Le Quotidien du pharmacien.- Quelles sont vos priorités pour ce nouveau mandat ?
Carine Wolf-Thal.- La feuille de route pour les trois ans à venir visera, dans la continuité du précédent mandat, à conforter la place des pharmaciens dans le système de santé. Il s’agira aussi de faire en sorte que l'Ordre continue d'accomplir ses missions régaliennes. Pour revenir aux pharmaciens, la feuille de route sera axée sur plusieurs points : adapter l'exercice professionnel aux mutations du système de santé, maintenir la proximité, développer l'accès à l'innovation numérique, prendre en compte la place de ces nouveaux éléments dans nos exercices. Mais aussi, continuer à garantir les fondamentaux : l'indépendance, la compétence au travers du DPC et de la formation, la sécurité des pharmaciens, qui sont aussi des sujets qui préoccupent nos confrères. L'autre sujet important sur lequel on a déjà travaillé depuis deux ou trois ans, c'est l'attractivité de nos métiers, ainsi que les réformes ou les évolutions des études de santé.
Et puis, il y a d'autres sujets sur lesquels on continuera de travailler, qui sont tout aussi importants : la transition écologique – comment les pharmaciens contribuent à préserver l'environnement – et les violences sexistes et sexuelles, à la fois dans nos milieux professionnels mais aussi par l'accueil des victimes de ces violences. C’est un sujet qui émerge beaucoup.
Le système des antennes se met en place tout doucement. À l’Ordre, nous souhaitons d'ailleurs accélérer sa mise en place et que le dispositif soit élargi à tout le territoire, voire que l'on sorte de l'expérimentation.
Parlons de la concentration du maillage. Comment l’analysez-vous ?
Dans cette maison, nous sommes très attentifs à préserver le maillage et la proximité des officines vers la population. Aujourd'hui, la pharmacie et les pharmaciens sont souvent le seul point d'accès au système de santé. Et cela partout, pas seulement dans les territoires ruraux. Donc il est essentiel, pour des questions de santé publique, de préserver ce maillage et cette proximité. La difficulté, c'est la fragilisation du modèle économique de l'officine, qui n'est pas récent mais qui s'accélère notamment avec la publication de l’arrêté du 4 août fixant le plafond des remises génériques. Que le maillage se restructure, c'est parfois une bonne chose parce que oui, il y a des pharmacies qui disparaissent, mais parfois, c'est pour un meilleur service aux patients. Je prends l'exemple d'un bourg dans lequel il pouvait y avoir deux ou trois officines qui se regroupent pour avoir un meilleur espace, une mutualisation des moyens et un meilleur service aux patients. Très bien ! On compte une pharmacie en moins, certes, mais la qualité du service rendu est au rendez-vous. En revanche, cela devient problématique lorsque la population perd des points d'accès aux médicaments, aux produits de santé et aux services que proposent les pharmaciens. Pour contrecarrer cela, plusieurs dispositifs existent. Le système des antennes se met en place tout doucement. À l’Ordre, nous souhaitons d'ailleurs accélérer sa mise en place et que le dispositif soit élargi à tout le territoire, voire que l'on sorte de l'expérimentation. Il y a aussi le dispositif des territoires fragiles qui peine et, là aussi, nous appelons à une révision. Donc oui, le maillage est une préoccupation de l’Ordre. C'est un sujet qui s'étudie au travers de l’économie, bien évidemment très importante, mais aussi d'un environnement et notamment de la présence de pharmaciens sur le territoire.
On entend régulièrement la colère des pharmaciens. Mais est-ce qu’on ne véhicule pas un message négatif qui va à l’encontre de l’attractivité ?
Oui, en effet, il y aura forcément un effet négatif sur l'attractivité. Mais il faut continuer à dire que c'est le plus beau métier du monde et qu'il faut continuer à s'y engager. Je pense aussi que ce sont des métiers que l'on fait par passion, par vocation, et que même s'il y a des inquiétudes, la pharmacie reste un beau métier. Dans les 30 dernières années, la pharmacie et les pharmaciens ont toujours été un peu bousculés mais ils ont toujours su trouver une voie de passage, soit parce qu'ils ont fait davantage de choses, soit parce qu'ils ont accepté aussi des évolutions, voire des révolutions. Je vais faire une digression sur mon expérience personnelle. J'ai quitté l'industrie pharmaceutique volontairement en 2006 pour m'installer en officine parce que je rêvais de faire ce métier depuis toute petite et tout le monde m'a dit : « Mais pourquoi ? L'officine, c'est mort. » Et moi, j'étais persuadée, comme je le suis toujours aujourd'hui, que l'officine a un grand avenir devant elle. C'est ça qu'il faut faire comprendre aux jeunes : malgré le contexte économique, malgré les dernières mesures, le métier de l'officine a un boulevard devant lui. On a entamé ce chemin avec la vaccination. Qui eût cru, il y a encore 10 ans, que les pharmaciens vaccineraient ? Qui eût cru, il y a encore cinq ans, que les pharmaciens prescriraient des antibiotiques ? Je peux vous citer comme ça des tas de belles choses qui peuvent arriver dans la profession, si, en effet, il y a un modèle économique qui vient avec et si, en effet, les pouvoirs publics nous font confiance, ainsi que les patients. C'est pour cela qu'il est primordial de ne pas perdre la confiance des patients, des pouvoirs publics. C’est à la profession de s’organiser et d’être force de proposition à la fois sur des modèles économiques qui vont garantir la pérennité du maillage, et force de proposition sur la place du pharmacien dans le système de santé, tout en étant utile à la fois pour les patients et pour faire faire des économies à l'assurance-maladie.
Malgré le contexte économique, malgré les dernières mesures, le métier de l'officine a un boulevard devant lui
Vous parliez d’indépendance. Où en sont les textes qui devraient donner plus de pouvoir à l'Ordre pour lutter contre la financiarisation ?
Des propositions de loi étaient dans le circuit. Maintenant, nous allons voir comment le calendrier législatif se transforme. Là, le temps est suspendu.
L'autre pilier menacé, c'est le monopole. Il y a Leclerc, Amazon, la vente en ligne… Comment luttez-vous ?
Toujours en gardant comme boussole l'intérêt des patients et de la santé publique. Notre travail, c’est de faire comprendre aux pouvoirs publics que mettre des médicaments dans une chaîne sécurisée de bout en bout par un pharmacien garantit une traçabilité, une sécurité, une compétence et évite l'introduction de faux médicaments. De plus, le pharmacien est en lien avec des médecins, infirmiers, il a accès au DMP… Sortir le médicament de cet écosystème, c'est faire prendre des risques à la population pour un gain que l'on n'a pas encore bien compris.
Le pouvoir d’achat peut-être ?
Oui, mais là encore, on démontre que c’est faux. Il n'y a pas de gain de pouvoir d'achat pour les patients à rendre les médicaments accessibles en grande surface. Pourquoi ? Parce qu'en France, jusqu'à aujourd'hui, on a la chance d'avoir un système social qui rembourse les médicaments. Le panier moyen en France pour les médicaments non remboursés est de 50 euros par an. Si la grande distribution dit : « Je ferai gagner 10 % du prix du médicament », on gagne quoi ? 5 euros par an et par Français ? Est-ce qu'on peut vraiment parler de gain de pouvoir d'achat ? De plus, quand on regarde ce qui se passe à l'étranger, notamment en Italie, le prix du médicament augmente quand il sort du circuit réglementé. Il faut donc mesurer le bénéfice/risque de sortir le médicament de son écosystème
Vous avez mis en place la Commission des nouveaux inscrits. Qu’est-ce qu’elle vous apporte ?
Énormément ! Je pense que l’on s’apporte beaucoup de choses mutuellement. Quand on écoute les nouveaux inscrits aux tableaux de l’Ordre sur leur parcours, leurs études, l’installation, l’entrée dans le métier… ils nous pointent les difficultés et nous aident à mieux communiquer. Dans ses travaux, la précédente commission a énormément contribué à faire connaître les métiers auprès des jeunes parce qu'ils sont souvent dans la même tranche d'âge, à quelques années près. C’est une courroie de transmission très importante, car ces nouveaux inscrits viennent de rentrer dans la vie active, ou dans une nouvelle section pour les pharmaciens en reconversion, ils ont beaucoup de choses à nous apprendre et apportent un regard neuf. Ils sont complémentaires des conseillers ordinaux.
Vous revenez du congrès de la FIP (International Pharmaceutical Federation). Quel bilan tirez-vous ?
C'est très intéressant de rencontrer des confrères de tous les pays et de voir ce qui se passe à l'étranger. Déjà, une bonne nouvelle : on s'aperçoit que les pharmaciens français sont passés en tête des services proposés et j’en suis assez fière. Quand on dit à nos confrères, même européens, que nous prescrivons des antibiotiques, ils ouvrent de grands yeux et nous demandent : « Comment avez-vous fait ? » C'est donc aussi l'occasion de faire rayonner la France et le modèle français, qu'on nous envie sur beaucoup de points.
Vous êtes sereine sur la situation actuelle et celle à venir ?
Oui. Certains diront peut-être que je suis exagérément optimiste, peut-être naïve, mais je continue de dire qu'on a le plus beau métier du monde, qu'on a des opportunités, que c'est à nous de nous organiser, d'être force de proposition et de veiller à ce que les pouvoirs publics nous donnent les moyens pour exercer ce métier.
Crise des remises génériques
La PDA gratuite pour les EHPAD, ce n’est plus tenable
Alerte
Dépistage dermatologique : l’Ordre appelle à encadrer l’usage de l’intelligence artificielle
Radioscopie de la marge officinale
Face à l’érosion des rémunérations, la rentabilité s’effrite
La pharmacie du Marché
Karine a une idée