La Pre Catherine Paugam-Burtz, anesthésiste-réanimatrice et professeure des universités, a pris ses fonctions de directrice générale de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) le 4 novembre dernier. Le 19 juin, elle s’est prêtée au jeu d’une rencontre avec la presse professionnelle pour aborder les principaux défis de l’agence, qui sont aussi ceux des professionnels de santé.
Dès le début, le mot qui revient souvent est « concertation ». « On veut aller rechercher de l’information au plus près », explique la directrice générale, qui se rapproche des agences régionales de santé. Le but est de « gagner une maille territoriale » et de s’adapter aux particularités régionales, comme pour les régions frontalières confrontées à des disponibilités de médicaments particulières de l’autre côté de la frontière.
Ruptures de stock : mais que fait l’ANSM ?
Justement, le manque de communication, avec le manque de réactivité, est le principal grief des pharmaciens envers l’ANSM dans sa gestion des ruptures de stock. La directrice générale s’en défend : « L’agence reçoit les déclarations de ruptures et de risque de ruptures (près de 4 000 en 2024, NDLR). C’est une obligation pour les laboratoires. Ces déclarations sont analysées, certaines sont priorisées avec une évaluation des risques et en fonction cette évaluation, on contacte les acheteurs, les pharmaciens hospitaliers, des groupes d’acheteurs. On leur demande déjà s’ils ont connaissance de la rupture ou du risque de rupture car parfois, les industriels communiquent directement avec les acheteurs, et c’est avec eux que l’on construit un certain nombre de plans de gestion. Quant aux pharmaciens d’officine, il n’y a pas une semaine où l’agence ne parle pas avec leurs représentants. Et nous sommes preneurs de ces informations ! J’espère que DP-Ruptures sera pensé pour régler ce problème-là. »
L’ANSM est aussi tributaire des informations que possède le laboratoire. « Par exemple, quand l’industriel nous annonce un retour de production ou un délai de correction d’un défaut de qualité, nous, à l’agence, nous savons statistiquement, en fonction de la nature du défaut, que la correction peut être réglée en 3 semaines ou en 3 mois. Mais quand la direction de l’inspection a une déclaration évaluée comme à risque, l’industriel est convoqué dans la foulée. »
Préparation magistrale de quétiapine : pouvait mieux faire ?
Exemple d’application, l’ANSM est revenue sur sa gestion de la pénurie de quétiapine. L’agence travaille en coordination notamment avec la direction générale de la santé (DGS) et la direction de la Sécurité sociale (DSS). « On peut dire qu’on n’a pas été assez vite, que ça a cafouillé et que sans doute, il était possible de faire mieux. Mais après l’amoxicilline, c’est la deuxième fois avec la quétiapine que l’on organise les préparations magistrales avec des volumes très significatifs », rappelle Catherine Paugam-Burtz.
Le sujet des ruptures d’approvisionnement est travaillé en comité d’anticipation des pénuries qui se réunit une fois par mois, notamment pour traiter des sujets actifs, comme le déclenchement des préparations magistrales, de la sortie de la monographie, de l’organisation entre tous les acteurs, a encore expliqué la directrice de l’ANSM. « On travaille en “mode retex” pour savoir, si demain on en a à nouveau besoin, dans quel ordre faire les choses, combien de temps par étapes, etc. » Reste à faire avec les caractéristiques des nouvelles ruptures, qui sont de plus en plus longues « En 2022, les durées de ruptures étaient de l’ordre d’une centaine de jours. Aujourd’hui on est passé à des durées de ruptures plutôt de l’ordre de 230 à 250 jours. »
En tout état de cause, « une situation de pénuries est corrigée quand tous les acteurs de la chaîne ont refait leurs réserves et quand l’exploitant est revenu en conformité avec ses obligations de stock de médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) qui sont de 2 à 4 mois. Mais la priorité ne sera pas de remettre 4 mois en stocks immédiatement. Il ne faudrait pas que les industriels aient 4 mois de stock dormant s’il y a des difficultés en officine », ajoute la directrice générale.
Une production publique de médicaments ?
À sa prise de poste, la nouvelle DG avait évoqué une production publique, ou sous contrôle public, des médicaments en rupture de stock. Cette production n’a été autorisée qu’une seule fois, pour les curares pendant la crise sanitaire liée au Covid-19. « Elle se regarde avec des réseaux de façonniers quand le sujet n’est pas un problème de matière première, précise le Pr Catherine Paugam-Burtz. On peut regarder à faire produire une spécialité quand la rupture s’inscrit dans un temps un peu long. Mais les structures publiques, souvent hospitalières, n’ont pas les normes de bonnes pratiques de fabrication, c’est pourquoi l’idée est de creuser, de façon pratique, la faisabilité de cette production en l’encadrant. »
Communication : sur une ligne de crête
Entre complotisme, affaire Dépakine, affaire Lévothyrox et recherche médiatique d’un nouveau scandale sanitaire, communiquer est une affaire de « balance » pour l’ANSM, avec un équilibre à trouver. Pour Catherine Paugam-Burtz, « Nous sommes une agence basée sur l’expertise scientifique et donc, nous avons le devoir de faire valoir les données de la science. Il est aussi dans notre intérêt de réagir parce qu’il y a des enjeux de transparence : si vous ne communiquez, pas vous êtes suspect de vouloir cacher quelque chose. Si vous ne communiquez pas, d’autres communiquent à votre place et éventuellement avec des données inadaptées voire fausses. Nous sommes dans l’obligation de sortir régulièrement les données établies, les avis, ce que l’on sait et ce que l’on ne sait pas le cas échéant. En volume, est-ce que c’est trop ? Je ne sais pas, mais nous avons l’obligation d’occuper le terrain pour ne pas être en réactif et d’être, notamment via le site, l’endroit où on trouve une information scientifique, documentée, validée ».
« Sur les ruptures, il y a aussi une discussion sur la communication, ajoute-t-elle. Comment donner une information et ne pas déclencher une vague de panique ? Mais au-delà de tout cela, il y a une volonté de transparence. »
Biosimilaires : pas de substitution pour l’insuline
C’est le seul avis négatif de l’ANSM sur le droit de substitution de médicaments biosimilaires par le pharmacien. Le 20 décembre dernier, l’agence avait exclu la substitution des spécialités appartenant aux groupes biologiques similaires insuline asparte, insuline glargine et insuline lispro, en initiation ou en cours de traitement.
« Le sujet n’est pas la qualité du médicament », s’empresse de préciser la DG. Mais « l’avis favorable n’a pas été donné parce que dans les systèmes d’administration, ces médicaments sont “en couple” avec des DM pour lesquels, à date, nous n’étions pas en mesure de fournir les informations aux pharmaciens sur les compatibilités entre insulines biosimilaires et DM. »
Gaspillage et durée de péremption des médicaments
L’ANSM travaille par ailleurs sur les médicaments non utilisés (MNU) « pour essayer de comprendre ce qui se joue derrière. » Une étude de caractérisation et quantification des médicaments non utilisés et rapportés en pharmacie est en cours depuis plusieurs mois, menée en partenariat avec l’assurance-maladie et l’éco-organisme Cyclamed, pour déterminer la typologie des produits non utilisés et les quantités.
« On travaille aussi sur les durées de péremption des médicaments », annonce la DG. L’ANSM et l’industrie avaient été interpellées en septembre 2024 par le magazine des consommateurs « Que Choisir » qui venait de démontrer, pour 30 médicaments périmés, qu’ils gardaient leur efficacité « des années après la date limite ». Pour la directrice de l’ANSM, « il y a des produits plus ou moins stables et ça ne fonctionnera pas pour tous les médicaments, mais il y a probablement des choses à jouer. Quand le laboratoire dépose une demande d’AMM, il fournit des études de stabilité de 2 ans, de 3 ans…, cela dépend des données des études cliniques dont il dispose. On travaille avec les industriels pour voir si ces durées peuvent être allongées. »
Bon usage, pertinence de l’usage et sobriété dans l’usage sont aussi des solutions au gaspillage. « Qui dit bon usage dit réduction du mésusage, qui est notre cœur de métier, mais derrière, cela a un impact positif sur la consommation de produits dont on connaît l’impact carbone », poursuit Catherine Paugam-Burtz.
Présentation systématique pour certains médicaments
Tiers payant contre carte Vitale : Y aura-t-il des contrôles ?
Insolite
Sang pour sang originale
Entretien avec Jean-Louis Schlienger : les médicaments de l’obésité, une histoire difficile
Rapport « Charges et produits » 2026
Budget de la Sécu : des pistes d’économies… pas toujours appréciées