Des fermetures d’officines qui se multiplient (environ 200 par an ces dernières années), notamment dans les régions rurales, un maillage pharmaceutique aujourd’hui menacé, au risque d’une dégradation de l’accès aux soins pour les patients… Dans de nombreux territoires décrits comme fragiles, les pharmacies souffrent, entre difficultés économiques et conséquences de la désertification médicale et du manque de prescripteurs. Validé à l’issue des dernières négociations conventionnelles menées entre les syndicats de pharmaciens et l’assurance-maladie, le versement d’aides aux officines des territoires fragiles, (à condition de respecter certaines conditions et dans la limite de 20 000 euros maximum par an et par établissement), devait permettre d’apporter une bouffée d’air frais à ces établissements dont l’avenir à long terme est plus qu’incertain. Avant que ces aides financières ne deviennent réalité, encore fallait-il réussir à définir la notion de territoire fragile, condition préalable indispensable pour identifier les pharmaciens bénéficiaires. Un travail confié aux agences régionales de santé (ARS), qui ont jusqu’au mois de février 2025 pour rendre leur copie. Selon un calcul effectué avant l’été par Philippe Besset, président de la FSPF, « 1 000 pharmacies pourraient être considérées comme étant implantées dans des territoires fragiles ». Malheureusement, parmi ces 1 000 pharmacies identifiées, toutes ne seront peut-être pas aidées financièrement, loin de là.
De 1 000 pharmacies potentiellement aidées à seulement une centaine ?
Les travaux devant permettre de définir ce zonage territorial sont déjà engagés depuis de longues semaines. Les syndicats de pharmaciens avaient déjà alerté sur un premier problème, la volonté de retenir le territoire vie-santé comme critère de base pour savoir si une pharmacie pouvait prétendre à ces aides en raison de son implantation géographique. « Le ministère de la Santé a en effet publié cet été dans le « Journal officiel » une méthode de travail pour les ARS qui fixe en effet le territoire vie-santé comme maille territoriale. Pour nous, il aurait fallu partir des arrêtés de création des officines, qui date du début des années 2000, souligne Philippe Besset. Nous avions dénoncé dès le départ cette idée de s’appuyer sur les territoires vie-santé. Nous avons d’ailleurs bien vu que les ARS, qui n’ont eu d’autre choix que de s’appuyer sur la méthode de travail dictée par le ministère, étaient un peu gênées », témoigne le président de la FSPF.
Or, si ce critère ne change pas, le nombre de pharmacies qui percevront ces aides risque de s’avérer bien inférieur à ce que l’on pouvait attendre. « Si on accepte ce zonage, parmi les 1 000 pharmacies que nous pourrions potentiellement aider, on ne pourrait finalement en aider qu’une centaine », résume Philippe Besset. De nombreuses officines qui espéraient sans doute cette aide bienvenue de 20 000 euros seraient alors laissées sur le carreau. Une inquiétude que partage Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). « Avec les méthodes de zonage actuelles, seulement 9 à 10 pharmacies par région seraient éligibles, sauf en Auvergne-Rhône-Alpes, où leur nombre pourrait être plus élevé (environ 40). Dans ma région, la Bourgogne-Franche Comté, nous avions identifié 9 pharmacies pouvant être considérées comme appartenant à des territoires fragiles, je peux d’ores et déjà dire que 5 d’entre elles ne recevront rien », explique le président de l’USPO.
La FSPF veut sensibiliser les maires ruraux
S’il reste encore deux bons mois avant que les territoires fragiles ne soient officiellement définis par les ARS, l’avancée de ces travaux s’apparente de plus en plus à une véritable douche froide pour les syndicats. Philippe Besset est particulièrement remonté contre le ministère de la Santé, accusé de ne pas prendre la mesure de la gravité de la situation. « Est-ce que cela veut dire que le ministère veut fermer 900 pharmacies dans les territoires ruraux ? C’est la question que l’on se pose, fulmine-t-il. Nous allons évidemment nous opposer à cette façon de travailler et écrire à toutes les ARS pour les en informer. Nous allons saisir le ministère et potentiellement tous les maires des communes concernées pour leur dire que, du point de vue du ministère, leur pharmacie risque de fermer car elle ne sera pas qualifiée de fragile », prévient Philippe Besset. Après de multiples alertes, le président de la FSPF estime en effet qu’il est temps de porter ce sujet sur la place publique. « Nous allons maintenant passer à l’action et s’il faut faire une manifestation avec tous les maires de ces villages devant le ministère, alors nous la ferons », avertit-il.
L’USPO attend des nouvelles du Conseil d’État
De son côté l’USPO attend également des nouvelles du recours qu’il avait porté devant le Conseil d’État contre le décret mais aussi contre l’arrêté sur les territoires fragiles publiés au « Journal officiel » cet été. Une action entreprise que le syndicat avait justifiée ainsi début septembre. « Au lieu de se contenter de définir les territoires fragiles, le texte instaure un plafond, outrepassant par ce fait la loi elle-même. De plus, s’insurge Pierre-Olivier Variot, ces plafonds définis par on ne sait quels outils - la direction générale de l’offre de soins (DGOS) ayant été incapable de nous l’expliquer - entraînent une inégalité entre les régions. » Les taux mentionnés dans les textes et déterminant les seuils de populations « mal desservies en médicament » sont par conséquent « illégaux », affirmait alors l’USPO. Le syndicat allait même jusqu’à affirmer que ces plafonds constituent une violation du principe d’égalité sur le territoire pour les citoyens, mais aussi pour les pharmaciens. Autre grief porté par l’USPO, l’âge limite (65 ans) retenu dans le texte pour qu’un titulaire puisse bénéficier du dispositif. « Or la plupart des pharmaciens en exercice aujourd’hui partiront à 67 ans à la retraite. Qu’adviendra-t-il d’eux pendant deux ans dans ce cas ? », questionnait Pierre-Olivier Variot. « Un nombre de 2 500 habitants cumulés dans des communes contiguës est le critère retenu ainsi que la présence d’une commune de 2000 habitants au moins mais le texte ne dit pas si les autres communes ont déjà été prises en compte pour la création d’une pharmacie », pointait également Pierre-Olivier Variot, redoutant une déstabilisation du réseau officinal. À l’instar de Philippe Besset, lui aussi considérait que la base de référence pour déterminer ces territoires fragiles aurait dû être les cartes utilisées pour les installations et les transferts au début des années 2000…
À l’heure actuelle, l’USPO n’a toujours pas eu de réponse concernant ce recours. La clôture de l’instruction pour le ministère de la Santé est prévue en janvier. À ce jour, l’Avenue de Ségur n’a toujours pas apporté de réponse. « Cela peut vouloir dire deux choses, analyse Pierre-Olivier Variot. Soit, le ministère veut se débarrasser du problème, soit, au contraire, cela signifie qu’ils ont pris connaissance du danger. »
Les critères pour prétendre à l’aide
Le décret du 7 juillet 2024 relatif aux conditions de détermination des territoires au sein desquels l'accès au médicament pour la population n'est pas assuré de manière satisfaisante confie aux directeurs d’ARS la mission de définir les territoires considérés comme fragiles. Si une pharmacie est implantée dans l’un de ces territoires, d’autres conditions doivent ensuite être remplies pour prétendre à l’aide de 20 000 euros par an prévue par l’avenant conventionnel : son chiffre d'affaires annuel déclaré à l'ARS doit être inférieur à 1 million d’euros l'année civile précédant l'année de la demande, son pharmacien titulaire ne doit pas avoir été condamné pour fraude et elle doit être la seule pharmacie de la commune, le tout en tenant compte du bénéfice d'éventuelles autres aides issues de fonds publics.
P. M.
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