Très efficaces sur la perte de poids, le sémaglutide (analogue du GLP-1) et le tirzépatide (analogue du GLP-1 et du GIP) auront-ils la peau du rayon minceur ? Il est vrai que gélules, gummies, lotions, crèmes, gels…, cette offre pléthorique de produits présentés comme amincissants, ne sont pas en très grande forme. Car, derrière leurs couleurs pures et les calligraphies toniques de leurs conditionnements, les compléments alimentaires et cosmétiques de ce type – qui demeurent autorisés à la vente en officine, confirme l’Ordre national des pharmaciens – accusent une baisse des ventes significative. « De 8 à 10 % par an » y compris en pharmacie, admet le Syndicat national des compléments alimentaires (Synadiet).
Certes, certains fabricants, comme l’entreprise de compléments alimentaires NHCO Nutrition, affirment ne constater « aucune baisse de l’intérêt du public ou des pharmaciens pour (…) (leur) gamme santé minceur ». Et de véritables effets de mode perdurent - comme autour de produits à base d’extraits d’orange sanguine promus l’été dernier par des influenceurs.
Cependant, à plus large échelle, une courbe plus accidentée semble se dessiner. Autrement dit, si le secteur demeure « très compétitif », il pourrait bien « ne plus s’avérer tout à fait aussi porteur que par le passé », augure la Fédération des entreprises de la Beauté (Febea). Reste à savoir dans quelle mesure cette décroissance se poursuivra.
Le Synadiet évoque un mouvement général de transition du marché des compléments alimentaires. « Depuis quelques années, les acteurs se sont éloignés du bien-être (et ainsi de la minceur) pour recentrer leur portefeuille sur des indications à valeur santé comme l’immunité ou le sommeil. » Une évolution qui pourrait ne pas s’avérer aussi « naturelle » que le déclare l’instance. En cause : l’émergence de médicaments très efficaces sur la perte de poids, les analogues du GLP-1, voire du GIP en ce qui concerne le tirzépatide, initialement développés contre le diabète du type 2 et désormais aussi indiqués dans l’obésité.
Une entrée sur le marché saluée non seulement par la communauté médicale qui appelait « de tous (ses) vœux l’arrivée de médicaments », se souvient le Pr Michel Lecerf (médecin nutritionniste, ancien chef du service de nutrition et activité physique de l’institut pasteur de Lille) et par l’industrie pharmaceutique (dont les pipelines se remplissent d’autres candidats) mais aussi par le grand public, comme en témoignent nombre de posts, hashtags et autres contenus intensément relayés sur les réseaux sociaux.
Pas de concurrence entre médicaments et produits minceur
Néanmoins, difficile d’imaginer une concurrence directe entre médicaments et produits minceur, peu comparables en termes d’efficacité : tandis que le sémaglutide et le tirzépatide ont apporté la preuve scientifique de leur efficacité, les compléments alimentaires « ont plutôt vocation à accompagner un mode de vie équilibré », insiste le Synadiet.
Il ne s’agit pas que de « coupe-faim » comme l’était le Mediator
Pr Karine Clément, médecin nutritionniste, Inserm, présidente de l’ Afero
Dans le même esprit, « les cosmétiques minceur n’ont pas vocation à agir sur les couches lipidiques profondes de l’épiderme et ne favorisent pas la perte de tissu adipeux », souligne la Febea. Si bien que les allégations associées ne peuvent concerner qu’un effet « amincissant », ou la perte d’un aspect bosselé de la peau, « qui survient aussi chez les personnes normopondérales », rappelle Céline Couteau, pharmacien responsable d’un enseignement de dermocosmétique à la faculté de pharmacie de Nantes. Et bien que certaines publications suggèrent une action amincissante de quelques produits, « l’inventaire européen des ingrédients cosmétiques (CosIng) ne reconnaît pas ces actifs amincissants », note cette spécialiste des cosmétiques.
Pour autant, l’accès aux médicaments reste trop limité pour impacter le marché de la minceur. En effet, dans l’indication « gestion du poids » demeurent éligibles à la prescription, obligatoire, seulement les « adultes ayant un indice de masse corporelle (IMC) initial ≥ 35 kg/m²et âgé ≤ 65 ans en cas d’échec de la prise en charge nutritionnelle bien conduite ». De plus, l’initiation de traitement reste strictement réservée aux spécialistes en endocrinologie-diabétologie-nutrition. Sans compter que le niveau de prise en charge par l’assurance-maladie, encore en suspens, conditionnera également l’accès à ces soins. Pour l’heure, seuls 7 000 à 8 000 patients auraient été traités dans l’Hexagone hors accès précoce, « sur des centaines de milliers de personnes en surpoids », nuance ainsi Isabelle Yoldjian, directrice médicale des médicaments à l’Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM).
La crainte d’une concurrence directe entre produits minceur et médicaments pourrait d’autant plus disparaître que la décroissance du marché de la minceur est antérieure à l’arrivée de ces récentes nouvelles options pharmacologiques. « On est très clairement sur un segment qui connaît une baisse significative depuis une dizaine d’années », rapporte le Synadiet. La décennie a, de fait, été marquée par d’autres transformations du secteur. Au rang desquelles, l’avènement d’acteurs tel la société Comme j’aime, ou a contrario la perte de vitesse des régimes restrictifs mis en cause pour leurs effets indésirables (déséquilibres alimentaires, rebond, etc.) notamment par un groupe de travail de l’Agence nationale de sécurité sanitaire et de l’alimentation (Anses) dirigé par le Pr Michel Lecerf*. Tant et si bien que des entreprises pourtant bien implantées comme WeightWatchers ont dernièrement fini par suspendre leurs activités en France.
Loin de régler à coups d’injections miracles le problème de l’excès de poids, ces produits pharmacologiques continuent de mettre en lumière l’importance de la prise en charge globale
L’obésité, une maladie complexe
Et si, finalement, ce déclin des produits minceur était plutôt la conséquence du nouveau regard porté sur le surpoids et l’obésité ? « Alors que l’obésité est souvent présentée comme simplement due à alimentation trop grasse et à une activité physique insuffisante, le problème se révèle bien plus compliqué », résume le Pr Karine Clément, médecin nutritionniste, directrice de l’Unité de recherche Inserm NutriOmique et présidente de l’Association française d’études et de recherches sur l’obésité (Afero). Elle le constate : l’obésité n’est plus seulement considérée comme un facteur de risque d’autres maladies résultant d’habitudes hygiénodiététiques délétères, mais comme une pathologie à part entière.
Une vision encore discutée dans un récent article du « Lancet », et mise à l’honneur avec l’arrivée de nouveaux médicaments. La mise à disposition d’options pharmacologiques « montre aux prescripteurs que de réels mécanismes physiopathologiques sont en cause », estime le Dr Clément. Et les intenses discussions sur le mode d’action de ces produits suggèrent la complexité de cette physiopathologie. Par exemple, les agonistes des récepteurs aux incrétines semblent agir sur le système nerveux central, mais aussi sur les tissus graisseux, le muscle, le pancréas. « Il ne s’agit pas que de « coupe-faim » comme l’était le Mediator », explicite le Dr Clément.
Résultat, loin de régler à coups d’injections miracles le problème de l’excès de poids, ces principes actifs continuent de mettre en lumière l’importance de la prise en charge globale. « Il semble qu’à l’arrêt des médicaments, le poids remonte », observe le Pr Lecerf. De plus, pendant le traitement, la prise en compte des habitudes alimentaires, de l’activité physique, de l’environnement, potentialise l’action des médicaments, d’où leur indication en complément de mesures hygiénodiététiques. De surcroît, ces traitements agissent sur les perceptions cognitives de la faim, réinterrogeant les chercheurs tel le Dr Clément. « Qu’est-ce, au fond, que le comportement alimentaire ? » et comment « mieux travailler à aider les personnes à avoir une perception différente de leur alimentation ? »
La pharmacie, porte d’entrée dans la discussion
Dans ce contexte, les pharmaciens ont plus que jamais un rôle à jouer dans la lutte contre le surpoids et l’obésité. Au-delà de son seul rôle de délivrance de médicaments et de barrière à d’éventuels détournements, la profession peut contribuer « au repérage des personnes en surpoids, des patients diabétiques ou avec des facteurs de risque cardiovasculaires, et proposer des conseils diététiques, une intervention motivationnelle brève ou une orientation vers des diététiciens », énumère Félicia Ferrera-Bibas, pharmacienne titulaire à Allauch (PACA) et vice-présidente officine de la Société française de pharmacie clinique (SFPC).
« Si cela peut se faire à l’occasion du bilan de prévention, rappelle-t-elle, une demande de produits amincissants peut aussi constituer une porte d’entrée pertinente dans la discussion. » Et de poursuivre, « ces produits feront toujours rêver certains patients en attente de solutions rapides, à qui il faut expliquer que toute perte de poids durable reste progressive, et impossible sans vrai changement des habitudes alimentaires », détaille la pharmacienne.
Faut-il pour autant continuer de délivrer des cosmétiques ou compléments alimentaires minceur ? Cela relève du choix de chacun. Quoi qu’il en soit, selon le Dr Clément, « il faut une approche scientifique ». Le Pr Lecerf ne met pas moins en garde « ces produits peuvent renforcer un sentiment d’échec, le cas échéant ».
* Auteur de « 40 idées fausses sur les régimes » Éditions QUAE
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