Le Quotidien du Pharmacien.- Pourquoi votre récente étude statistique révèle-t-elle une si forte hausse des frais de personnel en 2024 ?
Bertrand Cadillon.- La hausse des frais de personnel en pharmacie est en partie liée à l’inflation générale, mais aussi aux difficultés de recrutement dans le secteur. Les pharmacies font face à une pénurie de main-d'œuvre qualifiée, ce qui entraîne une surenchère salariale pour attirer et retenir les talents. Les salaires ont augmenté de 8,92 % en 2023, poursuivant une tendance qui pourrait se maintenir en 2024, notamment en raison de nouvelles grilles salariales dans le secteur pharmaceutique.
Ajoutons que dans un certain nombre de pharmacies, l’arrivée de salariés recrutés sur des coefficients supérieurs à la pratique habituelle a entrainé mécaniquement un alignement pour les salariés déjà en poste depuis longtemps.
Selon vous, sur quels critères un titulaire peut-il s’appuyer pour savoir si le niveau de sa masse salariale est acceptable ?
Habituellement un titulaire doit suivre deux indicateurs : la masse salariale + charges sociales patronales rapportée au chiffre d’affaires global auquel s’ajoute le chiffre d’affaires produit par salarié à temps plein. Jusqu’à présent ces deux données combinées suffisaient pour alerter les officinaux. Depuis une époque finalement assez récente, beaucoup d’officines dispensent des médicaments très onéreux à des prix fabricant HT bien supérieur à 1930 euros. Cette évolution a deux conséquences : celles de fausser les ratios basés sur le chiffre d’affaires et de masquer l’absence de marge commerciale sur la part supérieure à 1930 euros PFHT.
Dans ce cas quel ratio doit être analysé ?
L’appréciation des charges par rapport au chiffre d’affaires devra progressivement évoluer pour être remplacée par une appréciation sur une base plus solide et cohérente qu’est la marge brute dégagée par l’officine.
Sur notre sujet, le rapport entre frais de personnel chargés et marge brute n’est pas perturbé par la dispensation des produits chers. En dix ans, les frais de personnel (hors rémunération des exploitants) ont augmenté en moyenne de 82 000 euros à 247000 euros, soit une hausse de 50%, tandis que la marge brute progresse de 91 000 euros à 625 000 euros, soit une progression de 17%.
Comment les pharmacies parviennent-elles à absorber ces augmentations ?
Les pharmaciens tentent d’absorber ces hausses principalement via des ajustements dans leur organisation interne. Ils doivent faire preuve de prudence dans la gestion de leurs charges de personnel, notamment en ajustant les plannings de présence et en automatisant certains processus pour gagner en efficacité. Il s’agit de réglages fins qui ne sont pas forcément évidents à mettre en place mais qui sont nécessaires. Chacun comprend bien que l’effet de ciseaux – où les coûts augmentent plus rapidement que les revenus – reste un danger réel, menaçant la rentabilité des officines, voire même leur viabilité pour celles qui sont très endettées.
Justement, selon vos constats, quels sont les impacts sur la rentabilité des pharmacies ?
La rentabilité des pharmacies est directement affectée par ces hausses. Alors que le chiffre d'affaires de certaines officines a pu légèrement augmenter en 2023 (+3,9 % en moyenne), l'excédent brut d'exploitation (EBE) a enregistré une baisse notable passant d’une valeur moyenne de 277 000 euros pour l’officine standard en 2022 à 242 000 euros en 2023. Cela est la conséquence de la hausse des charges, dont les frais de personnel, dans un contexte où la marge brute se contractait.
La revalorisation des salaires en officine qui perturbe la rentabilité, a-t-elle au moins un effet positif sur le recrutement ?
Si les difficultés de recrutement se sont aggravées ces dernières années, poussant de nombreuses pharmacies à offrir des salaires plus élevés pour attirer des candidats, il semble que les tensions s’apaisent depuis quelque mois. Cette hausse des salaires pourrait néanmoins avoir un effet positif à moyen terme sur l'attractivité du secteur, notamment en attirant davantage de jeunes professionnels et d’étudiants en pharmacie. Cependant, à court terme, cela représente un fardeau financier supplémentaire pour les officines dans une période moins favorable économiquement.
Finalement la crise sanitaire qui a apporté des revenus supplémentaires à beaucoup d’officines participant aux tests et vaccinations n’a t ‘elle pas quelque peu désorganisé la gestion des ressources humaines ?
Une partie des dérives constatées sur les frais de personnel nous paraissent effectivement liée à la crise sanitaire. En effet, face à la demande des patients, les pharmaciens qui, rappelons-le, étaient en première ligne, ont dû réagir vite et prendre des décisions d’embauche dans l’urgence et aussi dans un contexte de pénurie de profils qualifiés.
Quand la marée est redescendue, les revenus ont disparu mais une part des charges salariales est restée Cette même part a en plus été majorée par une forte inflation. C’est ce fardeau qui va falloir gérer dans le temps !
Quelles sont les perspectives pour les pharmacies en 2024 ?
La situation restera tendue en 2024, avec une probabilité de voir les charges de personnel continuer à augmenter. Pour illustrer le propos, un test que nous avons effectué sur une centaines d’officines clientes de Fiducial au premier semestre 2024 fait encore ressortir une évolution de la masse salariale chargée de +6%. La gestion des ressources humaines et des marges deviendra donc cruciale pour assurer la survie économique des pharmacies. Certains préconisent d’investir davantage dans l’automatisation ou d’externaliser certains fonctions pour réduire la dépendance aux coûts salariaux. C’est une piste à envisager mais qui implique parfois de lourds investissements. Les officines se retrouvent donc en 2024 à un carrefour délicat, où la maîtrise des coûts devient cruciale face à des marges déjà sous pression dans un environnement politiquement incertain. Il y aura peut-être des décisions difficiles à prendre qui pourraient être moins douloureuses si elles sont anticipées avec l’accompagnement d’un expert-comptable.
Dispensation
Renouvellement exceptionnel de 3 mois : quid des ordonnances de 12 mois ?
Rémunération
Pourquoi les pharmaciens doivent se connecter quatre fois à ASAFO en décembre
A la Une
Les préparateurs autorisés à administrer les vaccins du calendrier vaccinal
Censure du gouvernement
Coup d’arrêt pour les remises biosimilaires, mais pas pour les baisses de remboursement