À Sézanne, commune de près de 5 000 habitants du département de la Marne, on fait face au manque de médecins comme un peu partout en France. Ces dernières semaines, un praticien a pris sa retraite et une autre est partie exercer sous d’autres cieux. Les médecins sont aujourd’hui trop peu nombreux pour répondre aux besoins des patients de cette petite ville et de ceux qui vivent dans les villages alentour. Un constat qui n’est pas nouveau et qui avait poussé, il y a quelques années déjà, une pharmacienne de Sézanne à installer un dispositif de téléconsultation dans son officine. « Nous avions été précurseurs mais sans doute un peu trop », juge avec du recul la titulaire, Nathalie Orblin-Page. Cette première expérience de la téléconsultation va en effet être un échec pour l’officinale. « Nous n’avions pas de borne mais des appareils connectés à un ordinateur portable. À cette époque, la prise de rendez-vous en ligne n’était pas développée comme elle l’est aujourd’hui. Nous avions très peu de demandes, peut-être une ou deux par mois, parce que les patients connaissaient mal ce service. » À la date anniversaire du contrat, au bout d’un an, Nathalie Orblin-Page décide de renoncer. Elle ne se doute pas alors que la téléconsultation fera bientôt son retour dans sa pharmacie.
Quelques années après cette première tentative avortée, le constat autour de la désertification médicale qui sévit à Sézanne est toujours le même. De nombreux patients n’ont pas de médecins traitants, d’autres renoncent à des soins faute de pouvoir consulter un praticien dans des délais raisonnables. Entre-temps, deux évolutions notables ont toutefois changé la donne. Prendre un rendez-vous médical en ligne est entré dans les mœurs et les sociétés spécialisées dans la téléconsultation proposent des bornes bien plus performantes et pratiques pour les pharmaciens. Les chiffres le confirment, une montée en puissance de la téléconsultation est observée en pharmacie. Selon des données récoltées par NèreS, organisation qui représente les fabricants de produits de santé et de prévention de premier recours, 1,6 million de téléconsultations ont été réalisées en 2024 par les pharmacies, soit une augmentation de 76,4 % en 2 ans. Une dynamique que constate également David Syr, directeur général de GERS Data. « Pour 2024, ce sont 29 % des officines qui ont réalisé au moins une téléconsultation, confirme-t-il. En moyenne, les officines qui la proposent effectuent 218 téléconsultations par an. Sur le nombre d’actes, nous sommes sur une hausse de 26 % par rapport à la moyenne observée en 2023. Les pharmacies du premier décile en sont même à une moyenne de 508 par an », complète l’expert.
1,6 million de téléconsultations ont été réalisées en 2024 par les pharmacies, soit une augmentation de 76,4 % en 2 ans
Pourquoi près d’un pharmacien sur trois a-t-il décidé de se lancer ? Pour Nathalie Orblin-Page, bien qu’un peu échaudée par sa première expérience, la question ne s’est pas trop posée. « La désertification médicale s’aggrave dans notre secteur de manière alarmante. Des patients qui ont des besoins urgents ne peuvent attendre 15 jours ou 3 semaines pour voir un médecin. La téléconsultation, c’est de la médecine « palliative » mais vis-à-vis des patients je pense que nous devons la proposer. » Pour cette deuxième tentative, l’officinale marnaise ne peut pas bénéficier de la subvention de 1 225 euros TTC octroyée par l’assurance-maladie pour l’aide à l'installation la première année. Elle choisit un contrat de 3 ans avec un abonnement pour une borne et un autre, désormais quasi-indispensable, pour être référencée par l’outil de prises de rendez-vous en ligne Doctolib. Les deux cumulés, une facture de 330 euros est à régler chaque mois. Le nombre de téléconsultations réalisées dans son officine, lui, est en augmentation. « Environ une cinquantaine entre octobre et novembre, soixante pour le mois de décembre et près d’une centaine sur le mois de janvier. En moyenne, deux patients sur trois prennent directement rendez-vous sur Doctolib. Les autres sont venus au comptoir et c’est nous qui les avons dirigés vers la borne après avoir, bien sûr, vérifié que leur médecin ne pouvait pas les prendre en charge dans un temps assez rapide », détaille-t-elle.
Pourtant, ce service qu’elle propose ne lui est absolument pas rentable et la pharmacienne ne s’attend pas à ce qu’il le devienne. La participation à l’acte d’un euro par téléconsultation et le montant forfaitaire annuel versé par l’assurance-maladie pour le temps passé variant en fonction du nombre de téléconsultation sont loin d’être suffisants. « Aujourd’hui, la plupart des patients, surtout les plus jeunes, sont autonomes avec la téléconsultation. Parfois, nous devons cependant accompagner des patients plus âgés. Contrairement aux infirmiers qui, eux, sont payés pour cette assistance, nous, pharmaciens, ne percevons rien, dénonce-t-elle par ailleurs. Le temps passé pour désinfecter le matériel, les dépenses que nous devons faire pour remplacer les embouts de certains appareils… Tout cela n’est pas pris en compte non plus alors que nous aussi nous sommes en sous-effectif », tient à rappeler l’officinale.
Absence de rentabilité et qualité aléatoire au niveau des prescriptions
À quelques kilomètres de Sézanne, à Épernay, capitale du champagne, Guillaume Racle, titulaire et conseiller économie et offre de santé de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), dispose d’une borne de téléconsultation depuis maintenant deux ans. Pour lui aussi, le service n’est pas rentable. « Cela me coûte 450 euros par mois entre l’abonnement au service et celui à la plateforme de prise de rendez-vous. Cela doit générer environ trois ordonnances par semaine donc si on fait le calcul on doit arriver à 240 euros de marge brute par mois pour ma pharmacie. Cela représente donc une perte d’environ 200 euros mensuels sans compter les frais de personnel. Autour de moi je ne connais d’ailleurs aucun pharmacien qui gagne de l’argent grâce à ce service. Sauf à l’industrialiser, je ne vois pas comment cela pourrait être possible », analyse-t-il. Lui non plus ne s’est pas lancé dans la téléconsultation avec un enthousiasme débordant. Sa commune, environ 20 000 habitants, a perdu sept médecins en sept ans. Les nouveaux habitants ne trouvent pas de médecin traitant. « La téléconsultation c’est l’une des moins mauvaises réponses à un vrai problème. Il y a une vraie demande et cela répond à des besoins, cela évite aussi d’envoyer des patients aux urgences. Cela dit, on constate une très grande disparité au niveau de la qualité des prescriptions. Des médecins qui sont consultés pour une suspicion d’otite et qui ne regardent pas l’oreille du patient, d’autres sollicités pour des symptômes grippaux et qui ne prescrivent pas de tests… Certains comptes rendus sont étoffés, d’autres le sont beaucoup moins, on le voit bien lorsqu’on les imprime. »
Dans certains cas, la téléconsultation peut tout de même rendre d’importants services comme le rappelle sa consœur de Sézanne, Nathalie Orblin-Page. « Récemment, j’ai reçu un patient avec une plaque sur le visage et un écoulement au niveau de l’oreille qui me paraissaient plutôt inquiétants. Il est allé consulter grâce à la borne et le médecin a confirmé qu’il devait être traité en urgence. » Dans ce cas, de graves complications ont peut-être été évitées grâce à l’intervention du médecin à distance. Cependant, c’est essentiellement pour de la bobologie, des symptômes grippaux et autres pathologies hivernales que les patients ont recours à ce service. « La plupart du temps, ce sont des cas que le pharmacien pourrait prendre en charge lui-même, estime Guillaume Racle. Si l’on avait un protocole complet pour la grippe par exemple, le pharmacien pourrait tout faire, du TROD à la prescription des médicaments si nécessaires. Avant, beaucoup de téléconsultations concernaient des cas d’infections urinaires, maintenant ce n’est plus le cas les officinaux peuvent réaliser des TROD cystite et délivrer ensuite des antibiotiques. »
Confier encore d’autres missions en pharmaciens, même s’il faut prendre en compte le problème de sous-effectif qu’ils vivent aujourd’hui, serait peut-être une réponse à apporter pour soulager les agendas des médecins tout en contournant les limites inhérentes à la téléconsultation. D’autant plus qu’aujourd’hui ce service est lui-même victime du mal qu’il est censé combattre. « Des patients prennent rendez-vous sur Doctolib pour une téléconsultation à 16 heures, ils viennent en pharmacie à cette heure-là mais attendent parfois une ou deux heures avant d’être pris en charge par un médecin, explique Nathalie Orblin-Page. La société avec qui je travaille s’appuie sur un réseau d’environ 400 médecins mais la demande est telle que les délais d’attente sont de plus en plus longs. Il arrive que les patients nous le reprochent alors que, bien sûr, nous n’y sommes pour rien », explique-t-elle.
Arrêter ou continuer ?
Pas rentable pour les pharmaciens, limitée par rapport à une consultation en présentiel, perçue comme une concurrence déloyale par certains libéraux, génératrice d’arrêts maladie pas toujours indispensables… la téléconsultation en officine a-t-elle réellement un avenir aussi radieux que celui que l’on pourrait imaginer ? « Lorsque le contrat que j’ai signé arrivera à échéance, la question d’arrêter se posera sans doute, reconnaît Guillaume Racle. Si beaucoup de pharmaciens le proposent, c’est parce que cela rend service à la patientèle. Elle peut être un outil intéressant mais aujourd’hui, elle n’est pas assez bien cadrée. Certaines sociétés proposent aux patients des téléconsultations directement sur leurs téléphones portables… », cite-t-il à titre d’exemple. Du côté de Sézanne, Nathalie Orblin-Page pense néanmoins que la borne installée dans son officine sera encore là pour quelque temps. « Malheureusement, résume-t-elle en un mot. La téléconsultation n’est pas rentable pour nous et nous préférerions que les patients puissent consulter des médecins dans leurs cabinets mais pour l’instant c’est un service qui reste utile pour la population », résume la pharmacienne.
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