Un collectif de psychiatres demande au gouvernement de tenir ses engagements et d’assurer la continuité des traitements psychotropes, dont les conséquences des tensions et ruptures d’approvisionnement affectent lourdement la vie des patients.
« Derrière ces ruptures de stock se jouent des vies entières, des trajectoires brisées, des familles épuisées. » Pourtant déclarée grande cause nationale 2025, la santé mentale demeure « le parent pauvre de la médecine française ». Au sein d’une tribune publiée dans les colonnes du « Monde », un collectif* de psychiatres s’insurge du « désengagement chronique » de la psychiatrie en France. Les auteurs alertent notamment sur les difficultés structurelles d’approvisionnement en médicaments psychotropes critiques pour les patients. « La liste des médicaments en situation de pénurie plus ou moins critique s’allonge, écrivent les médecins. Chaque rupture est susceptible de provoquer des décompensations aiguës, des souffrances psychiques insupportables et surcharge davantage des services psychiatriques déjà saturés. » Et de citer les molécules concernées : sertraline, venlafaxine, lithium et même rupture d’approvisionnement totale pour la quétiapine et l’olanzapine à libération prolongée, cette dernière spécialité étant utilisée pour les formes « les plus difficiles à stabiliser ». Les conséquences de ces ruptures sont lourdes : environ 20 % des patients bipolaires non-traités se suicideraient.
Les causes sont multiples, explique le collectif. Fragilité des chaînes d’approvisionnement, dépendance à des sites industriels étrangers uniques, stratégies commerciales des laboratoires pharmaceutiques privilégiant des marchés plus rentables, régulation des prix en France jugée insuffisamment attractive par les fabricants… Ainsi, l’abandon « pur et simple » de la production des molécules anciennes, dont l’efficacité est pourtant éprouvée, par des laboratoires pharmaceutiques, pour se concentrer sur de nouvelles thérapies bien plus rentables, parce que vendues plus cher est « une cause bien établie » des pénuries. Cette demande de révision de la politique de prix du médicament, fait écho à l’appel lancé cette semaine par les industriels du secteur, qui argumentent en faveur d’une revalorisation des prix du médicament.
Autre conséquence « paradoxale » du système tricolore de régulation des prix et de remboursement : le freinage de l’arrivée des traitements innovants, nécessaires et pourtant validés ailleurs en Europe. Faute d’accord sur le prix, c’est par exemple la caprazine, internationalement recommandée en traitement de la schizophrénie, qui demeure indisponible dans l’Hexagone. « Accepterions-nous ça dans le traitement d’un cancer ? » interrogent les auteurs.
Ce n’est pas tout. Les pénuries de médicaments ne sont pas les seuls obstacles que rencontre notre système de soins des maladies psychiques. Pénurie de médecins, désaffection croissante des jeunes internes pour la spécialité et fermeture massive de lits laissent les malades et leurs familles dans un désarroi croissant. Le collectif plaide pour la relocalisation des productions essentielles, la revalorisation économique des médicaments indispensables et pour que l’accès à des innovations thérapeutiques validées internationalement soit garanti. « La psychiatrie française mérite mieux qu’une gestion à flux tendu, et nos concitoyens souffrant de troubles psychiques méritent d’être soignés dignement, dans la continuité et la sécurité. Agir maintenant, c’est refuser de laisser la psychiatrie devenir le miroir honteux de notre désengagement moral et politique. Le temps presse. »
Philippe Fossati, professeur de psychiatrie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris ;
Raphaël Gaillard, professeur de psychiatrie à l’hôpital Sainte-Anne, à Paris ;
David Gourion, rédacteur de la tribune, est psychiatre libéral à Paris ;
Marc Masson, psychiatre libéral à Paris.