Au vu de l’état des finances de la Sécu, la lutte contre la fraude est aujourd’hui devenue une priorité. En 2024, l’assurance-maladie a intercepté des fraudes pour un montant de 628 millions d’euros (assurés et professionnels de santé), soit +35 % par rapport à l’année 2023. Une somme qui peut paraître énorme mais qu’il faut mettre en perspective avec le montant des fraudes fiscales repérées en 2024 : 16,7 milliards d’euros ! Avec 62 millions d’euros de fraudes détectées et stoppées (+3 % par rapport à 2023), les pharmaciens ne sont plus en tête du classement des fraudeurs dans le secteur de la santé, désormais devancés par les audioprothésistes (115 millions d’euros de préjudice). Facturations fictives de médicaments qui ne sont pas délivrés, ordonnances falsifiées par le pharmacien lui-même, facturations de médicaments qui ne sont pas sur ordonnance ou au-delà de la période prescrite… en tout, ce sont plus de 1 100 indus frauduleux en pharmacie qui ont été dénombrés en 2024 sur 9 500 dossiers tout professionnels de santé confondus.
La fraude sur les médicaments, quant à elle, est évaluée à 13,4 millions d’euros, en augmentation par rapport à 2023 (11,5 millions d’euros). Parmi les spécialités le plus souvent visées, on retrouve les antalgiques, les produits du diabète et les anticancéreux. L’entrée en vigueur de l’avenant 1 à la convention pharmaceutique a permis la mise en place au niveau national de l’outil ASAFO-Pharma, qui sert à repérer et à signaler des ordonnances falsifiées. Malgré certaines lacunes (voir page 5), 7 300 suspicions de fausses ordonnances ont déjà été transmises par les pharmaciens via cet outil depuis le mois d’août et, dans l’autre sens, 2 000 documents falsifiés ont été envoyés par l’assurance-maladie à destination des officinaux. Dans les trois quarts des cas, « le caractère frauduleux des ordonnances signalés par les pharmaciens a pu être confirmé », note l’assurance-maladie.
Analogues du GLP-1 : les fraudeurs s’adaptent déjà
Depuis le 1er février, toute prescription d’analogues du GLP-1 (Ozempic, Trulicity, Victoza) indiqués dans le traitement du diabète, doit être obligatoirement accompagnée d’un formulaire (rempli par le médecin) et justifiant que la prescription est faite dans le cadre de l’AMM. Sans ce document, la dispensation par le pharmacien ne peut ouvrir droit à une prise en charge. Fréquemment détournés par des patients qui désirent perdre du poids (un tiers des ordonnances falsifiées signalées sur ASAFO concerne cette classe de médicaments avec les capteurs de glycémie), les analogues du GLP-1 constituent un enjeu crucial pour l’organisme payeur, « en termes de préjudices financiers mais aussi sanitaires avec les pénuries engendrées par les détournements », rappelle Thomas Fatôme, directeur général de la CNAM. Une période de tolérance de trois mois a toutefois été concédée par l’assurance-maladie, le temps que le dispositif se mette en place. Ce n’est donc qu’à partir du 1er mai que le dispositif sera pleinement opérationnel.
Pour lutter contre les fraudes, on ne cesse de taper sur le médecin et sur le pharmacien. Ce que nous réclamons à l’USPO, c’est que l’on renforce les sanctions contre les contrevenants
Cyril Colombani, président de l’USPO des Alpes-Maritimes
Cependant, des pharmaciens ont déjà pu constater les limites de ce procédé, notamment dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Alors qu’aucun contrôle de la CNAM n’est encore organisé, certains fraudeurs n’ont pas attendu la fin de cette période de transition pour se mettre à la page. Un premier document frauduleux a été découvert dès la fin février par un officinal du Vaucluse. « Le pharmacien a eu des doutes en voyant l’ordonnance et le formulaire. Il a contacté le médecin et ce dernier lui a confirmé ne pas être à l’origine de la prescription. Le patient avait donc falsifié l’ordonnance mais aussi le formulaire Cerfa ! », explique Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Depuis, deux autres cas similaires ont été signalés dans la région. « Un dans le Var et l’autre dans les Alpes-Maritimes », confirme Cyril Colombani, président de l’USPO des Alpes-Maritimes. Ce dernier ne fait pas de détour pour dire ce qu’il pense de ce dispositif. « Cela ne sert à rien. Pour lutter contre les fraudes, on ne cesse de taper sur le médecin et sur le pharmacien. Ce que nous réclamons à l’USPO, c’est que l’on renforce les sanctions contre les contrevenants. Si l’on infligeait une amende de 5 000 euros à toute personne qui utilise une ordonnance falsifiée, les fraudeurs y réfléchiraient à deux fois », défend-il.
L’accumulation des mesures anti-fraudes et la surcharge de travail qu’elles génèrent irrite les représentants des pharmaciens
L’assurance-maladie, elle, renforce sa surveillance numérique et coopère davantage avec les forces de l’ordre. Comme à Paris : « Les services de police nous ont signalé un vol d’ordonnances d’un médecin hospitalier, un oncologue, raconte Raynal Le May, directeur général de la Caisse primaire de l’assurance-maladie (CPAM) de Paris. On a pu repérer un certain nombre de prescriptions frauduleuses pour un montant total de 300 000 euros. Il s’agissait notamment de médicaments contre la sclérose en plaques ou des anticancéreux dont le coût unitaire était de 7 000 euros et 3 700 euros. » Un cas de fraude en bande organisée, phénomène en recrudescence : « Des individus sont recrutés en ligne pour participer à des trafics de médicaments ou obtenir des remboursements frauduleux contre commission, explique l’assurance-maladie. En parallèle, la vente en ligne de documents falsifiés (ordonnances, arrêts maladie) s’est structurée. »
Bientôt une « e-contrainte » supplémentaire pour les pharmaciens ?
L’accumulation des mesures anti-fraudes et la surcharge de travail qu’elles génèrent irrite les représentants des pharmaciens. D’autant plus que l’assurance-maladie aurait l’intention de lancer un nouveau dispositif d’ici à la fin de l’année. « Il s’agirait d’un téléservice d’aide à la détection des atypies de consommation (ADAC) un peu sur le modèle d’ASAFO en termes de fonctionnement, explique Valérian Ponsinet. Il serait utilisé pour quatre types de produits : les bandelettes d’autosurveillance glycémique, les capteurs de glycémie, les anticancéreux onéreux et des stupéfiants comme le Subutex, liste-t-il. L’intention de l’assurance-maladie serait de lancer cet outil à l’automne ou au moins avant la fin de l’année », complète le représentant de la FSPF, pas forcément ravi à l’idée de voir une nouvelle « e-contrainte » s’immiscer dans le quotidien des pharmaciens. Un avis partagé par Pierre-Olivier Variot, le président de l’USPO. « En entrant le NIR du patient, on pourra voir par combien de pharmacies il est passé avant et vérifier combien de bandelettes lui ont déjà été délivrées par exemple. Le problème c’est que, comme ASAFO, ADAC ne sera pas interopérable avec nos LGO, regrette-t-il. Vérifier sur ce téléservice, cela va nous prendre plusieurs minutes. Encore une fois, on va mettre en place quelque chose qui va nous ralentir parce que l’on n’arrive pas à mettre en place l’ordonnance numérique dans les temps ». Des arguments qui ont été répétés à l’assurance-maladie lorsque celle-ci a présenté ADAC il y a quelques jours. « L’assurance-maladie nous a dit que l’utilisation d’ADAC ne serait pas obligatoire pour les pharmaciens. Contrairement à ce qui a été mis en place pour ASAFO, elle n’a pas évoqué pour l’instant la possibilité d’y adosser une ROSP à l’usage », complète le président de l’USPO.
Tous les espoirs reposent sur l’ordonnance numérique
Face à toutes ces mesures qui se superposent, le temps passé à gérer des problèmes d’indus, les représentants des pharmaciens plaident pour un choc de simplification. Ils appellent surtout au développement urgent de l’ordonnance numérique, LA solution selon eux pour lutter contre le fléau des fraudes. « L’ordonnance numérique c’est la seule solution viable pour lutter contre les fausses ordonnances, confirme Valérian Ponsinet. Les pharmaciens sont prêts, nos logiciels aussi. Ce qui freine leur déploiement ce sont les logiciels d’aide à la prescription (LAP) des médecins de ville qui sont très nombreux et qui, eux, ne sont pas tous prêts. Surtout, on verra toujours des ordonnances falsifiées au comptoir tant que l’ordonnance numérique ne sera pas déployée à l’hôpital ». En début d’année, l’assurance-maladie annonçait son intention de mener une expérimentation avec quelques établissements. Pour l’ordonnance numérique, « l’année 2025 sera une année de transition. Sur le terrain, les délégués numériques en santé (DNS) de l’assurance-maladie seront totalement dédiés à l’accompagnement des médecins et des pharmaciens », expliquait ainsi Marguerite Cazeneuve en octobre dernier. Au comptoir, les pharmaciens sont toutefois bien placés pour voir que la généralisation de l’ordonnance numérique n’est en effet pas pour tout de suite. « Un seul médecin utilise l’ordonnance numérique autour de chez moi. Il le fait systématiquement mais aujourd’hui c’est le seul, confirme Pierre-Olivier Variot. Nous sommes en mars et pour l’instant je n’ai toujours pas vu une seule ordonnance numérique hospitalière, ni aucune issue d’une téléconsultation », ajoute-t-il. Selon les derniers chiffres communiqués par la CNAM, arrêtés à fin février, 37 000 médecins avaient créé une ordonnance numérique au moins une fois (pour un total de 56 millions de documents) et un peu plus de 12 000 officines en avaient déjà traité une.
Une idée de l’assurance-maladie
Médicaments, pansements : quelle est cette expérimentation contre le gaspillage ?
A la Une
Révision de la grille des salaires : ce qui va changer
Expérimentation
Vaccination du voyageur chez Wellpharma
Mécénat Chirurgie Cardiaque
Challenge cœurs actifs, le tour du monde de Pharmactiv