PÉNURIE. Un risque, longtemps considéré comme virtuel par les pays occidentaux. En particulier dans le domaine du médicament. Une réalité, aujourd’hui, selon les académies de pharmacie et de médecine. Dans deux rapports publiés récemment les deux instances ont clairement fait part de leurs craintes de voir la France manquer de certains médicaments. L’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé), qui a succédé à l’AFSSAPS (Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé), comme la FDA (Food and Drug Administration), son homologue Outre-Atlantique, font d’ailleurs régulièrement part de dizaines, voire de centaines de cas de risques de ruptures. Et ces bulletins d’alerte semblent croître de manière exponentielle, puisqu’en France quatre cas auraient été recensés en 2009, cinq en 2010, vingt-quatre en 2011 et une vingtaine depuis le début de l’année. Quant aux États-Unis, le nombre de ruptures de stock y a triplé au cours des dernières années et plus de 110 incidents y auraient été déjà enregistrés depuis le début de l’année.
« Ce risque de pénurie de médicaments correspond en réalité au problème de disponibilité du principe actif », explique David Simonnet président exécutif et actionnaire du groupe Axyntis qui est fabricant de principes actifs pour l’industrie pharmaceutique. Un principe actif qui est le cœur du médicament et donc guérit ou aggrave lorsqu’il n’est pas conforme. « Apparu dans les années soixante-dix, cette stratégie d’outsourcing de la fabrication des molécules actives a connu une véritable phase d’accélération depuis une quinzaine d’années », précise encore David Simonnet. Et d’expliquer : « les raisons sont à la fois d’ordre capitalistique, car les investissements nécessaires sont très importants, et tiennent au modèle économique longtemps en vigueur dans ce secteur, puisque la logique du blockbuster n’incite pas les laboratoires pharmaceutiques à entretenir un parc industriel important alors qu’ils ne réalisent leur chiffre d’affaires que sur quelques molécules ». À l’inverse les sous-traitants peuvent mutualiser les coûts de production en travaillant pour plusieurs groupes.
De 30 à 90 millions de boîtes de médicaments falsifiés.
En outre, la chimie s’est éloignée du métier de pharmacien, concentré sur les phases de recherche. Conséquence : la sous-traitance qui avait démarré avec les génériques s’est aujourd’hui étendue aux molécules princeps. Au point que la fabrication des deux tiers des principes actifs est aujourd’hui externalisée, avec toutefois une proportion plus forte pour les génériques (90 % externalisés) que pour les princeps (50 % externalisés).
Par ailleurs, cette matière première provient essentiellement des pays émergents. « Aujourd’hui, environ quatre médicaments sur cinq, vendus légalement en Europe et aux États-Unis, sont fabriqués à partir de matières premières importées d’Inde et de Chine, alors qu’ils n’étaient que 20 % à la fin du XXe siècle ». Soit la quasi-totalité des génériques, pour lesquels par définition les pays émergents n’ont pas eu à supporter les coûts de recherche et développement, et une bonne partie des princeps. La production chimique traditionnelle est « lourdement concurrencée par une production de spécialités génériques souvent localisée à l’étranger », confirme ainsi Philippe Lamoureux, directeur général du LEEM (syndicat patronal de l’industrie pharmaceutique). Or, selon David Simonnet, « cette tendance n’est pas sans risque, puisque le lieu de consommation est particulièrement éloigné du lieu de fabrication ».
Sans parler du problème de falsification et de contrefaçons de médicaments. « Les cas où le médicament, pourtant vendu légalement, ne contient pas le dosage ou le principe actif attendu se multiplient » précise encore le président d’Axyntis. Les douanes européennes estiment ainsi que, selon les pays, de 1 % à 3 % des médicaments vendus en pharmacie seraient falsifiés. Sur les trois milliards de boîtes de médicaments délivrées chaque année en France, entre 30 et 90 millions de boîtes contiendraient donc des médicaments falsifiés.
Risque de dépendance.
Mais le plus inquiétant reste le problème de la dépendance. Un risque que David Simonnet considère comme prépondérant, à l’heure de la guerre économique. « L’un des objectifs poursuivis par les pays émergents est de contrôler systématiquement les ressources rares, telles que les matières premières pharmaceutiques, qui sont indispensables à l’indépendance et à la puissance d’une nation », explique-t-il avec inquiétude. Le déplacement de la production vers les pays émergents aboutit en effet à des situations de monopole de production. Certains principes actifs ne sont plus fabriqués en Europe. Le paracétamol en est un exemple emblématique ! « Les risques tout au long de la chaîne d’approvisionnement sont donc moins maîtrisés par les donneurs d’ordre qui se sont mis dans un état de dépendance », déplore le président d’Axyntis.
Plus de 80 morts en 2008.
Cette désindustrialisation trouve son origine dans la nouvelle approche de la gestion du risque qui oblige les laboratoires à appliquer des niveaux très élevés de qualité. « La différence entre les normes de qualité qui pèsent sur les producteurs européens et celles auxquelles sont soumis les producteurs asiatiques est principalement responsable de cette situation », explique encore David Simonnet. Pour preuve : alors que les autorités indépendantes comme l’ANSM inspectent régulièrement la centaine de sites européens, 90 % des milliers de sites asiatiques - pourtant exportateurs en Europe - ne l’auraient jamais été. « Et lorsqu’ils le sont, notamment par la direction européenne de la qualité médicament (DEQM) qui dépend du Conseil de l’Europe, dans une majorité de cas, cela débouche sur une annulation ou une suspension des certificats européens qui avaient été accordés », précise encore le président d’Axyntis. Au cours de l’année 2011, seules dix-huit inspections ont ainsi été menées par la DEQM en Asie et ont abouti à la suspension ou l’annulation de 29 certificats.
Pire, les différences de normes en matière d’hygiène sécurité environnement exposent les fabricants émergents à des risques d’arrêts plus fréquents - accident ; pollution… - que les unités de fabrication en Europe soumises à des réglementations strictes ; c’est une des causes des ruptures d’approvisionnement constatées. Les États-Unis ont clairement mis en évidence ces causes et ces risques depuis le scandale de l’héparine en 2008 qui a provoqué la mort de plus de quatre-vingts personnes. Parmi ces causes : des usines déclarées fabricantes en Chine et qui ne l’étaient pas ; la falsification (le médicament pourtant vendu légalement ne contient pas le dosage ou le principe actif attendu) ; une absence de contrôle sur place par des autorités indépendantes ou par les clients ; la primauté accordée au coût sur une norme elle-même défaillante ; l’arrêt brutal par les autorités de plusieurs usines ; la dépendance de fait vis-à-vis de quelques fournisseurs de pays émergents pour l’approvisionnement de molécules…
Rééquilibrer la donne.
D’où la nécessité de rééquilibrer la donne. Comment ? « En imposant aux pays émergents des normes qui, sous prétexte de compétitivité, éviteront d’ouvrir en grand la porte à des matières premières de piètre qualité ». En clair, il faut basculer du moins disant vers le mieux disant ! D’autant, ajoute David Simonnet que « le dumping normatif organisé par les pays émergents se double d’un protectionnisme de ces mêmes pays quant à l’accès à leur marché ». La Chine, ainsi, n’importe pas de médicaments afin de favoriser l’émergence d’une industrie locale.
Plus encore qu’un problème politique, il s’agit d’un enjeu géopolitique. « Souhaitons-nous aller jusqu’au bout du reflux de nos capacités de production, abandonner notre indépendance dans la fabrication et donc dans l’accès aux médicaments ? » En aucun cas, selon nos dirigeants politiques, convaincus que « le médicament est devenu l’arme blanche de la géopolitique ». L’ex Ministre de l’Économie et des Finances, lors du dernier Conseil Supérieur des Industries de Santé de janvier 2012, déclarait d’ailleurs : « le maintien de la production en France est un enjeu comparable à celui de l’indépendance maîtrisée dans les domaines de l’énergie et de la défense. »
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