C'est écrit noir sur blanc dans le code de la santé publique (CSP). Les pharmaciens peuvent prescrire, sous conditions, les vaccins du calendrier vaccinal, qu'ils soient listés ou non. Au-delà d'une compétence supplémentaire reconnue, cette évolution traduit la nouvelle conception du parcours de soins, selon laquelle l'accès à une prise en charge des patients ou l'objectif de santé publique deviennent des priorités.
Près de deux décennies pour que les planètes s'alignent.
L'accès à la prescription des vaccins par le pharmacien clôt la fin d'un chapitre ouvert en 2017 avec les premières expérimentations de vaccination contre la grippe saisonnière en officine. Encore timide, ce droit de prescription introduit le pharmacien dans le cercle très fermé des professionnels de santé prescripteurs, longtemps résumé au seul médecin. Bien plus qu'un conseil, la prescription au sens de l'article R5132-3 du CSP formalise, sur une ordonnance, le choix d'un traitement après examen du patient. Le prescripteur, c'est celui qui décide de la pertinence ou non de recommander un traitement au patient tout en permettant à ce dernier le droit d'être remboursé. « C'est un acte fort et engageant, qui implique une responsabilité envers le patient et envers les organismes payeurs », observe Étienne Nouguez, sociologue et chargé de recherche au CNRS et à Sciences Po. Depuis plusieurs années, il scrute les changements dans le monde sanitaire par le prisme du médicament. Pour lui, la prescription par le pharmacien s'inscrit dans la continuité du droit de substitution, accordé en 1999 pour augmenter la pénétration des génériques : « Cette mesure conférant un droit de décision au pharmacien a permis de le reconnaître comme un professionnel de santé, et comme un partenaire majeur de l'assurance-maladie. »
Autre catalyseur de l'élargissement du droit de prescription, l'interprofessionnalité. La mise en commun des compétences est devenue le socle de la prise en charge médicale : « Pendant des années, les médecins ont prescrit des médicaments suggérés par l'infirmier ou le pharmacien. Le fait d'accorder à ces derniers le droit de prescrire ne fait qu'officialiser des pratiques officieuses. La différence, c'est que désormais, cette prescription prend racine dans un cadre de pratique collective et coordonnée. »
Des parades pour contrer les réticences.
Si pendant la pandémie de Covid-19 l'urgence sanitaire a fait tomber certaines réticences quant à une intervention élargie de l'officinal, la prescription de médicaments par les pharmaciens reste toujours difficile à digérer pour les médecins. Pour ménager ces susceptibilités, plutôt que de prescription, on a préféré parler de protocole de coopération entre un médecin délégant et un pharmacien délégué. Idem dans le cadre du sevrage tabagique : l'expérimentation de la prescription de substituts nicotiniques est à ce jour la voie privilégiée. « Plutôt que d'autoriser la prescription, on aurait pu s'attendre à ce que les pouvoirs publics choisissent de passer certains antibiotiques en statut OTC, pour simplifier leur accès », relève Étienne Nouguez. Le délistage de la fosfomycine a effectivement été évoqué au début des années 2000, dans la lignée des inhibiteurs de pompe à protons (IPP) et des antihistaminiques, mais cette voie semble aujourd'hui abandonnée ; d'autant plus que le conseil officinal ne permet pas d'accéder au remboursement et crée en cela une injustice sociale.
« Un délistage d'antibiotique serait un mauvais signal d'un point de vue de santé publique », ajoute Christophe Wilcke, pharmacien et membre du bureau national de la FSPF en charge de la pharmacie clinique et de l'exercice coordonné. En outre, le choix de protocoliser la prise en charge de certaines situations courantes comme la cystite rend plus robuste l'intervention du pharmacien. « Les protocoles sont élaborés selon une démarche scientifique et consensuelle, avec un arsenal thérapeutique élargi en comparaison au conseil officinal », explique Guillaume Racle, pharmacien et conseiller en économie et offre de santé à l'USPO. C'est dans cette logique qu'est née l'expérimentation OSYS (orientation dans le système de soins) portée par PHSQ (Pharma Système Qualité). Avec en toile de fond la désertification médicale et l'engorgement des hôpitaux, l'objectif d'OSYS est de démontrer la pertinence de l'officine comme lieu d'orientation et, si possible, de prise en charge de premier recours. Une prise en charge possible si le pharmacien dispose des moyens suffisants pour la mettre en œuvre, parmi lesquels les TROD et certains médicaments. « Concernant la cystite par exemple, il est apparu nécessaire de permettre aux pharmaciens expérimentateurs OSYS de délivrer de la fosfomycine quand la situation le requiert. C'est désormais possible depuis l'arrêté du 17 août 2023 », explique la présidente de PHSQ, Laetitia Henin-Hible.
La prescription à quel prix ?
Prescription des vaccins, protocoles de dispensation, renouvellement des ordonnances d'un traitement chronique, ou encore pharmacien correspondant… Les dispositifs donnant au pharmacien une marge plus ou moins grande de prescription se multiplient. Mais ce droit de prescrire a un prix. S'il contribue à affirmer le pharmacien comme soignant, il le confirme également comme partenaire de l'assurance-maladie, avec tout ce que ce nouveau contrat implique. « En confiant aux pharmaciens la prescription conditionnée à un TROD, l'assurance-maladie renforce sa capacité de maîtrise de la consommation de médicaments », prévient Étienne Nouguez en réaction à la proposition d'Élisabeth Borne de simplifier la prescription des médicaments de la cystite et de l'odynophagie par les pharmaciens.