Le déficit de l’assurance-maladie pourrait atteindre 41 milliards d’euros en 2030 si rien n’est fait, estime la Caisse nationale de l’assurance-maladie (CNAM). En 2025, le déficit est déjà évalué à 16 milliards d’euros et pourrait sérieusement déraper de 1,3 milliard d’euros supplémentaires à cause, notamment, des « dépenses dynamiques » sur le médicament en ville, a signalé le comité d’alerte de l’Objectif national de dépenses d’assurance-maladie (ONDAM) le 19 juin. Hasard du calendrier, la CNAM a dévoilé le 24 juin son rapport « Charges et produits » pour 2026 avec 60 propositions pour redresser les comptes, qui pourraient être reprises lors du vote du budget de la Sécurité sociale à l’automne.
À travers trois axes (la prévention, l’organisation du parcours de soins et le « juste soin au juste prix »), la caisse vise les 3,9 milliards d’euros d’économie pour 2026, première étape d’un plan sur 5 ans et 22,5 milliards d’euros d’économie à horizon 2030.
1,2 milliard d’euros sur le dos du médicament
C’est l’éternel variable d’ajustement. Mais depuis 2020, il y a une « explosion », selon la CNAM, des dépenses de médicaments avec un taux de croissance moyen de 4,2 % chaque année, contre 0,6 % entre 2010 et 2019. Avec un coût moyen des innovations qui progresse « sans cesse », y compris pour les médicaments qui n’apporte pas d’amélioration du service médical rendu, l’organisme payeur propose alors de baisser les prix des médicaments en ASMR IV et V, de « revoir la politique de tarifs excessifs sur les médicaments anticancéreux », et de « réinterroger le remboursement de certains médicaments anticancéreux ne présentant aucun résultat probant dans le cadre de leurs essais cliniques ». La CNAM veut aussi faire de la « désescalade thérapeutique » une priorité en faisant financer par l’industrie des essais pour réduire l'utilisation de traitements coûteux lorsqu'ils ne sont pas strictement nécessaires, tout en garantissant un niveau d'efficacité optimal, et en diminuant les effets indésirables.
Économies réalisées sur l’ensemble des mesures sur le médicament : 1,2 milliard d’euros pour 2026 et 6 milliards d’euros à l’horizon 2030. Pour autant, à la question « l’assurance-maladie veut-elle baisser les taux de remboursement des médicaments ? », Thomas Fatôme, directeur général de la CNAM, répond fermement : « Non ! »
Tiers payant contre biosimilaire
Beaucoup d’espoir repose aussi sur les médicaments biologiques, qualifiés par la CNAM de « levier d'efficience considérable », et sur la substitution par le pharmacien. La CNAM s’attend à des économies immédiates de 40 millions d’euros rien que pour les groupes ranibizumab, tocilizumab et follitropine alpha, et de 130 millions d’euros en 2026 avec l’arrivée dans les prochains mois des biosimilaires d’Eylea et de Xolair. La caisse recommande donc d’appliquer aux biosimilaires l’ensemble des dispositifs mis en place pour les génériques, dont la notion de « tiers payant contre biosimilaire », et ce alors que les négociations sur les remises sont à peine engagées avec les syndicats de pharmaciens.
Dépistage organisé de l’HTA à l’officine
Pour l’assurance-maladie, la prévention est « le défi de la décennie ». En plus de diverses mesures (installer une gouvernance de la prévention en santé, instaurer une demi-journée de prévention via l’entreprise, prévention personnalisée dans Mon Espace Santé), l’assurance-maladie s’est clairement positionnée pour défendre le dépistage organisé de l’hypertension artérielle (HTA) à l’officine, qui constitue selon elle « un facteur de risque essentiel et insuffisamment contrôlé du champ des maladies cardiovasculaires et associées ». Selon la CNAM, 49 % des personnes souffrant d’HTA l’ignorent et seulement 25 % sont traitées.
« Si cette mesure est retenue par l’État, nous négocierons dans le cadre de la convention avec les représentants », précise Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée de l’assurance-maladie. Il faudra aussi fixer les modalités de cette future mission. Une campagne de communication d’envergure y sera associée dès le printemps 2026, inspirée de la campagne « Know your numbers ! » au Royaume-Uni (« Connaissez vos chiffres » pour la pression artérielle, la glycémie, la cholestérolémie, le poids).
Vaccination grippe obligatoire ?
Avec une couverture de la vaccination grippe toujours insuffisante chez les patients cibles (54 % chez les 65 ans et plus en 2023-2024) ou chez les professionnels de santé (les médecins avaient la couverture la plus haute en 2023-2024 avec 33 %), l’assurance-maladie remet la question de l’obligation vaccinale sur la table. Elle propose de « rendre la vaccination grippe obligatoire en EHPAD ». Faisant moins l’unanimité au sein des membres du Conseil de l’assurance-maladie, cette obligation concernerait dans un premier temps les résidents. « La question a été posée de l’élargir également aux soignants des EHPAD ou à tous les soignants quel que soit leur lieu d’exercice », complète Marguerite Cazeneuve. Mais rien n’est tranché.
Le réflexe carte Vitale
En 2026, l’organisme payeur persiste et signe : il veut généraliser le dispositif « tiers payant contre carte Vitale », instauré de manière rocambolesque et à la surprise générale il y a quelques semaines. « C’est normalement la règle, défend Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée de l’assurance-maladie. On ne peut plus avoir les niveaux de flux dégradés que l’on a aujourd’hui, ce n’est plus possible. La carte Vitale n’est plus un réflexe est c’est un problème. »
La CNAM est soutenue par son ministre de tutelle : « 20 % des paiements en pharmacie sont effectués sans carte Vitale, rapporte Catherine Vautrin, ministre du Travail et de la Santé devant la commission des affaires sociales du Sénat, le 25 juin. Il y a un principe que l’on doit rappeler à chacun : pour lutter contre la fraude, nous avons besoin de cet élément-là. »
Déjà mal accueillie par les officinaux, la mesure a été taclée par les sénateurs Corinne Imbert (Charente-Maritime) et Bernard Jomier (Paris). « Vous n’obtiendrez rien, j’en fais le pari avec vous », a répondu ce dernier à la ministre.
Sus aux fraudes
La CNAM est toujours mobilisée dans la lutte contre les fraudes et table sur 400 millions d’euros de récupération en 2026. Pour cela, elle veut développer un système d’alerte pour signaler la fraude par les assurés et par les professionnels. Attention, l’assurance-maladie compte s’inspirer du dispositif Asafo-Pharma pour les autres professionnels…
Pour se donner plus de souplesse, elle veut aussi allonger le délai de paiement vers les professionnels de santé aujourd’hui limité à 7 jours, « y compris lors des procédures ordinales ou quand on voit dans les facturations des actes fraudogènes qui se multiplient », ajoute Marguerite Cazeneuve. La caisse compte par ailleurs élargir son champ d’action et s’emparer de la lutte contre le nomadisme médical et la surconsommation de certains assurés.
L’ALD dans le viseur
Les affections longue durée (ALD) coûtent cher, elles aussi. Elles représentent aujourd’hui 20 % de la population, « c’est deux-tiers des dépenses de l’assurance-maladie, note Thomas Fatôme. Si on suit le même rythme, on aura en 2035 plus d’un quart de la population (26 %) en ALD, dont les dépenses représenteraient les trois quarts des dépenses de l’assurance-maladie. On a un risque majeur que cette concentration de la dépense sur le grand risque mette sous pression le petit risque – ce que l’on voit ces dernières années – avec le risque que le ticket modérateur apparaisse comme la variable d’ajustement pour équilibrer le système. » L’assurance-maladie mise donc encore sur la prévention, et veut aussi dépoussiérer le dispositif de l’ALD. Elle prévoit d’investir dans un « accompagnement » des patients à l’entrée avec un « parcours de prévention et d’information renforcée » pour retarder l’aggravation de la pathologie. À la « sortie », la caisse veut aussi réévaluer « régulièrement » la consommation de soins avec dans l’idée d’exonérer de l’ALD les personnes en rémission ou de guérison de certaines pathologies (cancers, affections cardiovasculaires après incapacité…). Il ne serait aussi plus question de prendre en charge en totalité les prestations et les produits « dont l’efficacité ne justifie pas ce remboursement intégral », comme les cures thermales, note la CNAM. La caisse a l’ambition de constituer, avec l’aide de la Haute Autorité de santé (HAS), une liste de soins spécifiques « et opposables à terme » pour chaque ALD.
Le rapport sera soumis au vote du Conseil de la CNAM le 3 juillet. Il fournira en tout cas des sujets au débat public et des idées au gouvernement.
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