Tant qu’il y a de la vie, IA de l’espoir. Fin mars, les colonnes du « New York Times » ont rapporté le cas de ce patient sauvé par un recours in extremis à l’intelligence artificielle (IA). Atteint du syndrome POEMS, une maladie rare du sang, Joseph Coates, un Américain de 37 ans, se battait depuis des mois contre cette pathologie qui lui causait des engourdissements des mains et des pieds, une hypertrophie du cœur et des défaillances rénales. La seule voie thérapeutique qui aurait pu le mettre en rémission, une greffe de cellules souches, était mise hors d’atteinte par son état moribond. C’est à sa petite amie que Joseph Coates doit sa survie. Refusant le diagnostic des médecins, la jeune femme contacte le Dr David Fajgenbaum, qui, en quelques heures à peine, suggère sur proposition d’un algorithme un cocktail de chimiothérapie, d’immunothérapie et de stéroïdes. Le bénéfice ne se fait pas attendre. En une semaine à peine le patient répond favorablement au traitement et 4 mois plus tard son état s’est suffisamment amélioré pour recevoir la greffe qui lui sauve la vie. Il est aujourd’hui en rémission.
Molécules d’intérêt
L’industrie du médicament vit une petite révolution. Dans le domaine de la santé ou ailleurs, les faits d’armes des intelligences artificielles se multiplient et leur intérêt n’est plus à prouver. Identification de molécules d’intérêt, réaffectation de spécialités vers d’autres pathologies, sélection fine de patient à intégrer aux cohortes… « Les algorithmes d’intelligence artificielle permettent aujourd’hui d’identifier très rapidement une cible d’intérêt thérapeutique pour une pathologie donnée », commence Nathalie Manaud, directrice Innovation du Leem (Les entreprises du médicament). Toutefois, « appuyer sur des boutons ne suffit pas, poursuit Frédéric Lavie, directeur scientifique du Leem. L’IA s’appuie sur des connaissances qui sont dans le domaine public, produites par les universités et institutions de recherche. » C’est donc en nourrissant les algorithmes avec, d’une part, la littérature scientifique disponible sur les mécanismes physiopathologiques, comme les voies de signalisation intracellulaires, par exemple, et d’autre part avec la connaissance d’un nombre astronomique de molécules et de peptides existants, ou potentiellement existants selon les lois de la chimie, que l’IA peut soumettre une poignée de molécules d’intérêt à évaluation. En d’autres termes, un logiciel d’intelligence artificielle est capable de comparer la structure et les propriétés physico-chimiques de la cible identifiée avec d’immenses banques d’information moléculaire ou protéique, puis de proposer un nombre restreint de molécules qui interagiraient avec cette cible.
Condenser en quelques mois le travail que 1 000 chercheurs auraient fait en 10 ans.
Frédéric Lavie
L’intérêt de ces bases de données est parfaitement compris par la communauté scientifique. Ainsi, en 2024, le prix Nobel de chimie a été attribué à deux chercheurs de Google qui ont développé AlphaFold. Une base de données ayant vocation à « offrir un accès libre à une prédiction de la structure de 200 millions de protéines, pour accélérer la recherche scientifique. » Une révolution dans ce domaine qui a longtemps demandé des procédures longues et complexes pour déterminer la structure tertiaire d’une protéine. Autre avantage des algorithmes, ils proposent des molécules dont les effets seraient très ciblés. Ainsi, celles-ci interagiraient avec beaucoup d’affinité avec la cible et occasionneraient donc peu d’effets secondaires. Les merveilles des ordinateurs ne s’arrêtent pas là. Après avoir été sélectionné, ou imaginé, il faut synthétiser le potentiel principe actif. « Des outils de rétro-ingénierie voient aussi le jour, capables de proposer les meilleurs processus, c’est-à-dire les plus rapides, les moins coûteux et avec le moins d’étapes, pour synthétiser les molécules sélectionnées », poursuit la Nathalie Manaud. Plutôt que d’évaluer une par une des milliers de molécules et d’en éliminer au fur et à mesure, les ordinateurs offrent aux chercheurs un raccourci. « L’intérêt de l’IA, c’est de condenser en quelques mois le travail que 1 000 chercheurs auraient fait 10 ans », résume Frédéric Lavie.
Une molécule entièrement générée par intelligence artificielle en essai de phase II
La société la plus avancée dans ce domaine est canadienne. InSilico est la première entreprise au monde à soumettre une molécule entièrement générée par intelligence artificielle à un essai de phase II. C’est un traitement pour la fibrose pulmonaire, une maladie qui cause une rigidification progressive des tissus pulmonaires, pour laquelle ni traitement, ni cause, ne sont connus, qui pourrait être mis au point. Dans cet objectif, la plateforme développée par l’entreprise canadienne a comparé les profils génétiques des patients souffrants de cette pathologie, avec ceux de sujets sains et a repéré plusieurs gènes surexprimés par les patients malades. « Pour chaque gène identifié, l’algorithme a scanné la littérature scientifique pour voir lesquels ont déjà été associés à la maladie, explique Petrina Kamya, présidente de la branche canadienne d’Insilico Medicine. Plus le lien est documenté, plus la cible obtient un bon score. Ensuite, vous sélectionnez 5 ou 10 molécules qui ont obtenu la meilleure note, et vous les validez en laboratoire. » Dans cette entreprise, on joue avec les propriétés d’une molécule comme on modifierait les paramètres d’une image. Stabilité, efficacité ou absorption. D’un simple clic, le programme optimise la molécule selon des critères choisis.
L’industrie peine à suivre le rythme
Outre l’identification et la sélection de molécules, l’intelligence artificielle trouve sa place à tous les stades de la recherche et du développement. Durant la crise Covid, l’usage de l’intelligence artificielle a déjà participé à sauver de nombreuses vies. Ainsi, cette nouvelle technologie n’est pas étrangère à l’arrivée rapide de vaccins sur le marché. Pour tester l’efficacité des produits mis au point, il a fallu recruter des cohortes de patients au bon endroit, au bon moment. Là encore, c’est à l’IA que l’on doit l’optimisation de ces travaux d’ampleur. En se basant sur des données épidémiologiques, ce sont des algorithmes qui ont identifié où et quand ouvrir les centres de test de vaccination. L’idée étant de vacciner avant l’arrivée d’une vague épidémique, pour ensuite calculer l’impact du vaccin, sur la réduction des infections ou des formes graves de la maladie. « En 4 mois, nous avons inclus 46 000 patients dans 156 centres dispersés dans 6 pays, détaille le directeur scientifique du Leem. Ce sont de précieuses semaines qui ont ainsi été gagnées. Les résultats de ces études ont été obtenus avec célérité, facilitant ainsi l’obtention des autorisations nécessaires à la mise sur le marché des vaccins. Nous sommes allés si vite, qu’il y a par la suite presque eu des problèmes de production pour fournir toutes les populations. »
L’enjeu des « big data »
Ces programmes ne sont cependant pas sans limites et, sans surprise, leur plus grande faille, ce sont eux-mêmes. Ou en tout cas les jeux de données avec lesquels ils ont été entraînés. « Mettre au point une intelligence artificielle de qualité, nécessite une somme incroyable de données de qualité, martèle Nathalie Manaud. Il faut donc avoir du recul sur les jeux de données auxquels l’IA a accès. S’assurer qu’ils soient bien représentatifs, savoir avec précision quel type de données on prend et quel biais on intègre – ou non – dans la machine. Enfin, il faut un cadre juridique sûr qui permette de générer une confiance dans ce qui est fait. » Sur ce point, le responsable du Leem est optimiste. « Nous avons en France le terreau fertile pour générer des outils qui seront pertinents pour les patients et qui respecteront les données sensibles. D’une part parce que notre pays est riche de ses expertises médicale et mathématique mondialement reconnues – les deux éléments sine qua none au développement de l’intelligence artificielle en santé. Et, d’autre part, parce qu’un certain nombre de règlements européens, à l’avant-garde desquels le Règlement général sur la protection des données (RGPD), mais aussi tricolores posent un cadre d’utilisation éthique et humaniste de ces données sensibles. » Un ensemble d’obligations qui s’inscrit dans une coopération européenne plus large.
Un enjeu mondial et social
Poussé par la France qui porte une vision politique de l’IA, le Vieux Continent travaille à la construction d’un entrepôt de données de santé. Celui-ci agrégera une quantité considérable d’informations médicales et dans laquelle les algorithmes pourront piocher. Bonne nouvelle donc, dans la course des superpuissances à l’IA, l’Union européenne se place dans le peloton de tête. Mais alors, si le bénéfice pour la nation et les patients est assuré, qu’en est-il des travailleurs humains ? Dans ce contexte où les machines ont appris à penser et le font avec plus de vivacité que le plus brillant des chercheurs, ne doit-on pas s’inquiéter que ces derniers, jusqu’ici colonne vertébrale de la recherche scientifique, se voient remplacés par des lignes de code ? Sur ce point, les deux responsables du Leem se veulent rassurants. « Les outils numériques décuplent la puissance de recherche, mais ont besoin d’être pilotés par des humains, explique la chercheuse. Les postes vont simplement être déplacés. » Au même titre que l’on n’imagine pas aujourd’hui se passer d’un ordinateur, on n’envisage déjà plus se passer d’intelligence artificielle. Ces profils acculturés à l’usage de l’intelligence artificielle seront, demain, un pré-requis de la recherche médicale. Les pouvoirs publics l’ont bien compris. Dès la rentrée 2025, une formation au numérique intégrant l’IA constituera un module obligatoire durant le premier cycle des études de santé et 119 millions d’euros sont investis pour former 500 000 professionnels en 5 ans.
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