« Lorsque j’ai annoncé que j’allais travailler chez Leclerc, on m’a dit que j’allais perdre des amis, qu’on allait me tourner le dos et que je ne retrouverai jamais de travail en officine. » C’est ainsi que la décision d’Aude a été accueillie dans son entourage amical et professionnel. Malgré ces propos peu encourageants voire dissuasifs, la jeune pharmacienne est allée au bout de sa démarche.
Alors qu’elle venait d’être licenciée pour raison économique après quatre années en tant qu’adjointe, elle a déposé sa candidature pour un poste de responsable de parapharmacie chez l’ennemi numéro 1 des pharmaciens : « j’ai mis mes a priori au placard. J’étais curieuse de connaître cet univers, et je voulais faire mes preuves. » Âgée de 30 ans, la jeune pharmacienne a surtout apprécié la confiance que son nouvel employeur lui accordait d’emblée. « Dans l’officine que je quittais, on ne m’avait pas donné l’occasion de m’épanouir. Mais j’étais toujours considérée comme la deuxième adjointe. À la parapharmacie au contraire, on me proposait de vraies responsabilités et on me donnait carte blanche pour atteindre les objectifs fixés. » Cette considération professionnelle a séduit également Stéphanie. Après vingt ans d’officine, l’adjointe est devenue responsable d’une parapharmacie Auchan dans le nord de la France.
Une bonne école
En quelques semaines, Aude a pris ses marques et a découvert les coulisses de la grande distribution. « C’est une très bonne école dans laquelle nous sommes accompagnés, guidés. » Elle a apprécié le travail en coopération avec le comptable ou le responsable des ressources humaines. « C’est rassurant de pouvoir les consulter pour avis ou en cas de problème. Ça permet de rester focus sur l’activité de notre rayon. » Recrutement, achats, gestion du personnel, animation du point de vente… les tâches attribuées au responsable de parapharmacie sont celles d’un chef de rayon. « Ça n’avait rien à voir avec ce que j’avais connu à l’officine. Au départ, c’était déroutant de se retrouver au même niveau que les responsables du rayon boulangerie, textile ou boucherie », se souvient Stéphanie. Les deux adjointes ont surtout découvert une méthodologie commerciale qui leur manquait. « Chez Leclerc, j’ai appris à acheter et à manager. Sans cette expérience, je ne crois pas que j’oserais faire ce que je fais aujourd’hui : lorsque je rencontre les commerciaux des laboratoires de parapharmacie, je sais ce que je veux et les remises qu’ils peuvent concéder. Je négocie tout », explique Aude.
Pour Stéphanie, le grand écart avec l’officine a surtout concerné la formation : « j’ai suivi dix à douze jours de formation au cours de mes dix-huit mois en parapharmacie alors que dans l’officine où j’étais, je devais pleurer pour en bénéficier. » Que ce soit dans le domaine commercial ou en termes de connaissances des gammes de produits référencés, la formation est omniprésente. « Chez Auchan par exemple, des formations sur les produits étaient programmées en visio tous les mardis à 13 h 00. Et régulièrement, nous organisions des formations en rayon avec les commerciaux. Cela montre le dynamisme et l’importance qui est donnée à cette démarche. »
Découvrir « l’ennemi » de l’intérieur
« Le fait de ne pas avoir d’ordonnance sur laquelle s’appuyer pousse à développer une autre forme de conseil, d’approfondir notre connaissance sur les produits », observe Aude. Elle admet que la pression du chiffre existe, mais elle relativise : « en parapharmacie d’enseigne, nous sommes soutenus et guidés. En comparaison, cette pression semble plus lourde à porter à l’officine parce qu’elle ne repose que sur les épaules du titulaire. » Pour Stéphanie, cette pression n’a jamais été problématique : « la parapharmacie dont j’étais responsable était située dans une zone frontalière avec la Belgique. Nos chiffres étaient bons et les marges confortables, sans avoir besoin de faire beaucoup d’effort. » Si l’expérience se révèle globalement positive, Aude et Stéphanie en observent également les limites. « Les notions commerciales que j’ai acquises sont très utiles à l’officine et permettent de gagner en performance. En revanche, les techniques managériales sont plus délicates à transposer. Les conventions collectives ne sont pas les mêmes, et certaines règles imposées ne me plaisaient pas », témoigne Aude. Elle cite pour exemple le fait de changer chaque semaine le jour de repos des collaborateurs, « pour que ça ne devienne pas un acquis, nous expliquait-on ». Stéphanie s’interroge sur la pertinence d’imposer un pharmacien comme responsable de parapharmacie, si ce n’est de satisfaire les exigences des laboratoires. « Aucun pharmacien n’avait occupé mon poste avant moi. Les débuts ont donc été difficiles parce qu’il a fallu que je m’impose dans une équipe qui avait réussi à faire tourner la parapharmacie en totale autonomie, et avec de bons résultats ». En réalité, elle admet que la valeur ajoutée que sont censés apporter les pharmaciens n’est pas suffisamment exploitée : « les supérieurs ne se rendent pas compte, par méconnaissance, des particularités de la parapharmacie. On ne référence pas des crèmes dermocosmétiques comme des produits du rayon boucherie ou textile. »
Travailler en parapharmacie, est-ce trahir le diplôme ?
Aude n’a jamais eu le sentiment de trahir son diplôme ; dès le départ, elle a vécu cette expérience comme une étape dans sa carrière, en vue de s’installer : « j’ai toujours voulu en faire une force, et non une faiblesse. » Elle confie néanmoins que le fait d’avoir exercé cette activité sans être reconnue par l’Ordre l’a frustrée : « J’ai bien compris qu’inscrire ces docteurs en pharmacie à l’Ordre reviendrait à ouvrir la boîte de Pandore et à fragiliser le monopole sur le médicament. Cependant, j’ai toujours été vigilante à travailler en respectant les principes de ma profession. »
Pour Stéphanie non plus, travailler en parapharmacie n’est pas une trahison, mais une autre façon d’exercer : « Finalement, ce n’est pas le diplôme que j’ai eu l’impression de trahir, mais moi. Il faut avouer que vendre des antirides ou du collagène, ça n’a pas la même portée que l’accompagnement thérapeutique qu’on réalise à l’officine, et qui reste ma vocation première. » Le médicament, l’analyse des prescriptions et la relation avec les patients ont fini par manquer aux deux pharmaciennes. Aude est revenue à l’officine après six ans en parapharmacie ; elle s’est récemment installée en tant que titulaire. Après 18 mois intenses en parapharmacie, Stéphanie poursuit sa carrière dans une société prestataire de matériel médical, pour laquelle elle forme les équipes. Ni l’une ni l’autre ne regrettent leur choix d’avoir un jour choisi de travailler en parapharmacie.
« Quand les docteurs en pharmacie seront dans les rayons, il y a aura une vraie concurrence dans le domaine du premier recours »
Sophie Gillardeau, docteur en pharmacie, consultante et formatrice sur les achats et le management auprès des officines.

Selon vous, quelles compétences développent les docteurs en pharmacie qui travaillent en parapharmacie d’enseigne ?
Sophie Gillardeau.- Je dirais sans hésiter le management, les techniques de vente et la connaissance des produits référencés. Pendant six mois, j’ai travaillé dans une parapharmacie Auchan. J’y ai découvert et compris ce qu’était le management. Je me souviens d’une expérience marquante. Je venais à peine d’arriver en tant que responsable et je me suis rendu compte qu’une des crèmes leaders manquait en rayon. J’ai trouvé cela inadmissible et je l’ai signalé à l’esthéticienne en charge du laboratoire commercialisant ce produit. Je l’ai réprimandée, en expliquant qu’elle devait être vigilante, qu’un produit leader ne devait pas être en rupture et cetera, comme je l’aurais fait en officine. Ma posture autoritaire a provoqué un tollé et on m’a fait comprendre que ce n’était la méthode pour encadrer l’équipe dans cette enseigne. Je n’avais pas pris en compte le fait que la gestion de cette marque lui avait été déléguée ; autrement dit, je n’avais pas à lui dicter ce qu’elle avait à faire, mais plutôt à l’accompagner pour mieux faire. La parapharmacie d’enseigne est également une très bonne école pour apprendre les techniques commerciales ou merchandising.
Quel est le point fort des parapharmacies d’enseigne ?
Sans conteste, la formation est un réel atout dans la plupart des enseignes. Contrairement à la pharmacie où l’on estime qu’à la sortie des études on est censé savoir, et où on apprend de façon informelle, sur le tas, les enseignes ont développé la culture de la formation. Ça ne s’improvise pas de mettre en place une tête de gondole ou de manager une équipe. De l’hôtesse d’accueil au directeur de magasin, tout le monde se forme. Il y a généralement deux types de formation obligatoire par an : une formation métier, avec des formations spécifiques aux produits ou aux techniques d’achat et de vente, et une formation sur le développement personnel. Les pharmaciens qui bénéficient de ces formations présentent un profil de compétences très complet. Pour cette raison, l’expérience en parapharmacie représente un vrai tremplin pour apporter une valeur ajoutée commerciale et managériale en tant qu’adjoint d’officine, ou pour se préparer à devenir titulaire.
Pensez-vous que les docteurs en pharmacie qui travaillent en parapharmacie ont un rôle de professionnel de santé ?
Les docteurs recrutés en parapharmacie endossent davantage un rôle de gérant, de chef de rayon. En réalité, ils ont peu de temps pour être sur le terrain à conseiller les produits. Dans certaines enseignes, on leur demande même de gérer plusieurs parapharmacies. Cependant, le jour où les parapharmacies décideront de placer des docteurs en pharmacie dans les rayons, en contact plus régulier avec les clients, il y a aura une vraie concurrence avec les officines dans le domaine du premier recours, d’autant plus qu’il est aujourd’hui possible de prendre en charge des affections minimes sans médicaments. En conciliant leurs connaissances médicales et leurs connaissances sur les produits, ces docteurs en pharmacie pourraient devenir de réels interlocuteurs en santé, au même titre que leurs confrères et consœurs d’officine.
Propos recueillis par D. P.
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