Le Quotidien du Pharmacien.- La trésorerie semble être une source d’inquiétude croissante pour les titulaires. Pourquoi ressentent-ils plus particulièrement ces difficultés aujourd’hui ?
Bertrand Cadillon.- Effectivement, nous ressentons cette inquiétude car un grand nombre d’officines ont vu leur trésorerie se dégrader avec des marges de manœuvre plus étroites. Les officines, qui rencontrent des difficultés inquiétantes de trésorerie, sont aussi bien des petites structures que des officines de taille importante. Le phénomène est d’autant plus marquant après des années « Covid » où cela n’était pas un sujet, bien au contraire !
Les raisons sont multiples : effritement de la marge brute, augmentation des charges fixes (salaires, énergie, intérêts d’emprunt), poids croissant des médicaments chers, mais aussi gestion parfois inadaptée du stock ou pilotage financier trop décalé dans le temps. À cela s’ajoutent parfois les retards de remboursement de la Sécurité sociale et les indus, qui peuvent peser lourd sur la trésorerie mensuelle. On assiste alors à un effet ciseaux entre dépenses qui s’accélèrent et rentrées d’argent qui ralentissent. Certains titulaires découvrent leur manque de trésorerie trop tard, au moment de payer la TVA, le grossiste répartiteur ou les salaires.
Pourquoi dit-on que la trésorerie est le « thermomètre » de la santé financière de l’officine ?
Bertrand Cadillon.- Parce qu’elle mesure à la fois l’instant et l’histoire. Une trésorerie tendue aujourd’hui est souvent le résultat de décisions prises 6 ou 9 mois plus tôt : un sur-stockage, une embauche mal anticipée, un plan de financement trop optimiste, etc. En pharmacie, la trésorerie fonctionne comme un baromètre décalé, mais très parlant. Quand elle commence à se tendre, c’est souvent que plusieurs voyants étaient déjà passés à l’orange.
Et contrairement à ce que l’on croit, ce n’est pas le solde du compte bancaire qui est significatif, mais la capacité de l’officine à faire face à ses échéances dans les 15 ou 30 jours à venir. Autrement dit, la question n’est pas « combien y a-t-il sur le compte aujourd’hui », mais « combien il y aura dans deux ou trois semaines, après paiement des salaires, fournisseurs, acompte d’IS, URSSAF, emprunts ? ».
L’affacturage est de plus en plus utilisé. Faut-il s’en inquiéter ?
Bertrand Cadillon.- L’affacturage est effectivement un peu plus utilisé. Ce sont des solutions techniques qui permettent à une officine de céder son en-cours de tiers-payant en échange d’une avance de trésorerie, généralement autour de 80 % du montant. Cela donne une bouffée d’air, mais avec un coût : commissions, intérêts, et parfois une certaine dépendance au dispositif. Il faut voir ces outils comme de la « Ventoline » : efficaces pour soulager une crise, mais qui ne règlent pas les causes de l’essoufflement. On observe même que certaines pharmacies utilisent systématiquement l’affacturage comme mode de fonctionnement mensuel. Une pratique qui peut masquer des problèmes de fond.
Quelles sont les solutions concrètes pour retrouver une respiration financière saine ?
Bertrand Cadillon.- D’abord, reprendre le pilotage en main. Sur le court terme, cela commence par un tableau de bord simple mais rigoureux : marge brute, encaissements attendus, échéances grossistes et labo, niveau du stock informatique… Il faut aussi adopter une vision glissante de la trésorerie à 15 et 30 jours, pour anticiper les creux plutôt que les subir. Ensuite, il faut limiter les pics de décaissements, répartir les prélèvements, ajuster ses achats aux rotations réelles, revoir les produits à faible marge… Chaque poste peut être optimisé. Le stock, par exemple, est souvent une source importante de trésorerie bloquée. Comme il y a toujours une part d’irrationnel dans chaque être humain, le naturel revient au galop : par exemple, alors qu’il faudrait limiter les achats de produits de parapharmacie, on se laisse prendre au jeu parce que la remise accordée est importante. On oublie bien souvent que la remise n’existe que parce que le produit est vendu.
Et côté rémunération du titulaire, y a-t-il un levier ?
Bertrand Cadillon.- C’est un point très sensible. Quand les affaires semblent bonnes, il est tentant d’augmenter ses prélèvements personnels ou sa rémunération de gérance. Mais si cela n’est pas aligné avec la rentabilité brute réelle, cela ponctionne directement la trésorerie, parfois jusqu’à la rupture. Mieux vaut lisser ses prélèvements chaque mois à date constante en se gardant la possibilité de prendre un bonus en fin d’année, si la trésorerie le permet. Il faut donc demander concrètement à son cabinet comptable de faire un calcul prévisionnel pour déterminer en début d’année fiscale ce qu’il est possible de prendre comme rémunération avec une marge de sécurité.
Le Quotidien du Pharmacien.- Si toutes les solutions que vous préconisez n’améliorent pas le niveau de trésorerie, que doit faire le titulaire ?
Bertrand Cadillon.- Il faut rapidement approfondir le diagnostic avec le cabinet comptable afin de déterminer si les difficultés de trésorerie sont conjoncturelles ou structurelles. Dans cette deuxième hypothèse il faut envisager des solutions plus lourdes comme une restructuration financière globale avec l’accord du banquier.
En d’autres termes ?
Bertrand Cadillon.- Bien souvent les officines ont été acquises à un prix trop élevé par rapport à une rentabilité brute future. Bref on a été trop optimistes sans prendre en compte une économie qui depuis s’est dégradée. Certes, les chiffres d’affaires augmentent mais pas les marges ! Dans la majorité des cas la restructuration financière va consister à consolider les dettes à long et court terme pour remettre tout cela dans une même enveloppe d’emprunt qui sera remboursable sur une durée allongée. C’est plus coûteux mais bien souvent indispensable !
D’une manière générale, avez-vous le sentiment que dans un contexte tendu de trésorerie les officinaux sont de plus en plus à l’écoute de l’expert-comptable ?
Bertrand Cadillon.- La réponse est oui, sans hésitation, car les pharmaciens ont pris conscience que les problèmes graves de trésorerie n’arrivent pas qu’aux autres. En ce sens, cette période qui n’incite pas toujours à l’optimisme a renforcé notre rôle d’expert-comptable dans ce domaine. Parallèlement, les évolutions de nos outils ainsi que celles les logiciels de gestion officinale dont disposent les titulaires nous permettent de « monitorer » la trésorerie au jour le jour et d’alerter nos clients lorsque quelque chose paraît anormal.
En conclusion, que retenez-vous de cette nouvelle période de tension sur les trésoreries des pharmacies ?
Bertrand Cadillon.- Que comme pour un patient, la fièvre n’est pas la maladie, mais le symptôme. La multiplication des tensions de trésorerie doit donc alerter sur des causes profondes : gestion des flux erratique, coûts fixes trop importants, rentabilité dégradée… Soigner la trésorerie, ce n’est pas injecter ponctuellement du cash, c’est restaurer un pilotage global : du stock à la marge, du personnel au digital. L’enjeu, ce n’est pas juste de tenir jusqu’à la fin du mois : c’est de construire une officine qui respire, qui investit, et qui se valorise dans le temps. Autrement dit, une officine en bonne santé.
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