Paradoxe. L’herboriste n’existe pas, mais il n’y a jamais eu autant d’herboristeries. Les herboristeries fleurissent jusque dans les villages. Elles portent des noms comme « Plantes et remèdes », « L’Herbe O’Trésor », « L’Hermine et l’ajonc » ou « Phyt et Sens ». Inflorescence à Willems (Nord) propose, par exemple, en vitrine : « phytothérapie, herboristerie, cosmétique bio, aromathérapie, fleurs de Bach, thé et tisanes ».
Autre exemple, Louis Herboristerie à Tours, ouvert en mars dernier, affiche « 8 000 références de tisanes et thé, huiles essentielles et extraits de plantes, miel et produits de la ruche, Fleurs de Bach, encens, cosmétiques et maquillages et soins naturels pour les animaux. » C’est le quatrième magasin ouvert par Louis Herboristerie en 5 ans, qui promet un dossier de franchise monté « dans un temps record : 7 mois », selon son fondateur Louis Gobron. Une accélération pour cet entrepreneur, en reconversion, qui a commencé par vendre des plantes en ligne en 2013.
Une protection du monopole sous Vichy
Marché opportuniste qui surfe sur la vague bien-être, recherche de naturalité exacerbée depuis la crise sanitaire ? Difficile de connaître le nombre de lieux de vente et de conseil des plantes médicinales qui se réclament aujourd’hui de l’herboristerie tant ces commerces sont enregistrés sous des appellations diverses. Ni de connaître réellement la qualification de leurs gérants. La plupart se revendiquent « herboristes ». Un métier qui, pourtant, n’existe plus. Le certificat d’herboriste, créé en 1803, et délivré par les écoles de pharmacie pour distinguer, à l’époque, l’herboriste de l’apothicaire, a été supprimé en 1941, sous le gouvernement de Vichy. Une mesure qui visait à protéger le monopole des pharmaciens sur les plantes médicinales dans un usage thérapeutique. Les diplômés ont conservé le droit d’exercer leur vie durant. La dernière herboristerie a baissé le rideau en 2018 avec le décès de sa gérante.
« L’herboriste n’existe pas dans la législation, mais de plus en plus d’herboristes s’installent pour répondre à une demande sociétale
Solène Dumas, juriste spécialisée
« L’herboriste n’existe pas dans la législation, mais de plus en plus d’herboristes s’installent pour répondre à une demande sociétale, confirme Solène Dumas, juriste spécialisée en droit de l’herboristerie et des plantes et formatrice à l'école Bretonne d'Herboristerie. Les raisons de cet intérêt pour les plantes sont variées : quête de naturalité et de retour au vivant, rejet du tout chimie, recherche d’une prise en charge holistique de la santé… « Les gens souhaitent également une autonomie plus grande dans la prise en charge de leur santé, poursuit-elle. Cela ne signifie pas un rejet de la médecine conventionnelle et des médicaments. Mais une recherche d’accompagnement et d’écoute. »
Nathalie Havond, directrice de l’Institut méditerranéen de documentation, d’enseignement et de recherches sur les plantes médicinales (IMDERPLAM), et cofondatrice de la Fédération des écoles d’herboristerie (FFEH), estime entre 400 et 500, le nombre d’herboristes formés chaque année. Des cursus de trois ans, à raison de quelques jours par mois, qui forment à l’anatomie, la physiologie, les plantes médicinales, la chimie des plantes, la botanique, les interactions avec les médicaments, etc. Avec des stages sur le terrain pour cueillir et transformer les plantes. « Des professionnels de santé, infirmières, médecins, pharmaciens choisissent même notre formation pour revenir à l’essence de la plante et du vivant », explique Nathalie Havond.
Des principes actifs
Cet engouement profite d’ailleurs à l’officine. Il se reflète dans les ventes des compléments alimentaires qui continuent d’augmenter. Selon le GERS Data, ce segment constitue le deuxième contributeur à la croissance du chiffre d’affaires des officines au premier trimestre 2025. De nombreuses officines surfent sur cette vague et détiennent un espace herboristerie après avoir renforcé leurs compétences par un DU. Comme la Pharmacie Provençale à Arles. Quand ce ne sont pas certains groupements comme Pharm’O naturel ou Anton & Willem qui misent sur cette spécialité, en proposant tisanes et autres produits de phytothérapie.
Le marché a de bonnes raisons de rester aux mains des pharmaciens. Car comme le souligne, Bruno Maleine, président de la section A (titulaires) de l’Ordre des pharmaciens : « Ce n'est pas parce que c'est naturel que ça n’est pas dangereux et c’est la raison pour laquelle la vente des plantes médicinales est réservée aux pharmaciens. Le récent retrait des compléments alimentaires contenant du Garcinia Gambogia le montre bien. La botanique et la pharmacognosie sont des disciplines fondamentales dans la formation du pharmacien. Les plantes médicinales font partie du monopole officinal. »
148 plantes médicinales
Reste qu’auprès du public, la co-existence d’herboristes non-pharmacien, d’herboristes pharmaciens (en officines) et d’anciens pharmaciens devenus herboristes entretient un flou sur la notion même d’herboristerie ? Au-delà, ces différentes pratiques professionnelles n’interrogent-elles pas sur les conditions de sécurité de vente des plantes médicinales et du conseil ? « Nous ne sommes absolument pas des personnels de santé, nous ne posons pas de diagnostic, explique Solène Dumas. Nous formons au contraire nos stagiaires à comprendre les limites dans lesquelles les herboristes peuvent exercer, sans mettre la santé des consommateurs en danger, sans risquer d’être accusé de pratique illégale de la médecine ou de la pharmacie, et à être dans les règles en cas de contrôle de la Direction générale de l’alimentation (DGAL) ou de la DGCCRF. »
Ce qui est naturel n’est pas sans danger : certaines plantes sont toxiques, d’autres peuvent présenter des risques d’interactions avec des médicaments
Quelles plantes ces « herboristes » non-pharmaciens peuvent-ils vendre en toute légalité ? Selon le rapport « sur le développement de l’herboristerie et des plantes médicinales », menée par Joël Labbé en 2018 : « La vente des plantes médicinales relève des seuls pharmaciens dans le cadre du monopole pharmaceutique. Sauf pour 148 plantes de la pharmacopée, de la liste A, qui bénéficient d’une dérogation du fait de leur usage alimentaire. Cette situation vise à protéger la santé publique car ce qui est naturel n’est pas sans danger : certaines plantes sont toxiques, d’autres peuvent présenter des risques d’interactions avec des traitements médicamenteux. »
Pour autant, à cette époque, le rapport notait déjà que « de nombreux produits sont vendus hors des officines sur internet, en herboristerie, en magasin bio, en grandes et moyennes surfaces, sur les marchés… » Il précisait que sont autorisées les plantes sous forme de compléments alimentaires ainsi que les huiles essentielles (sauf 15 % d’entre elles présentant un risque de toxicité). Or, le rapport notait également que « les informations que les herboristes peuvent apporter sont limitées : ils ne peuvent associer aux 148 plantes médicinales « libérées » des communications écrites ou orales sur leur usage thérapeutique ». En un mot, les allégations ne peuvent être maniées qu’avec une précaution extrême par les herboristes.
La mission proposait de réexaminer la liste des 148 plantes médicinales libérées pour en intégrer d'autres ne présentant pas de risque d’emploi, en étudiant la possibilité de la compléter de leurs usages traditionnels concernant les maux du quotidien. « Le calendula, par exemple. Officiellement, on peut utiliser en vente libre le fruit, mais pas la sommité fleurie. Or, elles sont vendues dans la plupart des herboristeries comme dans les magasins bio type Biocoop. », note Solène Dumas. Faudrait-il élargir la liste ? « Certains herboristes y travaillent, explique Nathalie Havond, mais rajouter 40 plantes à la liste, ne modifiera pas le statut - ou l’absence de statut - de l’herboriste de comptoir ». Si cette extension n’a pas été effectuée jusqu’à présent, rappelle Bruno Maleine, c’est notamment en raison de l’obligation de pharmacovigilance imposée aux professionnels de santé. « Le pharmacien a une obligation de déclaration des effets indésirables. Ce que ne font pas tous les revendeurs de ces 148 plantes libérées. Malgré tout, on pourrait imaginer que cette liste fasse l'objet d'une actualisation. »
Vers une reconnaissance ?
Deuxième volet de cet épineux dossier : la qualification professionnelle de ces herboristes. « L’herboriste de comptoir » est l’un des métiers identifiés par la mission Labbé, qui préconisait de poursuivre la concertation pour envisager « les conditions d’une reconnaissance éventuelle de ces métiers ». Depuis, selon Nathalie Havond, « aucune avancée n’a été enregistrée ». Un diplôme reconnu par les ministères de tutelle permettrait-il de séparer le bon grain de l’ivraie ? La Fédération française des écoles d’herboristerie (FFEH) a bien tenté de faire reconnaître au Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) la certification de « conseiller en herboristerie ». Peine perdue. Les tentatives n’ont pas abouti, à deux reprises. Faute de pouvoir y consacrer davantage de ressources financière et humaine, la fédération a décidé « d'accompagner l'émergence de ces herboristes de comptoir et de les faire reconnaître de façon sociétale plutôt que réglementaire », explique Nathalie Havont.
Certains pharmaciens s’interrogent sur la nécessité de mieux encadrer ce métier. « Je pensais que les mieux placés pour être herboristes sont les pharmaciens, observent Marie Tanneau. Parce que nous sommes formés à la physiopathologie, à la toxicologie, à la thérapeutique… et parce que nous avons la connaissance du dossier médical et des risques d’interactions. Mais j’ai évolué sur ce sujet. Il y a tant de personnes qui vendent ou conseillent des plantes, sans aucune règle, que je me demande s’il ne vaudrait pas mieux instaurer un diplôme reconnu. Un herboriste qui garantit la qualité des plantes et travaille en collaboration avec les professionnels de santé, serait plus enviable que la situation actuelle. »
De plus, l’idée de dissocier la vente des plantes médicinales du conseil s’impose. « Est-ce qu'on peut interdire le conseil sur l’utilisation des plantes médicinales ? Est-ce que c'est de l'exercice illégal de la médecine ? Ce n’est pas à moi d'en juger, déclare Bruno Maleine. Cependant, le pharmacien doit être très vigilant quand il voit arriver des listes de plantes. Il se doit de jouer un rôle de filtre. Si la vente des plantes médicinales est réservée au pharmacien, c’est parce qu’au comptoir, elle sera assortie du conseil et de l'interrogatoire, au même titre que lorsque le patient arrive avec une demande de médicament. »
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