Le Quotidien du pharmacien. — Comment l’ANEPF prépare-t-elle les étudiants en pharmacie à s'adapter aux évolutions de leur futur métier ?
Lysa Da Silva.- Aujourd’hui, l’ANEPF s’adresse à plus de 30 000 étudiants en pharmacie, répartis entre 24 facultés et sur toutes les filières (biologie, officine, industrie, etc.). Pour les accompagner, nous nous focalisons sur la transmission de l’information, en particulier concernant leurs droits, que ce soit via des communiqués, les réseaux sociaux, ou les forums étudiants. Nous ciblons aussi les collégiens et les lycéens, à qui nous présentons les missions du pharmacien. En effet, la pharmacie souffre d’un défaut d’attractivité : si nous ne communiquons pas sur notre métier, nous n’attirerons personne, et ne serons pas en mesure de renouveler les effectifs. J’en sais quelque chose, car moi-même, je n’étais pas très attirée par ce secteur à l’origine ! Ce n’est qu’assez tard que j’ai pu prendre conscience de la richesse de notre profession.
Nos activités comprennent aussi la formation. Chaque année, nous organisons 22 événements de formation, en week-end – du vendredi soir au dimanche -, et proposons également des e-formations à domicile. Les sujets à aborder sont nombreux : comment mener des entretiens, bien écouter le patient, améliorer sa prise de parole en public, développer son esprit critique, sa capacité à vulgariser… Aujourd’hui, le pharmacien doit maîtriser énormément de sujets et se réinventer constamment. Les étudiants entendent souvent parler de la « pharmacie de demain », mais il faut aussi s’assurer qu’ils soient capables d’endosser les responsabilités de la pharmacie d’aujourd’hui.
Quelles sont les principales innovations qui bouleverseront le secteur pharmaceutique dans le futur ?
Les questions environnementales, dont la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) risquent de devenir très importantes à l’avenir, dans la mesure où les patients et les futurs pharmaciens eux-mêmes attendent du secteur de la santé une attitude plus écoresponsable. Une autre question cruciale est l’interprofessionnalité : les pharmaciens vont collaborer bien plus fréquemment qu’avant avec les médecins, biologistes ou spécialistes (oncologue, pneumologue, etc.), que ce soit dans le cadre d’une CPTS ou des nouvelles missions. C’est ce que désirent les étudiants en pharmacie.
Si nous ne communiquons pas sur notre métier, nous n’attirerons personne, et ne serons pas en mesure de renouveler les effectifs
Enfin, tout ce qui accompagne le numérique en santé représente un enjeu prioritaire pour nous. Le Ségur du numérique avance très vite, et l’Intelligence Artificielle (IA) a fait énormément de progrès ces dernières années. Il faut absolument que les étudiants soient au point sur tout ce qui concerne ce domaine. Depuis l’arrêté du 10 novembre 2022 relatif à « la formation socle au numérique en santé des étudiants en santé », les facultés ont l’obligation de dispenser des cours sur ce sujet. Mais cette obligation ne commencera à s’appliquer qu’à la rentrée prochaine. Il y a donc beaucoup d’années de retard à rattraper, ce qui est particulièrement compliqué car il est difficile de trouver des professeurs expérimentés et formés à la fois au numérique et à la pharmacie.
À quoi ressemble la nouvelle génération de pharmaciens ?
C’est une génération qui est curieuse. Beaucoup d’étudiants, une fois leurs études terminées, partent pour 6 mois ou 1 an, font du compagnonnage dans plusieurs pharmacies ou s’essayent à d’autres expériences. Une fois leurs études terminées ils veulent découvrir ce qu’est réellement la pharmacie. Le réflexe de s’installer immédiatement n’est plus la règle. C’est peut-être symptomatique du fait qu’il n’y a pas assez de tâches pratiques durant nos études.
Parler de la « pharmacie de demain », c’est bien, encore faut-il déjà être capable d’endosser les responsabilités de la pharmacie d’aujourd’hui.
C’est aussi une génération qui a envie de bien faire et qui est innovante. Nombre de ces pharmaciens de demain montent des start-up, étudient dans des écoles d’entrepreneurs, lancent des projets pour révolutionner la pharmacie et cherchent des solutions pour faciliter l’accès aux soins. L’édition 2024 des Trophées de la Pharmacie l’a prouvé, avec des lauréats considérablement plus jeunes que la moyenne d’âge de la profession, et une catégorie « étudiant ».
Quelle est sa perception des nouvelles technologies et de l’IA en particulier ?
Pour nous, l’IA doit être maîtrisée, et le seul moyen d’y arriver est de l’utiliser sans détour. Ce qui est arrivé à la vente en ligne de médicaments montre que s’opposer aux évolutions du métier ne débouche que sur l’absence de cadre et de réglementation. Refuser d’utiliser un outil qui sera prédominant dans les années à venir serait très contre-productif. L’IA va nous libérer du temps administratif, et nous apporter énormément, notamment pour le contrôle de l’ordonnance ou en observation de la santé globale du patient. S’en saisir, c’est consolider la place du pharmacien dans le système de santé.
Qu’espérez-vous en termes de rôle des pharmaciens en France ?
La pratique au Québec fait rêver ! En France, nous sommes encore trop axés sur le médicament, alors qu’au Québec, l’activité du pharmacien est axée vers le patient. Il peut prescrire des traitements (dont la contraception), corriger les ordonnances et pratique depuis longtemps les missions qui commencent tout juste à se mettre en place en France. Beaucoup de ces dernières n’y sont d’ailleurs pas encore pratiquées par les pharmaciens, justement car cet aspect d’accompagnement du patient inhérent à leur métier et leurs compétences n’est pas valorisé. Un autre axe de travail en France est la bonne entente entre professionnels de santé, en particulier entre médecins et pharmaciens. Sur ce plan-là, la France est encore trop corporatiste ! Mais nous avons bon espoir que ça s’améliorera avec le développement des CPTS et surtout le dialogue entre étudiants et professionnels.
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