Grandes surfaces, parfumeries, magasins bio, sites internet… Les points de vente de cosmétiques apparaissent divers et variés – et particulièrement visibles du fait de leur emplacement stratégique, et de leurs vitrines et publicités tape à l’œil. Au point qu’on en oublierait presque l’officine : la cosmétique reste-t-elle une affaire de pharmaciens ?
Au premier abord, les chiffres semblent décevants, la part des ventes de cosmétiques réalisées dans les pharmacies dépassant à peine 17 % – contre 40 % dans les grandes surfaces, selon la Fédération des entreprises de la beauté (Febea). Erwan Poivet, son conseiller scientifique, relativise toutefois : « Sur les dernières années, la pharmacie est le seul circuit qui a vu ses ventes augmenter en valeur et en volume. » À ses yeux, les pharmaciens résistent en réalité plutôt bien à une concurrence pourtant rude.
L’atout de la profession : son image. « La présence d’un pharmacien renforce le côté « produit de soin », représente un gage de qualité, rassure les consommateurs », assure Erwan Poivet. Si bien que certaines marques continuent d’opter pour une distribution exclusive en officine.
Cependant, la pléthore de nouveaux produits, l’arrivée de nouveaux fabricants sur ce marché et l’entrée en scène de nombreux influenceurs fragilisent l’aura de fiabilité des pharmaciens. Quand ce ne sont pas certaines applications en vogue, proposant de noter les cosmétiques, qui s’avèrent défavorables aux produits vendus en officine. D’où l’importance pour les pharmaciens de cultiver leur image d’exigence et, pour ce faire, de défendre une utilisation des cosmétiques rationnelle et personnalisée.
Cette démarche passe d’abord par la lutte contre le mésusage de cosmétiques. « On voit beaucoup de dermites d’irritations liées à une surutilisation de produits, qui plus est, décapants, par exemple dans le cadre de modes comme celle du layering* », rapporte la Dre Martine Baspeyras, dermatologue présidente du réseau Vigilance Esthétique de la Société française de dermatologie, qui remarque une éducation insuffisante de la population. « Même quand un produit les brûle, les patients continuent de l’appliquer, et d’accumuler les crèmes. »
Soins de support
« Il ne faut pas attendre que les patients développent une xérose et un prurit pour conseiller rapidement une crème hydratante
Céline Couteau, pharmacienne enseignante à la faculté de Pharmacie de Nantes
Indéniablement, le rôle principal du pharmacien reste son conseil dans le soin. « Le cœur du métier est le médicament, mais la vente de cosmétiques permet vraiment d’avoir une efficacité complémentaire en soutien du traitement d’un certain nombre de pathologies », estime Céline Couteau, pharmacienne responsable d’un enseignement de dermocosmétique à la faculté de Pharmacie de Nantes.
La profession a naturellement un rôle particulier à jouer auprès des personnes suivies en dermatologie. « Dans toutes les dermatoses, il faut inciter à nettoyer la peau avec des produits doux – surtout pas avec du savon, pourtant conseillé sur certains blogs », rappelle Céline Couteau. Des crèmes hydratantes peuvent aussi freiner ou limiter l’évolution de certains symptômes, par exemple dans l’eczéma. « Le crémage permet d’allonger les périodes de rémission entre deux crises et d’en diminuer la fréquence », avance l’enseignante. Le conseil du pharmacien est également attendu dans un maquillage adapté en cas d’acné ou de rosacée.
De fait, le spectre des patients qui peuvent bénéficier de conseils cosmétiques se révèle bien plus large. Il n’est pas rare que des personnes souffrant de pathologies générales soient atteintes de lésions cutanées. D’où l’intérêt pour les pharmaciens, insiste Céline Couteau, « de connaître les pathologies susceptibles de causer des sécheresses cutanées ». De même, les effets secondaires des traitements doivent être anticipés. C’est particulièrement le cas des médicaments photosensibilisants qui requièrent une protection solaire, ou des traitements tels que la dialyse, qui favorisent la sécheresse cutanée. « Il ne faut pas attendre que les patients développent une xérose et un prurit pour conseiller rapidement une crème hydratante », préconise Céline Couteau.
Les pouvoirs publics eux-mêmes ont pris conscience de ce rôle préventif du soin dermatologique, et par extension, du conseil officinal. Ainsi, dans des pathologies sévères, lourdement traitées, les produits cosmétiques sont de mieux en mieux reconnus comme des soins de support à part entière. En témoigne la loi du 5 février 2025 sur la prise en charge par l’assurance-maladie des soins de soutien dans le cancer du sein, et qui comprend certains cosmétiques comme les émollients ou des vernis à ongles. Un progrès dont se félicite Céline Couteau, qui souligne l’importance des pharmaciens, « au cœur de ce dispositif » et invite, si possible, à aller plus loin. « En cas de teint pâle, de perte des sourcils, de modifications de la plaque unguéale, des maquillages et vernis peuvent être conseillés quel que soit le cancer ou le traitement en cause. »
D’autant que les officinaux disposent d’un arsenal bien plus vaste que les quelques préparations magistrales et spécialités pharmaceutiques à base de glycérine et de paraffine. « On peut tout à fait recommander des produits parfumés, plus agréables à utiliser, qui véhiculent une notion de plaisir et concourent au bien-être des personnes », plaide Céline Couteau.
Un référencement exigeant
Cela étant dit, tous les types de produits ne sont pas adaptés à tous les patients. « En cas de cancer du sein, mieux vaut ne pas recommander de crème qui pourrait avoir un effet perturbateur endocrinien », illustre Céline Couteau. Autre exemple : certaines crèmes contenant de la réglisse, à la mode pour les enfants, peuvent avoir un effet cortisone mimétique en cas d’usage inadapté, si bien qu’une utilisation en continu est à déconseiller.
Plus globalement, certaines marques n’ont pas leur place à l’officine. Aux yeux de Céline Couteau, « il faut être exigeant, et ne pas se perdre en référençant trop de gammes ». D’autant qu’il est de plus en plus complexe de se repérer au sein de la nébuleuse en expansion des petites entreprises de cosmétiques peu expérimentées.
L’enjeu est donc de résister aux dispositifs publicitaires. À l’instar des allégations « sans » (ou « 0 % »), qui ont suscité des débats en Europe, cite Julie Joseph, responsable déontologie de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP). Le pari du pharmacien est, par conséquent, de pouvoir déceler le caractère potentiellement fallacieux de ces allégations, mais aussi, et surtout, de contrer le dénigrement de produits d’intérêt, comme les silicones – présents aussi dans des dispositifs médicaux en tant que « principe actif aidant la cicatrisation », explique Céline Couteau.
Dans le même esprit, la pertinence de certains accessoires tels que les dispositifs de diagnostic de peau interroge. « Si on veut bien observer la peau, il faut plutôt le faire à la loupe, sous une bonne lumière, sans maquillage, dans de bonnes circonstances de température et d’humidité, etc. », indique la Dre Baspeyras.
Employer des socioesthéticiennes
En tout état de cause, les pharmaciens continuent d’être identifiés par le public comme des interlocuteurs de choix en matière de cosmétiques. Pour cultiver cette image, et capitaliser sur cette confiance, il incombe aux officinaux de promouvoir le bon usage des cosmétiques, de conseiller des produits adaptés à la prise en charge globale de personnes parfois vulnérables, et de veiller au référencement de leur offre. Cette stratégie ne peut faire l’économie d’une formation adaptée. « Il faut pouvoir lire et interpréter les compositions », martèle Céline Couteau, qui juge insuffisantes les formations proposées par les laboratoires – de même que la formation initiale. « Vingt heures de cours ne permettent pas de devenir expert. » Dans ce contexte, une formation complémentaire via un DU, et la nécessité de « se tenir informé en toute indépendance grâce aux publications scientifiques » sont incontournables.
Quoi qu’il en soit, les pharmaciens ne sont pas seuls. Les socioesthéticiennes, spécialistes des conseils d’esthétique aux personnes fragilisées, peuvent les soutenir dans cette montée en compétences de l’officine, relève Juliette Marrades, pharmacienne à Saint Jean de Monts qui a réalisé sa thèse d’exercice sur le sujet. « Les socioesthéticiennes peuvent intervenir à l’officine pour apporter un accompagnement global à des patients qui ont besoin de prendre soin d’eux, de reprendre confiance en eux. » Sur le plan réglementaire, ces professionnelles ne peuvent avoir leur place en pharmacie qu’en tant que salariées pour proposer des conseils – mais elles ne pourront prodiguer aucun soin sur place.
*Méthode consistant à superposer plusieurs couches de cosmétiques
Préparation de cosmétiques en pharmacie : une alternative ?
Il y a encore quelques années, la pharmacie Vasseur de Veules-les-roses (Seine-Maritime) fabriquait encore des cosmétiques sans ordonnance - à l’instar d’une crème hydratante parfumée à la rose. Mais c’en est aujourd’hui fini de cette activité. Et l’officine normande est sans doute loin d’être un cas isolé. « À ma connaissance, la préparation de cosmétiques en pharmacie n’existe pas ou très peu », indique Céline Couteau, pharmacienne responsable d’un enseignement de dermocosmétique à la faculté de Pharmacie de Nantes.
En cause : des obstacles pratiques. À ce titre, la titulaire Pharmacie Vasseur évoque des tensions d’approvisionnement en matières premières. Mais surtout, la pharmacienne déplore des difficultés réglementaires. « Si un pharmacien veut, par lui-même, fabriquer ses propres cosmétiques il se trouve face à des obligations réglementaires (…) compliquées : il doit par exemple se déclarer comme étant un établissement fabricant de cosmétiques (…) auprès de la DGCCRF. » Et certaines exigences sont plus lourdes encore. Il incombe ainsi aux pharmaciens de contrôler les matières premières utilisées – afin de « vérifier que l'ingrédient commandé est bien l'ingrédient livré ». Or pour ce faire il faut « un véritable laboratoire de contrôle de matières premières composé de matériel onéreux », explique Céline Couteau.
À noter que certains produits d’hygiène ou de soin peuvent parfois être vendus dans la « gamme du pharmacien », avec sur leur étiquette le nom de l’officine vendeuse. Mais ces produits « ne sont pas fabriqués par le pharmacien dans son officine mais par un sous-traitant », observe Céline Couteau.
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