Un constat et un paradoxe. 56 % des titulaires d’officine sont des femmes. 78,6 % des adjoints sont des adjointes*. Pourtant, bien peu de femmes -hormis la présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (CNOP) et quelques présidentes de groupements- accèdent à une pole position dans les représentations professionnelles. Tout au moins au niveau national. Car sur les territoires, il n’est pas rare que les femmes trustent les commissions paritaires locales, comme le remarque Catherine Hourtiguet, titulaire en Gironde et élue au bureau de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO).
Cependant, les syndicats et de nombreux groupements ayant opté pour la parité, l’accession des consœurs aux postes nationaux ne serait-elle plus qu’une question de temps ?
Il n’en reste pas moins une certaine réticence à briguer de tels fauteuils. Les femmes manqueraient-elles d’assurance ? « Leur première réaction est plutôt de s’interroger : suis-je capable ? Nous avons à cœur de nous montrer dignes de la confiance qu’on nous accorde », tempère Corinne Imbert, titulaire en Charente-Maritime et sénatrice. Comme le remarque Lysa Da Silva, première femme à prendre, en 2023, la tête de l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (ANEPF), « certaines, même jeunes, conservent des craintes. » La faute, selon Chloé Sabatier, membre du bureau de l’ANEPF, à des clichés qui résistent au temps. « Notre grand entretien 3.0 révèle qu’il perdure au sein des facs un sexisme relevant de certaines générations. » Elle se félicite néanmoins que cette alerte ait été entendue par les doyens. À la faculté de Toulouse, par exemple, une charte doit désormais être signée par tous les maîtres de stage, sensibilisés à cette problématique des discriminations liées aux genres.
Les parcours de ces élues de l’ANEPF tout comme celui de leurs aînées démontrent que ces craintes peuvent et doivent être dépassées. Si tant est qu’elles existent. Car Lucie Dubois-Bourdy, titulaire dans la Nièvre et élue au bureau de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), est formelle : « je n’ai jamais eu l’impression que des choses m’étaient interdites parce que j’étais une femme ». « Tout est possible dès lors qu’on est intéressée. » Et qu’on est mue par de profondes convictions. C’est le cas d’Anne Valette, titulaire à Saint-Alban, au nord de Toulouse et présidente du conseil d’administration d’Astéra. « Je me suis engagée au sein de la coopérative car je crois à la pertinence de ce modèle économique, un modèle vertueux au service d’un collectif », expose-t-elle, ajoutant qu’ « être une femme n’a jamais été un handicap pour moi. » Sans doute le fait d’évoluer dans un milieu de sociétaires, majoritairement composé de titulaires femmes a-t-il joué en sa faveur.
Tranches de vie
De fait, étudiantes comme officinales reconnaissent que la pharmacie, plus particulièrement le monde de l’officine, est bien plus égalitaire que d’autres professions de santé, où subsistent des schémas patriarcaux très prononcés. Du reste, la profession tout comme la société évolue, remarque très justement Carine Wolf-Thal, présidente de l’Ordre des pharmaciens (lire page 5). Cependant, l’inévitable concept de charge mentale ne manque pas de revenir à la surface lorsqu’il est question d’endosser plusieurs fonctions. Ce fardeau par principe, bien qu’il soit relayé essentiellement par les études sur la condition féminine, n’est pourtant pas propre aux femmes. Pour éviter cette accumulation résultat de divers engagements professionnels, syndicaux, associatifs, ordinaux, Laetitia Hible recommande de « cloisonner ». Car, reconnaît-elle, tout est formidable : la vie de famille, notre métier, les activités au service de la profession…. « Il ne faut pas se laisser grignoter sinon on culpabilise tout le temps », conseille celle qui a été successivement présidente du groupement Giphar puis désormais présidente de l’association Pharma Système Qualité (PHSQ) en parallèle de sa fonction de titulaire d’officine en Ille-et-Vilaine. Sans aucun doute, la démarche qualité, qui suppose d’évaluer le temps imparti à chaque tâche, l’a aidée dans cette répartition des différentes responsabilités.
Laetitia Hible concède cependant qu’un appui « logistique » est indispensable pour rester sereine. Elles sont plusieurs de ces femmes d’engagement à avoir pu compter sur leur environnement familial – et leurs équipes officinales- pour mener de front leurs différentes activités. Corinne Imbert préfère, quant à elle, parler de tranches de vie, pour illustrer son exercice officinal et sa consécration politique.
Leadership
Pour affronter d’éventuels vents contraires, ces pharmaciennes engagées recommandent à leurs consœurs de suivre leur propre voie. « Il faut oser prendre sa place. Chacune doit pouvoir s’exprimer et prendre le leadership qu’elle souhaite en portant ses valeurs au même titre que ses confrères, non pas pour les remplacer mais à leurs côtés », croit Sophie Tallaron, titulaire en Ardèche et présidente de Pharm’Upp. Laetitia Hible puise cette énergie « dans des convictions qui aident à définir ses objectifs, à maintenir le cap, à avoir une vision claire de ce qu’on veut faire de son métier ». Tandis que leur benjamine, Lysa Da Silva, s’enthousiasme : « Il faut s’assumer, si on a envie d’y aller on doit le faire. »
À travers ces parcours, revient comme un mantra, l’affirmation que la prise de responsabilités ne résulte pas, pour ces officinales, d’une volonté de servir un ego coûte que coûte. Mais bien, de mettre une ambition au service de la profession, voire de la valorisation du rôle du pharmacien dans le système de santé. Et ces engagements le leur rendent bien. Car les retours sur ces investissements -en temps et en énergie- ne se font pas attendre. « Ces fonctions me font prendre de la hauteur, me sortent du quotidien, m’apportent de la fraîcheur, de la culture mais aussi de la pertinence à la fois dans mon exercice de cheffe d’entreprise et de professionnelle de santé », apprécie Anne Valette. « J’ai l’impression de pouvoir influer sur le cours des choses », se félicite, de son côté, Lucie Bourdy-Dubois. Même constat pour Catherine Hourtiguet pour qui l’engagement syndical est source d’un enrichissement permettant de progresser plus rapidement. Son énergie ne s’arrête d’ailleurs pas aux portes du syndicat, celle qui est aussi trésorière d’une CPTS a été adjointe au maire de sa commune pendant 13 ans.
Deux pieds sur le terrain
Comme une continuité logique, chez ces pharmaciennes, l’engagement politique va souvent de pair. Même s’il s’ancre dans le territoire. Ainsi, Corinne Imbert est aussi conseillère départementale. En tant que telle, elle a été responsable en Charente du Plan Santé. « Ce sont des sujets qui touchent nos concitoyens dans leur quotidien, déclare-t-elle, poursuivant, c’est une richesse de pouvoir exercer son métier et d’avoir les deux pieds sur le terrain. J’ai ainsi un regard sur la réalité sans être déconnectée des préoccupations en matière d’accès aux soins ce qui relève également de l’aménagement des territoires. » Son mandat de sénatrice lui donne également la possibilité d’agir sur des thématiques de santé : « avec beaucoup d’humilité, j’ai œuvré en tant que parlementaire pour obtenir quelques avancées dans la loi. Parmi les plus récentes, j’ai pu apporter une modification au Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 voté le 17 février en ce qui concerne la prise en charge des femmes victimes de soumission chimique. J’ai pu ainsi retourner la procédure afin que la prise en charge du test et de l’analyse soit préalable au dépôt de plainte. » Selon elle, la profession gagnerait à compter plus de parlementaires dans ses rangs. « Il faut que les pharmaciens s’engagent. Le Sénat est une belle assemblée, elle a du poids dans la vie politique française, dans notre culture des lois. » Elle voit un parallèle entre la pharmacie et le Sénat, le respect que l’on cultive autant entre nous élus, qu’entre pharmaciens et patients, entre pharmaciens entre eux.
Ouvrir la voie
Quels que soient le lieu et l’objet de leur engagement, ces pharmaciennes, ou en passe de le devenir, peuvent contribuer à des avancées décisives. Lysa Da Silva en est convaincue. « En tant que femmes et professionnelles de santé, elles peuvent faire bouger la condition féminine et la prise en charge au niveau global. Dans le domaine de la santé, elles peuvent ouvrir la parole et permettre de visibiliser la pathologie afin de la faire reconnaître au niveau institutionnel. » Plusieurs exemples attestent de l’implication de pharmaciennes, présidente d’URPS ou « simples » titulaires passionnées par une cause (lire pages 14 et 15).
Ces titulaires engagées se sentent redevables face à leurs aînées, « toutes celles qui nous ont précédé et qui nous disent que cela est possible », comme l’exprime Sophie Tallaron. De même, estime-t-elle qu’il est du devoir de sa génération « d’ouvrir la voie aux plus jeunes pharmaciennes, de les rassurer et de les encourager à prendre des responsabilités ». Le message sera-t-il reçu ? Il est en tout cas partagé par les adhérentes de l’ANEPF. « Pour que les mentalités bougent, il faut que l’on cesse de définir un professionnel de santé en fonction de son genre. Et que nous, en tant que femmes, nous n’attendions pas la permission pour nous engager. C’est juste une question de volonté, il faut ouvrir la porte », déclare Lysa Da Silva. Et la future Docteure en pharmacie formule un vœu pour ses consœurs : « je voudrais que, plus que jamais, une pharmacienne souhaitant s’installer n’ait à essuyer des remarques comme celle-ci : tu veux racheter une officine mais tu as deux enfants, comment peux-tu y songer ? »
*Les pharmaciens - Panorama au 1er janvier 2024 25 juin 2024. CNOP.
Une idée de l’assurance-maladie
Médicaments, pansements : quelle est cette expérimentation contre le gaspillage ?
Négociations salariales
Révision de la grille des salaires : ce qui va changer
Santé et bien-être
GipharLab, un incubateur pour accompagner de jeunes marques
Expérimentation
Vaccination du voyageur chez Wellpharma