C’est la petite phrase qui a fait l’effet d’une bombe. Dans son « Rapport charges et produits » pour 2024, l’assurance-maladie a proposé qu’un « nouvel aspect puisse être développé afin de réaliser des gains en matière économique tout en limitant l’empreinte carbone des produits de santé : encourager la réutilisation des produits non utilisés. En effet, une part trop importante de produits de santé achetés par les usagers n’est pas utilisée, comme c’est souvent le cas les pour des médicaments non consommés, les compléments nutritionnels oraux ou les pansements. » L’année suivante, dans son « Rapport charges et produits » pour 2025, l’assurance-maladie persiste et signe en listant plusieurs actions pour lutter contre le gaspillage des produits de santé. « L’assurance-maladie souhaite prendre l’engagement de mettre en œuvre et en cohérence toutes les actions possibles permettant de ne plus jeter ou détruire des médicaments. Un produit dispensé doit être un produit utilisé », écrit-elle.
Depuis plusieurs mois, l’assurance-maladie est passée à l’action. D’une part, elle a commencé à dresser un état des lieux des médicaments non utilisés (MNU) rapportés en pharmacie par les patients ; d’autre part, elle réfléchit sérieusement à organiser la non-délivrance de médicaments en cas de surstock chez le patient et à remettre dans le circuit des dispositifs médicaux (DM) non utilisés.
MNU : une opération avec Cyclamed
En 2022, l’assurance-maladie évaluait le gisement total de MNU à 13 443 tonnes, dont 9 415 tonnes collectées par l’éco-organisme Cyclamed. Depuis quelques mois, l’assurance-maladie mène, en lien avec l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et Cyclamed, une étude de caractérisation et quantification des médicaments non utilisés. En clair, « nous cherchons à ce stade à savoir quels sont les produits non utilisés et en quelle quantité. Mais ce n’est pas l’objet de l’étude actuelle que de déterminer dans quelles conditions des médicaments pourraient être remis en circuit et selon quel circuit », explique l’assurance-maladie, insistant pour rappeler « qu’il n’est pas question de réutilisation dans cette étude, la réutilisation étant strictement interdite. »
Il n’est pas question du recyclage des médicaments, ça n’a pas du tout été évoqué
Lucie Bourdy-Dubois, présidente de la commission métier de la FSPF
Concrètement, il s’agit de déterminer quels produits sont rapportés en pharmacie par les patients : quels médicaments ? Quelles formes et quels dosages ? Dans quel état ? Périmés ou non ? Boîtes et plaquettes entamées ou entières ?… Pour cela, Cyclamed réalise déjà une partie du travail.
Depuis 32 ans, l’éco-organisme mène des opérations de caractérisation sur la base d’un échantillonnage représentatif des cartons de MNU qu’il collecte. Le but : quantifier l’énergie produite par les MNU lors de l’incinération. « Ce que l’on vient rechercher, c’est la totalité de chaque composant (gélules, comprimés, blister, papiers…) que l’on pèse. Chaque matériau a un pouvoir calorifique inférieur (PCI). Avec des abaques, on peut déterminer le PCI moyen d’un carton de MNU », explique Laurent Wilmouth, directeur général de Cyclamed. En pratique, « on vient littéralement vider des cartons de MNU dans des conditions pharmaceutiques, encadrées, sur 5 sites de grossistes répartiteurs et cela, tous les ans. On a une méthodologie qui est extrêmement robuste statistiquement, validée par l’État et par l’ADEME (Agence de la transition écologique, N.D.L.R.) », poursuit-il.
Pour l’étude commandée par l’assurance-maladie, Cyclamed a ajouté une étape : « au moment de l’échantillonnage, on place des pharmaciens pour regarder la typologie des médicaments, raconte encore le directeur général de Cyclamed. À partir d’un échantillonnage robuste statistiquement, on aura ainsi une vision beaucoup plus claire de ce qui est ramené par les patients en pharmacie. On aura à la fois du quantitatif et du qualitatif. Il y aura des éléments probants. »
La caractérisation prendra plusieurs mois. « Rien que la partie “physique” se terminera fin juillet, puis il faut le temps de l’analyse. Ce sont des centaines de lignes qui sont saisies à chaque fois », rapporte Laurent Wilmouth. À raison de 5 échantillonnages, il faut compter environ 5 000 lignes à analyser. « Les résultats sont attendus sur le second semestre 2025 », prévoit l’assurance-maladie.
L’assurance-maladie envisage une réévaluation des traitements par le médecin traitant et un accompagnement en cas de non-adhésion au traitement
Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO
Une expérimentation à l’officine en juin
Plus récemment, le vendredi 25 avril, l’assurance-maladie a réuni les pharmaciens pour les impliquer dans une expérimentation visant à lutter contre le gaspillage de médicaments et certains dispositifs médicaux non utilisés par les patients. « Il n’est pas question du recyclage des médicaments, ça n’a pas du tout été évoqué, précise d’emblée Lucie Bourdy-Dubois, présidente de la commission métier de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Se pose la question de la remise en circulation des boîtes de DM, mais il y a une question juridique là-dessus, c’est à étudier car pour le moment ce n’est pas possible. En fait, l’idée de l’assurance-maladie, c’est la remise dans le circuit de DM non ouverts – en gros, les pansements – dans le cadre de soins infirmiers via un protocole sécurisé. Mais pour le moment, c’est une réflexion. » « Ils ont essayé d’envelopper ça dans la décarbonation du système de santé pour faire en sorte que cela soit plus écologique, plus vertueux », ajoute Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO).
Le gaspillage sur les pansements vient essentiellement des prestataires de santé à domicile (PSAD), car ils livrent des quantités énormes
Comment l’assurance-maladie voit-elle le déroulé de l’opération ? « L’infirmière va au domicile du patient, lui propose d’ouvrir sa boîte à pharmacie et regarde les médicaments et DM prescrits et non utilisés, rapporte Lucie Bourdy-Dubois. L’infirmière caractérise la situation : est-ce une prescription inadaptée ? Est-ce un problème d’adhésion au traitement ? Est-ce que c’est un mauvais usage des produits ou un problème d’iatrogénie ? L’intervention se passe dans un cadre pluriprofessionnel et l’infirmière propose à l’équipe soignante une ou plusieurs actions à mettre en place au regard de la première analyse. La deuxième étape, c’est l’analyse par l’équipe traitante – médecin, infirmier, pharmacien – qui décide des actions à mener et de qui va s’en occuper dans l’équipe. Ensuite il s’agit d’accompagner le patient. »
Parmi les actions à mettre en œuvre, l’assurance-maladie envisage une réévaluation des traitements par le médecin traitant et un accompagnement thérapeutique en cas de non-adhésion au traitement ou d’iatrogénie. Une partie dont le pharmacien voudrait bien s’occuper, sous forme de bilan partagé de médication, pointe la FSPF. S’il y a un surstock de médicaments, « on n'en délivre plus », explique Lucie Bourdy-Dubois. Le fameux « NPD » pour « ne pas délivrer ». « C’est quelque chose que l’on faisait déjà », s’accordent à dire la FSPF et l’USPO. Quant aux pansements, ils pourront éventuellement être remis en circulation, après évaluation de l’infirmière. Encore une fois, l’idée est « embryonnaire », selon Lucie Bourdy-Dubois. « Il n’y a pas de critères de sélection, pas de méthodologie, pas de modèle économique, reproche Pierre-Olivier Variot. Et en cas de problème avec un pansement recyclé, qui est responsable ? »
Pour l’USPO, il y a d’autres moyens pour lutter contre le gaspillage des produits de santé que la réutilisation. « Si je suis patient, je ne veux pas d’un pansement qui sort d’une poubelle », ajoute le président de l’USPO, précisant que « le gaspillage sur les pansements vient essentiellement des prestataires de santé à domicile (PSAD), car ils livrent des quantités énormes ». Il propose plutôt de remettre en place la dispensation adaptée (DAD) sur les médicaments mais aussi sur les pansements, d’adapter les conditionnements et de développer la PDA (préparation des doses à administrer) pour améliorer l’observance, et de demander aux médecins de prescrire selon les RCP.
L’expérimentation commencerait en juin. Plusieurs caisses primaires de l’assurance-maladie (CPAM) sont sollicitées : Réunion, Centre Val-de-Loire, Alpes-Maritimes, Loire Atlantique, Manche, Essonne, Côte-d’Or, Côtes d’Armor, Finistère, Morbihan, Côte d’Opale, Roubaix-Tourcoing, Corrèze, Charente Maritime et Haute-Savoie.
Tensions d’approvisionnement
Sertraline : faut-il renoncer aux préparations magistrales à cause des conditions tarifaires ?
Accès aux soins non programmés
Les Sénateurs approuvent l’extension du dispositif OSyS à tous les pharmaciens
Démographie des professionnels de santé
Combien de pharmaciens exercent en France ?
Cas de comptoir
Conseils pour des examens réussis