalproate ou de la carbamazépine chez le patient en âge de procréer (cf. AMM).
S’agissant des antipsychotiques, aripiprazole, olanzapine et rispéridone sont indiqués dans les TBP1 aux États-Unis (autorisation entre 10 et 17 ans). En France l’aripiprazole l’est dans le traitement de l’épisode maniaque aigu à partir de 13 ans (pour une durée allant jusqu’à 12 semaines au plus).
Médicaments du TDAH : des atouts
Les troubles de déficit d’attention avec hyperactivité (TDAH) sont associés à des risques (comportement suicidaire, abus de substances, blessures accidentelles, accidents de transport, ou encore criminalité) dont l’incidence est, pour la plupart, réduite par une prise en charge médicamenteuse adaptée.
Le méthylphénidate (MPH) est indiqué dans le TDAH, avec une efficacité d’environ 70 %, et est prescrit en France à partir de l’âge de 6 ans « lorsque les mesures correctives psychologiques, éducatives, sociales et familiales seules s’avèrent insuffisantes » – une présentation sévère peut justifier sa prescription hors AMM avant cet âge. Diverses galéniques que distingue leur durée d’action permettent de personnaliser le traitement (les formes LP évitent par exemple une prise sur le temps scolaire, souvent affichante). La prévalence de l’usage du MPH a atteint 0,75 % de la population pédiatrique générale en 2019, vs 0,2 à 0,3 % dans les années 2000. Parallèlement la durée médiane du traitement s’est considérablement allongée, passant pour les enfants de 6 ans ayant reçu une première prescription de 10,2 mois en 2005 à 5,5 ans en 2011. Ce médicament est administré chez des sujets de plus en plus jeunes, souvent avant 6 ans. Enfin, il est prescrit dans des indications psychiatriques hors de son AMM (troubles de l’humeur, autisme, troubles du langage et des apprentissages, etc.).
Le traitement par ce stupéfiant est initié par un neurologue, un pédiatre ou un (pédo)psychiatre compétent dans le diagnostic et la prise en charge du TDAH, en ville ou à l’hôpital, après échec des thérapies non médicamenteuses. Réalisée sur ordonnance sécurisée, la prescription est valide un an durant lequel le renouvellement est possible par tout médecin, pour 28 jours au maximum, également sur ordonnance sécurisée. Celle-ci mentionne en clair le nom et l’adresse de la pharmacie qui dispensera le médicament. La délivrance se fait sur présentation de l’ordonnance du généraliste (si renouvellement) et de celle du spécialiste datant de moins d’un an. Le chevauchement de prescription est interdit (sauf mention expresse portée sur l'ordonnance initiale). Le déconditionnement est obligatoire si le délai de carence est dépassé. La copie de la prescription est archivée trois ans.
Jusqu’à 90 % des patients rapportent des effets indésirables, qui sont toutefois bénins dans la majorité des cas : ils concernent la sphère cardiovasculaire, l’appareil digestif (douleurs, nausées, troubles du transit), le système nerveux (anxiété, dysphorie, céphalées, troubles du sommeil, tics…). Le traitement justifie un suivi de la tension artérielle et de la fréquence cardiaque (à chaque changement de dose et tous les 6 mois), une surveillance de la croissance (le MPH diminue fortement l’appétit) avec mesure de la taille tous les 6 mois et du poids tous les 3 (âge ≤ 10 ans) ou 6 mois (âge supérieur), une vigilance par rapport à l’apparition ou à l’exacerbation de tics (fréquents chez les enfants).
Il n’y a pas de dépendance au MPH : ce traitement, s’il est correctement conduit, a un effet protecteur sur les abus ultérieurs de substances. Le prescripteur rassurera la famille et le patient.
Il n’y a pas de dépendance au méthylphénidate lorsque le traitement est correctement conduit
Récemment commercialisée, la lisdexamphétamine (Xurta) est une prodrogue métabolisée en dexamphétamine, indiquée à partir de 6 ans. Prescrit dans les mêmes conditions que le MPH, ce traitement est initié par un neurologue, pédiatre ou psychiatre.
Questions sur ordonnance
Jérôme T., 12 ans, 37 kg
Fluoxétine Arrow 20 mg/5 ml : 10 mg/j, soit 2,5 ml
QSP deux semaines
RDV fixé dans deux semaines
Jérôme présente tous les signes d’un épisode dépressif caractérisé, à la suite du décès de sa mère survenu lors d’un accident de la circulation qui l’a laissé seul indemne. Son père et sa sœur ont été sévèrement blessés. Le recours à un traitement par antidépresseur chez l’enfant ou l’adolescent est controversé : il n’est éventuellement recommandé qu’en seconde intention lors de dépressions sévères. Les études sur la prise en charge pharmacologique de la dépression dans cette population montrent une réponse au placebo plus importante que chez l’adulte. Ce traitement doit être associé à une prise en charge psychothérapeutique, ce qui est le cas ici : cet accompagnement a même été initié il y a un mois, peu après l’accident.
Quel est le principe actif ?
La fluoxétine, un antidépresseur inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine (ISRS), bénéficie en France d’une AMM dans le traitement de l’épisode dépressif majeur (= caractérisé) modéré à sévère, à partir de l’âge de 8 ans. À l’exception de cette molécule, les ISRS ne sont pas recommandés chez le mineur dans l’indication de dépression.
Y-a-t-il des insuffisances et des interactions ?
Non. Le bilan préalable à l’instauration du traitement était normal. La surveillance régulière du patient portera sur la survenue éventuelle d’effets anticholinergiques (sécheresse buccale, constipation, hypotension, tremblements, trouble de l’accommodation) mais aussi sur celle de céphalées, de troubles du sommeil, d’irritabilité voire d’un virage de l’humeur avec hypomanie ou manie. La croissance staturo-pondérale sera également surveillée.
Et la posologie ?
Elle est correcte. L’instauration du traitement est progressive, avec une surveillance hebdomadaire le premier mois car il existe un risque d’activation suicidaire (taux plasmatiques élevés, titration trop rapide, ou, par la suite, arrêt trop brutal du traitement).
Le conseil du pharmacien
La fluoxétine peut être administrée en une seule ou plusieurs prises journalières, pendant ou en dehors des repas. Par ailleurs, le pharmacien confirme aux grands-parents paternels de Jérôme, qui s’occupent de l’enfant, que les ajustements de dose seront progressifs pour maintenir le patient à la posologie minimale efficace (parfois de 10 mg/j). Après environ deux semaines, la posologie pourra si besoin être augmentée à 20 mg/jour sur avis médical. L'expérience des doses supérieures est limitée et peu de données documentent des durées de traitement excédant 9 semaines.
Testez-vous
1. La proportion de médicaments psychotropes prescrits chez l’enfant par un (pédo)psychiatre est d’environ :
a) 72 % ;
b) 39 % ;
c) 9 %.
2. En France, la clozapine :
a) Peut-être prescrite à un adolescent ayant 15 ans ;
b) Ne peut être prescrite qu’à un patient de 18 ans ou plus ;
c) Est agréée à partir de l’âge de 16 ans.
3. La chlorpromazine (Largactil) peut être prescrite dans les troubles sévères du comportement à partir de l’âge de :
a) 6 ans ;
b) 5 ans ;
c) 3 ans.
4. La fluoxétine :
a) Est le seul IRS agréé en France dans le traitement de la dépression du sujet jeune ;
b) Est agréée à partir de l’âge de 6 ans ;
c) Est agréée à partir de l’âge de 8 ans ;
5. L’hydroxyzine est indiquée :
a) À partir de l’âge de 2 ans ;
b) Chez l’enfant à la dose maximale journalière de 100 mg si le patient pèse 40 kg ou plus ;
c) En première intention dans l’insomnie d’endormissement liée à un état d’hyperéveil.
Réponses : 1. c) ; 2. c) ; 3. c ; 4. a) et c) ; 5. b).
Les points clés
- Le mal-être et les affections psychiatriques dont souffrent les enfants et les adolescents constituent une préoccupation vive pour notre société.
- La prescription de médicaments psychotropes a fortement augmenté en France ces dix dernières années, dans des proportions qui excèdent leur croissance dans les pays voisins comparables.
- Le recours à ces médicaments devrait demeurer exceptionnel chez l’enfant ou l’adolescent, quelle que soit l’indication : il constitue forcément une deuxième ligne de traitement, en privilégiant une monothérapie, sur une durée aussi brève que possible, à la posologie efficace la plus réduite.
- La majorité des prescriptions est faite hors AMM, ce qui implique que le médecin ait une connaissance suffisante des données de la science dans ce domaine et maîtrise les recommandations. L’ordonnance satisfait alors aux conditions de prescription hors AMM.
- L’usage de chaque grande classe de médicaments psychotropes pose des problèmes spécifiques chez l’enfant et l’adolescent : antipsychotiques, antidépresseurs, anxiolytiques, hypnotiques, thymorégulateurs ou méthylphénidate.
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