« Les vols, c’est tout le temps ! »
Annie Herbreteau, titulaire de la pharmacie Vinci à Tours, a vécu en août 2024 un vol qui aurait pu mal tourner. Ce jour-là, un individu dérobe des produits de parapharmacie et fait sonner les portiques de sécurité en s’enfuyant. L’officinale lui court alors après en criant « au voleur ! », mais finit par se faire distancer. C’est un passant qui prend le relais et poursuit le malfaiteur. « Mais ce dernier avait un couteau, ce que je ne savais pas », raconte la titulaire. Le voleur s’est retourné et a tenté trois fois de blesser son poursuivant, qui a esquivé les coups et réussi à lui saisir le bras et le plaquer au sol. Un témoin de la scène et des automobilistes l’ont ensuite aidé, pour éloigner l’arme et maintenir le voleur en attendant l’arrivée de la police. « Je n’ai rien vu, c’est la police qui m’a informée de la fin de l’affaire », poursuit la titulaire qui est alors allée porter plainte, « car le voleur avait agressé une tierce personne. » Il doit d’ailleurs être jugé en ce mois de mars 2025.
Si cette affaire a fait grand bruit, il ne s’agit, finalement, que d’une banale histoire de vol. « Et des vols, on en a tout le temps », se désole Annie Herbreteau. Pour dissuader les voleurs, la pharmacie est équipée d’un système de vidéosurveillance interne et les produits sont munis de barrettes magnétiques qui sonnent au passage d’un portail disposé à l’entrée. Par ailleurs, il arrive aux membres de l’équipe officinale d’être agressés verbalement, « lors d’un refus de délivrance d’une ordonnance non conforme ou trafiquée, essentiellement pour des somnifères ou des produits neurologiques qui sont en général revendus sur la place de la gare », explique Annie Herbreteau. « Mais dans ce cas, nous sommes très fermes, nous savons que nous avons la loi pour nous et ne cédons jamais, sans chercher l’affrontement. » La consigne est de rester courtois et calme. D’autant plus que « nous avons affaire à des personnes qui sont malades ou fragiles, parfois atteintes de dépression, de troubles bipolaires, etc. Nous devons faire attention à eux, savoir être délicat et empathique, c’est la base de notre métier ». Dans les trois quarts des cas cela se passe correctement. Parfois la situation devient plus tendue, l’équipe essuie des colères, certains individus renversent des présentoirs par terre. « Il m’est arrivé de prévenir les personnes qu’elles étaient filmées et que je pouvais porter plainte et déposer les vidéos au commissariat. Cela ne va jamais plus loin. »
En revanche, nous n’avons jamais souffert d’agression physique à la pharmacie. Il y a quelques années il y a eu une série de vols de caisses à Tours, mais la pharmacie Vinci a heureusement été épargnée. « Peut-être parce que nous sommes sur la place de la gare, très fréquentée en journée, ce qui ne facilite sans doute pas les vols à main armée. Peut-être aussi parce que nous sommes deux ou trois à travailler en journée. Les petites pharmacies, avec peu de personnel, peuvent représenter des cibles plus faciles », réfléchit la titulaire, pour qui la sécurité reste une priorité absolue. « Il y a toujours deux personnes pour assurer la fermeture, j’y tiens pour des raisons de sécurité », martèle-t-elle.
« Il n’a pas supporté de devoir payer »
C’était une journée de février comme toutes les autres pour Lina Kheniche, préparatrice en pharmacie à Marseille. « Il est venu avec une ordonnance de médicaments, il devait avoir 25 ans, et puisqu’il n’avait pas de complémentaire santé, je lui ai demandé de régler le reste à charge. Il ne l’a pas supporté. » Le ton monte très rapidement. « Il a insisté en me parlant de sa carte Vitale, pensant qu’elle lui donnait droit à la gratuité. Il est devenu menaçant, a commencé à crier et à m’insulter. » La jeune préparatrice est désemparée, mais tient bon. « Ma titulaire est venue et a essayé de calmer le jeu, sans succès. Il a enfoncé l’ordinateur d’un coup de poing, que nous avons évité de peu. Il a jeté au sol tous les articles posés sur le comptoir et s’est enfui. Il y avait des patientes âgées dans la pharmacie, elles étaient effrayées et l’une d’elles s’est même réfugiée derrière le comptoir. Elle tremblait lorsqu’il est parti. » Encore en état de choc, les deux femmes tentent de mobiliser les forces de police, avec un résultat pour le moins décevant. « Quand on a voulu porter plainte, les agents nous ont aussi fait comprendre qu’il y avait une possibilité de représailles. La police nous a dit que si elle convoquait le patient pour répondre de ses actes, celui-ci nous attendrait peut-être à la sortie de la pharmacie. Nous avons pris peur à l’idée de nous retrouver seules face à lui, après avoir baissé le rideau. Nous n’avons donc pas déposé de plainte. Je ne sais pas si la police peut nous protéger, en tout cas je ne me suis pas sentie protégée par eux. Cette situation va se répéter, les agressions sont de plus en plus courantes. D’ailleurs, les jours suivant ces faits, on n’en menait pas large en arrivant à l’officine. Ces événements engendrent beaucoup d’anxiété et de souffrance au travail. »
Confrontée à ces agressions qui se multiplient et aux réponses parfois navrantes des forces de l’ordre, Valérie Ollier-de Lécluse a saisi la préfecture le 12 mars. La titulaire phocéenne, présidente du syndicat des pharmaciens des Bouches-du-Rhône (FSPF), a elle aussi subi des violences au comptoir. La préfecture s’est engagée à ouvrir une procédure, un guichet spécial à destination des professionnels de santé agressés par des patients. Un officier sera désigné et formé à prendre en charge ce type de violences, pour éviter l’errance judiciaire. Une démarche qui s’étend même jusqu’à Paris. Gérard Larcher, le président du Sénat, s’est emparé de la problématique et a promis de travailler à la promulgation de la loi Pradal, qui élargirait le délit d’outrage aux professionnels de santé agressés dans le cadre de leurs fonctions.
« Un homme cagoulé a braqué une arme sur moi »
Début mars, ce titulaire du Sud-Ouest, qui tient à garder l’anonymat pour préserver sa sécurité, était seul au comptoir lorsqu’un homme avec une cagoule a exigé un médicament classé stupéfiant, en pointant une arme sur lui. C’est arrivé un après-midi, vers 17 h 30 quand la luminosité commence à baisser. « J’étais à l’arrière, quelqu’un est entré, je me suis avancé pour le servir, je ne voyais pas bien, j’ai cru que la personne était noire, et quand je me suis retrouvé au comptoir, c’était une personne complètement cagoulée, la tête couverte d’une capuche, les mains gantées, et un sac de sport en bandoulière devant lui. Il m’a demandé du Medikinet, un médicament contre le TDAH. Je suis resté calme. Je lui ai demandé s’il avait une ordonnance. Il m’a dit non, et a braqué sur moi une arme de 60 à 80 cm. Je ne saurais dire si elle était vraie. Je lui ai donné une boîte. Il m’a dit “plus “Deux boîtes. “Plus “. Je lui ai donné quelques boîtes, je voulais que ça se passe bien. Il les a mises dans le sac, et avant de partir, il m’a dit : « je suis désolé que ça se soit passé comme ça. »
La veille, Pierre avait refusé de servir une boîte du même médicament. L’ordonnance lui semblait douteuse. « J’en ai eu plusieurs pour ce médicament. Le même nom de médecin, mais pas la même écriture », explique-t-il. Sa pharmacie est située pas loin de la gare. Et depuis quelque temps, les toxicos semblaient s’être donné le mot. « J’ai servi une personne, deux autres sont arrivées, puis trois, quatre… C’est Radio Zone. » Les premiers avaient peut-être de vraies ordonnances, les suivants, difficile à dire avec le recul. Cela pourrait-il être un réseau de trafiquants ? « Pas forcément, les toxicos utilisent ce médicament contre le TDAH pour se calmer. Je ne comprends pas : ils ont des droits ouverts à la sécu, mais ne vont pas chercher une prescription. »
Après l’attaque, il s’est assis 10 minutes. « Pour retrouver mes esprits quand même ». Puis il a appelé le commissariat le plus proche, qui lui a dit d’appeler le 17. « Ils ont fait des recherches tout autour. Ils ont trouvé des éléments qui permettraient peut-être d’identifier le coupable. » Il a porté plainte. La police lui a promis de passer un peu plus souvent dans sa rue. « Ils font leur travail. » Mais pas plus.
Après avoir fermé la pharmacie quelques jours, il est en plein désarroi : comment continuer à travailler avec la peur qu’il revienne ? Car le plus dur après une agression est de revenir au comptoir. Il n’y a pas de vigile devant la porte, pas plus de policier dans la rue. Rien n’a changé, sauf le pharmacien qui perçoit sa sécurité autrement. « J’ai fermé l’officine pendant quelques jours, j’ai tout coupé pour ne pas y penser, et puis j’ai rouvert il y a deux jours. Pour l’instant je déclenche la porte automatique avec la télécommande. Je laisse entrer les habitués et les personnes qui m’ont l’air correctes, mais ce n’est pas une solution à long terme. » Le titulaire a été attaqué à main armée. Il dit que « ça va ». Mais sa compagne, qui se trouvait dans le back-office fait des cauchemars. Elle a peur pour lui. Il est seul au comptoir, sans salarié, dans une rue avec peu de passage. Dans ce contexte, rouvrir est une épreuve. « Si je garde le stock pour ce médicament, je prends le risque qu’ils reviennent. Si je le retire, je prends encore plus de risque. Quand je refuse une ordonnance, certains pourraient tout casser. Et, en plus, je voudrais être là pour les personnes vraiment atteintes de TDAH. Je pourrais continuer à filtrer les entrées une par une, mais ils pourraient m’attendre à la fermeture. » Il ne voit pas de solution. Ses proches lui conseillent de fermer la pharmacie. Il l’a reprise il y a un an et demi, après 11 ans sans incident en région parisienne. Sa compagne, elle, n’oublie pas le regard terrifié qu’ils ont échangé lorsqu’il est allé chercher les stupéfiants dans le back-office. « Elle voudrait que je ferme, confie-t-il. Mais c’est un préjudice financier conséquent. »
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