Principaux médicaments
Ciprofloxacine (Ciflox…) ; lévofloxacine (Tavanic…) ; ofloxacine (Oflocet, Monoflocet…) ; norfloxacine ; moxifloxacine ; delafloxacine (Quofenix : nouveau ; produit hospitalier).
Mécanisme d’action
Les fluoroquinolones sont des bloqueurs de la synthèse d’ADN par inhibition de l’action des topoisomérases. Et, plus précisément, de la topoisomérase II (ADN gyrase) qui permet le surenroulement négatif de la molécule d’ADN au moment de la réplication, et de la topoisomérase IV dont le rôle est de détacher les structures de l’ADN nouvellement synthétisé. L’activité antibactérienne Gram - passe surtout par l’inhibition des activités ADN-gyrases, tandis que l’activité anti-Gram + semble passer par le blocage de la toposisomérase IV.
Douées d’un spectre antibactérien élargi et d’une activité puissante, les fluoroquinolones sont des antibiotiques bactéricides concentration-dépendant, présentant une biodisponibilité orale élevée (équivalence voie orale/voie intraveineuse, sauf pour la ciprofloxacine), une excellente diffusion (os, poumon, prostate, œil, tissus mous…) et un effet post-antibiotique prolongé (persistance d’un effet antibactérien alors que sa concentration est devenue inférieure à la concentration minimale inhibitrice ou CMI). Ajoutons un emploi aisé avec une ou deux prises par jour par voie orale.
Mais on observe fréquemment l’émergence de résistances sous la pression de sélection. D’où l’importance de leur emploi à bon escient, à la bonne posologie et avec une durée de traitement adapté.
Les quatre grands mécanismes de résistance correspondent à une mutation de la cible, une diminution de la perméabilité de la paroi bactérienne secondaire à une réduction de l’expression du gène codant pour les porines (imperméabilité de la paroi), un défaut d’accumulation intra-bactérienne via une surexpression d’une pompe à efflux et un transfert plasmidique de gènes de résistance.
Une longue histoire
L’ère des quinolones commence en 1960 avec la découverte de l’acide nalidixique (Negram), utilisé très rapidement en thérapeutique humaine. Les premiers produits suivants, dits de 1re génération (acide oxolinique – Urostrate ; acide pipémidique – Pipram ; fluméquine – Apurone ; rosoxacine – Eracine) seront mis à profit dans les infections urinaires du fait de leur cinétique.
L’ajout d’un atome de fluor et d’un groupe pipérazine dans les années 1970 a donné naissance aux fluoroquinolones, dotées non seulement d’une très importante diffusion cellulaire, mais aussi d’une pénétration intracellulaire augmentée, ce qui leur permet de cibler notamment les bactéries parasitant le cytoplasme des cellules de l’hôte, et d’un spectre élargi, qui va d’ailleurs s’élargir de plus en plus par la suite, au point de couvrir finalement de très nombreux germes (avec néanmoins des « trous »).
La péfloxacine (Péflacine) a été la première molécule de la 2e génération (ou de la 1re des fluoroquinolones), mise sur le marché en 1984. Elle a été suivie de la norfloxacine (Noroxine), de l’énoxacine (Énoxor), de la loméfloxacine (Logiflox), de l’ofloxacine (Oflocet/Monoflocet), de la ciprofloxacine (Ciflox). Puis arrivèrent des produits de 3e génération (parfois dites « quinolones respiratoires »), avec par exemple la lévofloxacine (Tavanic) et la sparfloxacine (Zagam), et enfin les produits dits de 4e génération avec notamment la moxifloxacine (Izilox).
La dernière en date (2021) est représentée par delafloxacine (Quofenix).
Mais avec les années, outre l’arrêt des quinolones, près de la moitié des fluoroquinolones a été retirée du marché et depuis 2019. Leurs indications ont été drastiquement réduites, à la fois pour préserver leur puissante activité, en mode recours dans les indications où elles demeurent essentielles (ex : infections ostéo-articulaires, relais par voie orale contre le Pseudomonas ou des entérobactéries quand le cotrimoxazole ou les bêta-lactamines ne peuvent être utilisés, les légionelloses graves, les infections urinaires tissulaires, la neutropénie fébrile – en prophylaxie et en curatif…), et aussi de leurs effets indésirables, dont certains, bien que rares, peuvent se révéler redoutables.
Dans quelles situations cliniques ?
Les fluoroquinolones s’utilisent principalement par voie orale et injectable, et, pour certaines d’entre elles, par voie oculaire et auriculaire.
Les germes sensibles sont très nombreux : bacilles Gram négatif (salmonelles, E. coli, colibacilles, shigelles, Proteus, Providencia, Enterobacter, Serratia, Yersinia, Helicobacter, Campylobacter, Hæmophilus influenza, Brucella, Pasteurella, Bordetella pertussis, Neisseria meningitidis et Gonorrhoeae (gonocoques), Moraxella catarrhalis, Acinectobacter, Pseudomonas aeruginosa) et Gram positif (staphylocoques, streptocoques, entérocoques, Bacillus anthracis – agent du charbon -, Entérocoques ; certains anaérobies : Clostridium perfringens, Fusobacterium, Bacillus fragilis…), intracellulaires (Legionella pneumophila, Mycoplasma, Chlamydia…), mycobactéries (Mycobacterium tuberculosis et certaines mycobactéries atypiques.
Les principales indications des fluoroquinolones concernent les infections urinaires compliquées et basses (anciennement dénommées prostatiques), sexuellement transmissibles et gynécologiques (gonococcie, chancre mou), ostéo-articulaires (indispensables), bronchopulmonaires et intra-abdominales (diarrhées infectieuses aiguës, fièvre typhoïde, salmonelloses…).
Les fluoroquinolones sont le traitement probabiliste de première intention en cas de pyélonéphrite aiguë simple, en l’absence d’exposition à ces produits au cours des 6 derniers mois. Elles sont également indiquées dans le traitement d’éradication d’Helicobacter pylori en cas de résistance à la clarithromycine et dans les méningites bactériennes (en cas de contre-indication aux bêtalactamines). Elles ne sont pas recommandées dans les infections cutanées bactériennes courantes.
Les autorités européennes ont imposé en 2019 des restrictions d’utilisation à ces médicaments en raison du risque d’effets indésirables nombreux, certains étant possiblement graves bien que rares, voire exceptionnels. De ce fait, le recours à ces produits doit être depuis limité au maximum non seulement en raison de leurs effets indésirables mais aussi en raison de l’augmentation des résistances acquises, de la pression de sélection exercée et de l’usage potentiel de certaines molécules en troisième ligne dans la tuberculose qu’il convient de préserver.
Les « nouvelles règles du jeu »
Les fluoroquinolones ne doivent pas être prescrites :
- Dans les infections non sévères ou spontanément résolutives ;
- Pour prévenir la diarrhée du voyageur ou les infections récidivantes des voies urinaires basses ;
- Dans les infections non bactériennes, comme la prostatite chronique non bactérienne ;
- Dans les infections de sévérité légère à modérée (notamment la cystite non compliquée, l’exacerbation aiguë de la bronchite chronique et de la BPCO, la rhinosinusite bactérienne aiguë et l’otite moyenne aiguë), à moins que les autres antibiotiques habituellement recommandés pour ces infections soient jugés inappropriés ;
- À des patients ayant déjà présenté des effets indésirables graves avec un antibiotique de la famille des quinolones/fluoroquinolones.
Plans de prise chez l’adulte
- Ciprofloxacine : 500 à 750 mg, 2 fois par jour par voie orale ; 400 mg, 3 fois par jour par voie intraveineuse.
- Délafloxacine : 450 mg, 2 fois par jour par voie orale.
- Lévofloxacine : 500 mg, 1 ou 2 fois par jour par voie orale ; 500 mg, 2 fois par jour par voie intraveineuse.
- Moxifloxacine : 400 mg, 1 fois par jour par voie orale ou par voie intraveineuse.
- Norfloxacine : 400 mg, 2 fois par jour par voie orale.
- Ofloxacine : 200 à 400 mg, 2 fois par jour par voie orale, ou par voie intraveineuse.
Les fluoroquinolones doivent être évités dans des situations où d’autres antibiotiques peuvent être utilisés
Cas particuliers
Grossesse et allaitement
Prudence au cours de la grossesse et pendant l’allaitement.
Rappelons que les fluoroquinolones n’ont plus leur place dans la cystite aiguë et la colonisation urinaire gravidique.
Dans les autres indications, par voie systémique, la ciprofloxacine est la fluoroquinolone de première intention, quel que soit le terme de la grossesse. En deuxième intention, il est possible d’utiliser la lévofloxacine ou l’ofloxacine.
Par voie oculaire ou auriculaire, la ciprofloxacine, la norfloxacine ou l’ofloxacine peuvent être utilisées quel que soit le terme de la grossesse.
Enfin, il est possible d’utiliser chez une femme qui allaite, par voie générale, la ciprofloxacine, l’ofloxacine et la norfloxacine pendant 3 jours. (Source : CRAT, Centre de référence sur les agents tératogènes)
Insuffisance rénale ou hépatique
Des adaptations posologiques peuvent être nécessaires, surtout en cas d’insuffisance rénale (ofloxacine, ciprofloxacine, lévofloxacine), parfois en cas d’insuffisance hépatique (norfloxacine, moxifloxacine).
Vigilance requise !
Contre-indications absolues
Il s’agit du déficit en G6PD (risque d’hémolyse), d’antécédents de tendinopathie sous fluoroquinolone et les enfants en période de croissance, en raison d’un risque d’arthropathies (contre-indication relative).
Effets indésirables (liste non exhaustive)
Important : les effets indésirables peuvent se manifester dès les premières 48 heures, mais aussi jusqu’à plusieurs mois après l’arrêt du traitement. Dans de rares cas, des séquelles peuvent être permanentes. Il est donc essentiel de savoir y penser.
- Troubles gastro-intestinaux : nausées/vomissements, rarement diarrhées.
- Troubles neuropsychiques : céphalées, vertiges, confusion, convulsions (risque augmenté en cas d’associations aux AINS).
- Troubles dermatologiques : phototoxicité (la fluoroquinolone la moins photosensible serait la moxifloxacine), éruption érythémateuse maculopapuleuse.
- Troubles tendineux : le risque de tendinite et de rupture est 2 à 4 fois supérieur chez les patients recevant (ou ayant reçu) une fluoroquinolone par rapport à ceux qui n’en reçoivent pas. L’incidence est estimée à 2 % chez les personnes de plus de 65 ans (contre une incidence de base de l’ordre de 0,9 % dans la population générale). Outre l’âge (vieillissement tissulaire), on a identifié plusieurs facteurs favorisants : insuffisance rénale chronique, corticothérapie (risque x par 15), les statines.
Les tendinopathies sont des lésions correspondant à une inflammation ou d’une fragilisation du tendon pouvant aller jusqu’à la rupture. Tous les tendons peuvent être atteints (épaule, coude, genou, hanche…), en particulier le tendon d’Achille (talon/cheville) qui est le plus susceptible d’être touché. Les tendinopathies se traduisent par une douleur pendant ou après l’effort, lors d’une palpation, par un épaississement ou encore par la formation d’une boule au niveau du tendon.
Les symptômes d’une tendinopathie surviennent de 2 à 42 jours après le début du traitement et régressent 1 à 2 mois après l’arrêt de celui-ci dans les deux tiers des cas.
En cas de suspicion de tendinopathie, il convient d’arrêter immédiatement le traitement.
Dans 90 % des cas, le patient guérit spontanément au cours du mois suivant l’arrêt de la fluoroquinolone. Chez les autres, il existe un risque de séquelles, à type de douleur ou de réduction de la mobilité. Les ruptures tendineuses imposent le recours à la chirurgie.
Cet effet indésirable est mis en relation avec l’induction d’altérations de la synthèse du collagène et de l’élastine par majoration de l’activité de métalloprotéases et d’une augmentation de radicaux libres au niveau mitochondrial.
- Troubles hématologiques : hémolyse en cas de déficit en G6PD, neutropénie, thrombocytopénie.
- Troubles cardiaques : risque d’allongement de l’espace QT et ainsi de torsades de pointe (associations à éviter avec les bradycardisants et les hypokalémiants).
- Et aussi : anévrysme et dissection aortique (très rares), neuropathies périphériques (sensations de brûlures, fourmillements, picotements, douleurs, engourdissements, notamment au niveau des mains et des pieds), confusion/désorientation, dépression, troubles sensoriels.
Bien que très rares, des troubles persistants et/ou retardés ont été observés, parfois graves et pouvant conduire à un handicap important : tendineux, musculaires, cognitifs, psychiatriques, nerveux périphériques, gastro-intestinaux ou endocriniens. Cela, même en cas de traitement de courte durée. Les mécanismes impliqués sont incertains : stress oxydatif, toxicité mitochondriale, inhibition de la prolifération et de la migration cellulaire, induction d’apoptose, propriétés chélatrices des fluoroquinolones sur les ions métalliques.
- Attention au risque d’augmentation des effets indésirables chez les sujets âgés (à partir de 65 ans).
48 heures ou plus Les effets indésirables peuvent se manifester dès les premières, mais aussi jusqu’à plusieurs mois après l’arrêt du traitement
Urgences
L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) recommande depuis octobre 2022 aux personnes recevant une fluoroquinolone de contacter rapidement leur médecin en cas de :
- Gonflement douloureux des tendons ou des articulations ;
- Douleurs et/ou faiblesse inhabituelles au niveau des bras ou des jambes ;
- Palpitations ou sensations de battements irréguliers ou rapides du cœur ;
- Difficultés à respirer, gonflement des jambes ;
- Baisse de la vision ou apparition de tout autre trouble oculaire ;
- Rougeurs, irritations ou démangeaisons au niveau de la peau, notamment à la suite d’une exposition au soleil ou aux rayonnements UV artificiels (dont les lampes à bronzer) ;
- Troubles neuropsychiatriques (dépression, insomnie, troubles de la mémoire…).
Le médecin prescripteur et le pharmacien dispensateur doivent prévenir le patient que l’apparition de douleurs abdominales, thoraciques ou dorsales soudaines et intenses impose de contacter le 15 ou de se rendre immédiatement au service d’urgence d’un hôpital.
Les interactions médicamenteuses
- Possible diminution de l’absorption digestive des fluoroquinolones avec les sels de fer, les cations multichargés (anti-acides), les sels de zinc et le sucralfate (prendre ces produits au moins 2 heures avant les fluoroquinolones).
- Majoration potentielle du risque de survenue d’une tendinopathie, voire de rupture (exceptionnelle) avec les glucocorticoïdes (sauf hydrocortisone), particulièrement chez les patients recevant une corticothérapie prolongée.
- Antivitamines K : augmentation de l’effet anticoagulant et donc du risque hémorragique : nécessité de contrôler plus fréquemment l’INR, et éventuellement d’adapter la posologie de l’antivitamine K pendant le traitement antibiotique, puis de nouveau à son arrêt.
- Mycophénolate mofétil (Cellcept) : diminution des concentrations de l’acide mycophénolique d’environ un tiers et donc baisse de l’efficacité de cet immunosuppresseur.
À retenir
- Les fluoroquinolones sont des antibiotiques puissamment actifs, par voies orale, injectable et locale, sur de nombreuses espèces bactériennes.
- Mais un large emploi exposant au développement de résistances a conduit à en codifier strictement l’emploi.
- Il en est de même du risque d’effets indésirables, dont certains peuvent être graves.
- Leurs indications, révisées depuis 2019, les réservent à des infections sévères/compliquées et souvent en situation de recours.
- Les effets indésirables peuvent survenir rapidement ou dans les semaines, voire même mois suivant la fin des prises. Les patients doivent en être informés.
- Si les troubles tendineux figurent parmi les effets indésirables pouvant être graves et sont en principe bien connus, ce sont loin d’être les seuls ; il faut y ajouter des troubles neurologiques, dermatologiques, hématologiques et cardiovasculaires.
Testez-vous
1. Quelle est la première fluoroquinolone à avoir été mise sur le marché ?
a) Norfloxacine ;
b) Enoxacine ;
c) Péfloxacine.
2. Citez un germe sensible aux fluoroquinolones :
a) Gonocoques ;
b) Mycobactérium tuberculosis ;
c) Helicobacter pylori.
3. Quelle est l’affirmation vraie concernant les effets indésirables des fluoroquinolones ?
a) Leur survenue peut être retardée ;
b) Ils sont toujours réversibles ;
c) Ils sont parfois irréversibles.
4. Quelle est l’affirmation fausse ?
a) Les fluoroquinolones peuvent être utilisées au cours de la grossesse ;
b) Les fluoroquinolones sont contre-indiqués en cas d’allaitement ;
c) La posologie de certaines fluoroquinolones doit être adaptée en cas d’insuffisance rénale.
5. Citez une classe médicamenteuse susceptible d’entraîner des interactions médicamenteuses avec les fluoroquinolones :
a) Ciclosporine ;
b) Prednisone ;
c) Antivitamines K.
Réponses : 1. c) ; 2. a), b) et c) ; 3. a) et c) ; 4. b) ; 5. b) et c).
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