L’événement de la semaine

Refonte du modèle économique officinal : qui paiera l’addition ?

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Publié le 23/10/2025
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La profession est à la croisée des chemins. Quel doit être le modèle économique de la pharmacie de demain ? Les syndicats représentatifs réfléchissent chacun de leur côté tandis que l’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO) alliée à l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF) menace de se constituer en un nouveau syndicat pour faire entendre sa voix.

Derrière les chiffres et les projections, un débat s’ouvre autour de différentes visions de l’avenir du réseau

Derrière les chiffres et les projections, un débat s’ouvre autour de différentes visions de l’avenir du réseau
Crédit photo : Phanie

C’est la question qui anime la profession en ce début de mois d’octobre : quel modèle économique construire pour assurer la pérennité du réseau ? Où trouver des fonds, alors que l’assurance-maladie est exsangue et que des financements privés poseraient la question de l’indépendance des pharmaciens ? Le système actuel de rémunération est autant à bout de souffle qu’il est fragile, Agnès Firmin Le Bodo, pharmacienne, ancienne ministre de la Santé et députée n’a ainsi pas manqué de souligner lors de sa prise de parole au cours du Congrès national des pharmaciens (CNDP) « qu’une mesure soudaine pouvait casser notre modèle » et « combien celui-ci est fragile ». Une référence aux derniers mois tumultueux qu’a vécu la profession plongée dans la crise des remises génériques.

Alors, pour alimenter les réflexions, les syndicats sont sur le pied de guerre. L’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) a imaginé en septembre 2026, 6 mesures pour limiter les dépenses de la Sécu sans toucher aux remises sur les génériques et a monté un groupe de travail qui planche en ce moment même sur la refonte du modèle. Les conclusions seront rendues publiques dans les semaines qui viennent. De son côté, la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) fait le choix du terrain. Une vaste consultation auprès des pharmaciens pour recueillir leurs idées sur le changement à opérer pour le mode de rémunération et, plus largement sur le modèle de l’officine, a été annoncée par le syndicat. À charge aux présidents départementaux de faire remonter les idées.

Vers une rémunération tout honoraire ?

Avant même les résultats, l’un des leviers envisagé serait d’augmenter la part des honoraires dans la rémunération. Ceux-ci constituent aujourd’hui « une part prépondérante de la marge du pharmacien », souligne Bastien Legrand, expert-comptable du cabinet FCC de Marcq-en-Barœul (Nord) et président de CGP. La marge réalisée par les honoraires, les ROSP et les missions Covid constituait en 2024 74 % de la marge du 2,1 % hors Covid et remises et 34 % de la marge totale*, selon Joffrey Blondel, directeur gestion officinale chez Astera/Cerp. Une piste intéressante, et dans la lignée de la convention signée en 2012 avec l’assurance-maladie, mais loin d’être idéale. « Le transfert de rémunération s’est relativement bien opéré sur ces 10 dernières années, mais ces honoraires sont-ils suffisants ? », interroge l’expert-comptable. Une question à laquelle le président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), Philippe Besset, répond par l’affirmative. Dans une interview accordée au « Quotidien du pharmacien » en préambule du CNDP, il se déclarait en faveur d’un modèle tout honoraires. Un réel pavé dans la mare. Si cette position s’inscrit dans la dynamique de transformation amorcée par le réseau depuis la convention de 2012, elle n’a pas manqué de faire réagir. Et réagir est un faible mot.

Nous sommes fermement opposés au tout honoraires

Laurent Filoche, président de l’UDGPO

Le 15 octobre, l’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO) et l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF) ont annoncé que si les deux syndicats majoritaires n’abandonnaient pas l’hypothèse du tout honoraires, ils créeraient leur propre syndicat mixte (voir encadré). « Il ne faut pas confondre transformation du modèle économique et sabordage », a fustigé l’UNPF dans un communiqué. Les deux partenaires sont partisans d’un modèle mixte, où la rémunération du pharmacien serait constituée des honoraires perçus pour les nouvelles missions, auxquels s’ajouteraient des compléments de rémunération versés par des organismes privés. Comprendre les laboratoires, les assureurs ou les mutuelles. « Nous sommes fermement opposés au tout honoraires, nouer des contrats avec des organismes privés doit rester possible notamment parce que les pouvoirs publics ne pourront plus financer encore longtemps le système actuel », argue Laurent Filoche, président de l’UDGPO. Dans un contexte où l’assurance-maladie affiche un déficit de plus de 23 milliards d’euros pour l’an passé, ce serait donc la sphère privée qu’il faudrait mettre à contribution pour financer les officines. « Des accords avec les laboratoires, les assureurs ou les mutuelles qui donneraient lieu à des campagnes de prévention ou de promotion d’un produit ou d’un service sont à négocier et apporteraient un complément de rémunération au pharmacien », poursuit le président de l’UDGPO.

La parole est aux officinaux

Un complément de rémunération qui compenserait les baisses de prix et de volumes des médicaments, qui n’a visiblement pas perdu de leur intérêt pour tout le monde. « Il y a plus d’un milliard d’euros de médicaments dont le brevet va arriver à échéance parmi lesquels le sémaglutide, dont nous aurons le biosimilaire à partir de 2027, plaide Laurent Filoche. Accepter le tout honoraires, c’est faire une croix sur cette manne et, par la même occasion, sur les milliards que représente le marché en devenir des biosimilaires. » Une piste qui constitue un rare consensus au sein des acteurs de l’officine. En effet, durant le Congrès national des pharmaciens, Philippe Besset a fixé l’objectif de substitution des biosimilaires à 95 à 97 % et, parmi ses 20 propositions, l’USPO imagine une rémunération sur objectif de santé publique (ROSP) pour inciter les pharmaciens à substituer. Reste désormais à voir ce qui découlera de la consultation de la FSPF et du groupe de travail de l’USPO. La balle est dans le camp des pharmaciens.

*Les chiffres proviennent de la FSPF, de CNAM, du GERSDATA et de grands réseaux d’experts-comptables spécialisés.

Vers un nouveau syndicat ?

Le 15 octobre, l’Union des groupements de pharmaciens d’officines (UDGPO) associée à l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF) convoque la presse. L’annonce ne déçoit pas. Face aux déclarations de Philippe Besset sur la rémunération tout honoraires dans l’édition du 9 octobre du « Quotidien du pharmacien », l’UDGPO et l’UNPF prennent les devants. Ils donnent une semaine aux deux syndicats majoritaires pour abandonner l’idée d’une rémunération sur le tout honoraire… ou ils se constitueront en syndicat mixte (l’Union des pharmaciens groupés de France ou UPGF). Ambition affichée : rassembler 3 000 adhérents d’ici la fin de l’année, afin de se faire déclarer représentatif par la ministre de la Santé. Le terrain serait déçu des combats menés par les syndicats représentatifs au nom de la profession, justifie Laurent Filoche, président de l’UDGPO, et « puisque ce sont les groupements que l’on appelle à la rescousse pour pallier les carences de l’Ordre et des syndicats représentatifs, autant prendre un rôle de premier plan par nous-mêmes ». Impossible, insiste-t-il, de lier le destin des pharmaciens à celui d’une assurance-maladie moribonde. Abandonner les marges commerciales au profit des honoraires reviendrait donc à se couper une jambe, et pas la boiteuse. S’affrontent alors deux visions philosophiques du futur, résume le président de l’UDGPO. Et d’invoquer à deux reprises Georges Clémenceau pour appuyer son propos : « La Guerre ! C’est une chose trop grave pour la laisser aux militaires. »

Au Royaume-Uni, un modèle de pharmaciens cliniques salariés

À partir de 2026, au Royaume-Uni, tout nouveau diplômé en pharmacie sera en capacité de prescrire. Cette évolution est le résultat de mesures gouvernementales prises, depuis 2015, pour lutter contre les déserts médicaux et la destruction du maillage officinal. En dix ans, plus d’un millier d’officinaux se sont formés, en 3 ans, à l’exercice de pharmacien de pratique clinique avancée. Dany Ros, pharmacien à Torquay, sur le littoral de la Manche, en fait partie. « Le gouvernement, les ordres des professions de santé et le National Health Service (NHS) – l’équivalent de la sécurité sociale - ont compris que les compétences des pharmaciens étaient sous -utilisées », explique-t-il. En se voyant confier, la possibilité de réaliser des examens cliniques, de poser des diagnostics et de prescrire des examens biologiques et certains traitements, les officinaux ont multiplié la proposition de services aux patients, rémunérés soit par le NHS, soit par les patients eux-mêmes.

« Certains pharmaciens ont profité de cette nouvelle qualification pour développer des cabinets privés axés sur des services rémunérateurs, non remboursés : injections d’acide hyaluronique ou autre produit à visée esthétique, injections pour la perte de poids… », remarque-t-il.

En parallèle, le NHS a facilité l’installation de centres de santé, sous contrat avec les organismes de sécurité sociale locaux, « là où il n’y avait plus assez de médecins ou de pharmaciens », souligne Dany Ros. Ce dernier exerce ainsi dans un centre rassemblant une vingtaine de médecins. Il a commencé par adapter des posologies, détecter des interactions médicamenteuses et suivre les patients sortant de l’hôpital avec un nouveau traitement. Aujourd’hui, spécialisé dans l’asthme et les maladies respiratoires, il reçoit les patients pour le suivi de leur maladie chronique ou la prise en charge d’affections courantes (rhume, allergie, diarrhée ou infection oculaire).

Dany Ros est salarié de ce cabinet médical. « Cela reste un modèle privé et non public, note-t-il, car la structure est une société privée, sous contrat pour une durée donnée, renouvelée, avec l’organisme de sécurité sociale. » Les pharmaciens peuvent y travailler quelques heures ou à plein temps, selon les besoins. « C’est un progrès pour les officinaux car ces services aux patients représentent un revenu complémentaire à la dispensation, qui ne suffit plus à maintenir les officines ouvertes. » Avec la nouvelle génération de diplômés, tous prescripteurs, ces services devraient encore se développer dans les années à venir.

Isabelle Duriez

Arthur-Apollinaire Daum

Source : Le Quotidien du Pharmacien