Le Quotidien du pharmacien.- Les chiffres de l’Observatoire des pharmaciens de Fiducial montrent une réelle progression du chiffre d’affaires. Pourquoi alors parler de tension économique ?
Bertrand Cadillon.- Parce que la croissance n’est pas synonyme de rentabilité. L’Observatoire 2025 révèle que si le chiffre d’affaires global a progressé, c’est surtout sous l’effet mécanique des volumes et de la montée en charge des médicaments chers qui représentent désormais 16 % des achats revendus. Or ces produits mobilisent du stock, pèsent sur la trésorerie et génèrent peu de marge. La marge brute reste en retrait malgré la hausse de l’activité, stabilisée à 29,2 % du CAHT contre 29,8 % l’année précédente.
Justement quel est le ressenti des titulaires à ce sujet ?
Bertrand Cadillon.- Le ressenti des titulaires est très contrasté : ils observent eux-mêmes le paradoxe d’une activité en hausse, mais avec un résultat net sous pression. Si l’on excepte la période de la crise sanitaire, la croissance de l’activité n’apporte pas ou peu de ressources supplémentaires. Le basculement des médicaments chers vers les officines augmente « le remboursable » pris en charge par la Sécurité sociale et les mutuelles ce qui crée aux yeux des payeurs et du gouvernement une fausse image d’une profession dynamique en fort développement ! D’où certainement l’idée que l’on peut réduire sans problème les remises et par ricochet les marges…
Quelles sont les principales causes de ce tassement de la rentabilité ?
Bertrand Cadillon.- C’est le cœur de la problématique économique actuelle et future. Les charges de personnel continuent d’augmenter, représentant 11 % à 12 % du chiffre d’affaires, selon le type d’officine. Ces coûts freinent la progression de l’excédent brut d’exploitation, qui reste limité à 11,4 % du CAHT, en légère baisse par rapport à 2023. Beaucoup d’officines se retrouvent dans un effet ciseaux : chiffre d’affaires qui monte, marge brute en baisse et charges directes d’exploitation qui progressent encore plus vite. Indiscutablement les effets de la crise sanitaire se font encore sentir car dans cette période une forme de désorganisation s’est installée avec la perte de repères financiers : la dérive des frais de personnel en est un exemple parmi d’autres.
Dans une époque où les niveaux de marge brute s’affaissent, les gains en productivité, si minimes soient ils, donnent de l’oxygène !
Dans ce contexte, quel rôle joue la fidélité du patient ?
Bertrand Cadillon.- Elle est centrale. Les officines qui fidélisent activement leur patientèle, via le suivi des pathologies chroniques, les bilans de médication ou la prévention, contribuent à une meilleure stabilité de leur activité. Un patient suivi régulièrement génère non seulement un chiffre d’affaires récurrent, mais aussi un panier moyen supérieur sur les achats de parapharmacie par rapport à un client occasionnel. C’est un capital que beaucoup d’officines sous-estiment. Ces actions de long terme finissent toujours par être payantes.
Quelles pratiques de gestion sont les plus efficaces selon vos observations ?
Bertrand Cadillon.- La discipline financière ! En d’autres termes Il est nécessaire que les pharmaciens reconnectent avec des réalités qui ne sont pas toujours joyeuses. Nous le constatons : les officines qui suivent mensuellement leur marge brute, leur trésorerie et la rotation des stocks traversent mieux les turbulences. Celles qui pilotent encore « au feeling » se retrouvent souvent surprises par des tensions de trésorerie. La clé est d’anticiper : tableaux de bord, planification des ressources, gestion fine du stock. C’est moins visible et exaltant que de suivre la croissance de son chiffre d’affaires, mais beaucoup plus structurant.
Les remises génériques sont, pour toutes les officines sans exception, un matelas de marge non négligeable qui est souvent la clé de voûte de l’économie
Que révèle la progression des étiquettes électroniques que vous suivez dans votre étude ?
Bertrand Cadillon.- C’est un signal fort, pragmatique au service de la gestion. En un an, la proportion d’officines équipées est passée de 28 % à 35 %. Cet investissement n’est pas anecdotique : il permet une meilleure gestion des prix, des marges libres et du stock en temps réel, tout en dégageant du temps pour l’équipe officinale. Ce temps libéré peut être réinvesti dans les nouvelles missions – vaccination, dépistage, entretiens pharmaceutiques – qui, elles, renforcent la fidélité patient et consolident l’image de l’officine comme acteur de santé de proximité. Dans une époque où les niveaux de marge brute s’affaissent, les gains en productivité, si minimes soient ils, donnent de l’oxygène !
Quel est, selon vous, l’impact du recul des remises sur les génériques ?
Bertrand Cadillon.- Des marges sous pression avec la baisse des remises génériques sont une vraie inquiétude. Les remises génériques sont, pour toutes les officines sans exception, un matelas de marge non négligeable qui est souvent la clé de voûte de l’économie. Ces remises paient souvent le coût d’un préparateur parfois elles paient le coût du pharmacien adjoint. Plus que des chiffres d’impact qui par nature sont toujours discutables, c’est la fragilisation de l’écosystème qui est devant nous.
Si la mesure n’est pas revue, il est fort à parier que le nombre d’officines qui vont mettre la clé sous la porte va augmenter. Cette perspective aura pour corollaire encore moins de pharmacies dans des zones déjà sous-dotées médicalement et à l’opposé la création de méga pharmacie dans les secteurs attractifs. C’est-à-dire tout le contraire de la philosophie de la Loi de répartition démo géographique.
Plus que des chiffres d’impact qui par nature sont toujours discutables, c’est la fragilisation de l’écosystème qui est devant nous
Quel est le message principal de l’observatoire 2025 ?
Bertrand Cadillon.- Pendant longtemps le critère de gestion qui dominait les débats était la croissance du chiffre d’affaires, les données de notre observatoire montrent parfaitement qu’il faut désormais s’affranchir progressivement de cet indicateur pour tenir le bon cap. Le futur de l’officine repose sur trois piliers : maîtrise des coûts, fidélisation des patients et présence digitale mesurée. Malgré la baisse des marges sur les génériques et des trésoreries tendues plus que jamais, l’avenir passe par un pilotage rigoureux et des investissements ciblés pour sécuriser la rentabilité et renforcer le rôle de santé publique des pharmacies.
*https://www.fiducial.fr/Pharmacie/Comptabilite-et-gestion-de-votre-phar…
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