Un décret paru au « Journal officiel », le 21 janvier, autorise les infirmières en pratique avancées (IPA) exerçant dans les hôpitaux, les établissements médico-sociaux (EHPAD), les centres de santé ou les maisons de santé à primo-prescrire des produits de santé ou des prestations soumis ou non à prescription médicale obligatoire. Toutefois, la liste des médicaments, examens et autres soins que les IPA pourront prescrire directement n’est toujours pas définie. Elle fera l’objet d’un arrêté ultérieur du ministre de la Santé après avis de l'Académie nationale de médecine. Par la suite, des ajustements seront requis pour dispenser une ordonnance d’IPA. Côté pharmacie, « on aura besoin que le logiciel de gestion de l’officine identifie les médicaments éligibles ou non », déclare Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Il faudra également « qu’il y ait une vérification du titre du prescripteur, probablement via le numéro RPPS, comme pour les autres professions ».
Cela fait déjà une vingtaine d’années que les médecins et les chirurgiens-dentistes ne sont plus les prescripteurs uniques des produits de santé en France. Sages-femmes, masseurs-kinésithérapeutes, infirmiers et IPA, pédicures-podologues et ergothérapeutes sont aussi autorisés à établir des prescriptions de médicaments et des dispositifs médicaux en vue d’une prise en charge par l’assurance-maladie, sous conditions.
Un manque de lisibilité
Pour l’ensemble de ces professionnels de santé, la prescription est soumise à une liste limitative de produits. « Entre les produits qui peuvent être prescrits en primo-prescription, ceux qui ne sont autorisés qu’en renouvellement d’une prescription médicale et ceux autorisés pour l’usage professionnel, c’est difficile de s’y retrouver. Sans compter les médicaments pouvant être prescrits dans le cadre d’un protocole de coopération », témoigne Emmanuelle, pharmacienne en Nouvelle-Aquitaine. En outre, il existe des restrictions en fonction de la population traitée ; pour les sages-femmes par exemple, la liste se décline en sous-listes de produits selon que la prescription s’adresse aux femmes, à leurs partenaires, aux nouveau-nés ou à leur entourage. « C’est d’autant plus complexe que nos logiciels métiers ne nous permettent pas de contrôler précisément la recevabilité d’une ordonnance établie par une sage-femme ou un professionnel paramédical tel que l’infirmier. Ça se résume à une alerte du type “assurez-vous que ce produit peut être prescrit par un infirmier “. Il faut donc se référer à la liste officielle », commente Valérian Ponsinet, pharmacien titulaire et élu FSPF.
C’est frustrant de n’avoir pour seule réponse que d’aller consulter le médecin alors que nous sommes en capacité de prescrire le traitement adapté
Armelle, sage-femme à Niort
Dans le cadre de la démarche qualité, le pharmacien ardennais a imprimé les listes de produits prescriptibles par profil de professionnel de santé* : « ces documents sont rangés dans un classeur accessible dans le back-office. Dès qu’on a un doute, on peut s’y référer rapidement. »
Une liste trop restrictive
Profession médicale au même titre que les médecins ou les chirurgiens-dentistes, les sages-femmes sont autorisées à prescrire dans un périmètre de produits restreint, fixé par le ministère de la Santé. Alors que leur domaine de compétences s’est considérablement étendu, elles regrettent un décalage constant entre cette liste et la réalité de leur exercice. « La liste a été actualisée en 2022 pour intégrer les traitements de certaines infections sexuellement transmissibles (IST). Pour autant, dans le domaine de la gynécologie, elle reste inadaptée pour nous permettre d’exercer de façon cohérente », déplore Marianne Benoit Truong Canh, vice-présidente de l’Ordre des Sages-femmes. « C’est frustrant de n’avoir pour seule réponse que d’aller consulter le médecin alors que nous sommes en capacité de prescrire le traitement adapté », confirme Armelle, sage-femme à Niort. Autre exemple illustrant cette rigidité administrative que dénonce la vice-présidente de l’Ordre des sages-femmes, la liste des vaccins : « il a fallu attendre que la vaccination contre le VRS soit inscrite au calendrier vaccinal pour avoir l’autorisation de la prescrire, alors que nous sommes en première ligne en termes de prévention chez les femmes enceintes. Ce serait tellement plus simple de ne pas avoir de liste. »
Du changement dans l’air
Les paramédicaux aussi dénoncent la lenteur pour actualiser les listes auxquelles leur prescription est soumise. « Depuis 2014, on nous promet un élargissement des produits que peuvent prescrire les kinésithérapeutes. Nous attendons toujours la publication », explique Pascale Mathieu, présidente de l’Ordre des kinésithérapeutes. Trop conditionné, trop restreint… le cadre de prescription de ces professionnels de santé semble figé alors que ces métiers évoluent en réponse à la transformation du système de soin.
Un enjeu que la Loi Rist (loi portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé) a pourtant saisi. Selon ce texte adopté en 2023, plusieurs professionnels paramédicaux doivent bénéficier d’une plus large autonomie en primo prescription mais les textes permettant l’entrée en vigueur de ces dispositions tardent à paraître. « La Loi Rist prévoit que les IPA puissent initier certains traitements en fonction de leurs mentions (oncologie, néphrologie, psychiatrie…). Ce sera une avancée considérable en termes d’accès aux soins », explique Clara Bouteleux, IPA et chargée de communication au sein de l’UNIPA (Union nationale des IPA). Une première étape a récemment été franchie, avec la publication d’un décret facilitant l’accès direct aux IPA, mais cela reste insuffisant. Pour les infirmiers, une proposition de loi déposée par les députés Nicole Dubré-Chibrat et Frédéric Valletoux prévoit de réformer en profondeur les missions et les compétences de cette profession. « Ce texte reconnaît la consultation infirmière et la prescription de produits de santé et d’examens médicaux dans le cadre du suivi de certaines pathologies », précise John Pinte, président du Sniil (syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux). À ce jour, le texte déposé en décembre 2024 reste à l’état de proposition. « Même si cette Loi est votée, il faudra un décret et un arrêté listant les produits concernés. Or, nous attendons toujours les textes permettant l’application de la Loi de 2019 qui autorise la prescription des antiseptiques et du sérum physiologique », rappelle le président du syndicat infirmier avec une pointe d’ironie.
La confiance plutôt que la liste ?
Plus les listes s’allongent, plus le cadre devient illisible, et plus la dispensation de ces prescriptions en pharmacie se transforme en casse-tête. Dans un contexte de tension d’accès aux soins, d’autres pays ont choisi de s’affranchir de ces listes. « Au Royaume Uni, les physiothérapeutes (désignation des kinés outre-manche) peuvent être consultés en accès direct, sans passer par le médecin. De plus, pour la prise en charge des troubles musculo squelettiques (TMS), ils peuvent prescrire. Cette pratique a fait l’objet d’une évaluation avec des résultats très positifs », note Pascale Mathieu. Démarche identique au Québec, où la Loi 67 (adoptée mais en attente d’application) accorde une autonomie élargie aux pharmaciens et aux infirmiers pour la prescription de médicaments.
En France, jusqu’où peut aller l’autonomie accordée aux professionnels de santé en matière de prescription ? Le modèle applicable aux chirurgiens-dentistes, qui peuvent prescrire « tous les médicaments nécessaires à l’art dentaire » serait-il envisageable ? « C’est une question de confiance. Mais pour les décideurs politiques, l’extension du droit de prescription rime avec augmentation de l’enveloppe de remboursement », relève Guillaume Rall, président du SNMKR (syndicat national des masseurs kinésithérapeutes rééducateurs). Une analyse partagée par Pascale Mathieu : « La direction de la Sécurité sociale redoute un dérapage financier si la prescription de produits remboursables est ouverte sans limite. En fait, ce ne serait qu’un transfert de prescription. Si les kinés prescrivent plus d’orthèses, les médecins en prescriront moins. »
À l’Ordre des sages-femmes, on prône la suppression pure et simple d’un encadrement de la prescription par une liste, mais avec prudence. Marianne Benoit Truong Canh invite à anticiper certaines conséquences auxquelles cette extrême simplification pourrait exposer : « le risque serait d’accentuer les refus de dispensation par les pharmaciens, par méconnaissance des compétences des sages-femmes. Nous, les Ordres, avons donc un travail de pédagogie à réaliser pour renforcer la confiance entre nos deux professions, au bénéfice de nos patients. »
*Les listes actualisées des produits pouvant être prescrits par les infirmiers, les infirmiers en pratique avancée, les kinésithérapeutes, les sages-femmes, les ergothérapeutes et les pédicures-podologues sont en ligne sur le site Ameli de l’assurance-maladie ou sur Vidal.fr.
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