Recherche sur les réservoirs du VIH

Controverse scientifique sur l'identification de biomarqueurs spécifiques

Par
Publié le 23/04/2018
Article réservé aux abonnés
La mise au point de traitement capable de guérir un patient infecté par le VIH passera nécessairement par l'identification de marqueurs permettant de détecter les lymphocytes T CD4 « réservoirs ». En 2017, des chercheurs français avaient identifié une piste intéressante avec la protéine membranaire CD32a. De nouveaux travaux menés par des Américains et des Espagnols, semblent invalider cette piste. Non, affirment les Français qui y voient plutôt un argument en faveur de l'existence de deux types de réservoirs dont un seul serait à l'origine du rebond de la virémie.
.

.
Crédit photo : PHANIE

En mars 2017, les chercheurs français du laboratoire de virologie moléculaire de l'institut de génétique humaine de Montpellier avaient soulevé l'espoir des scientifiques œuvrant dans le domaine du VIH.

Dans une lettre publiée dans « Nature », ils avaient expliqué avoir identifié un marqueur spécifique des lymphocytes CD4 réservoir. Pour y parvenir, ils avaient étudié, dans un modèle in vitro, 103 gènes, dont l'expression est caractéristique de l'infection latente, et parmi elle, 16 codant pour des protéines transmembranaires.

Retour au tableau noir

Leur travail avait montré que CD32a, le fragment Fc du récepteur aux immunoglobulines G, est exprimé sur les CD4 réservoirs et pas sur les autres CD4. En examinant des échantillons sanguins de patients, les chercheurs montpelliérains avaient observé que CD32a était présent sur la surface de 0,012 % de la population de CD4, et que ces lymphocytes hébergeaient jusqu'à 3 copies de l'ARN viral.

Dans une nouvelle étude publiée ce mercredi 18 avril dans « Science Translational Médecine », les chercheurs espagnols, de l'institut de recherche du Vall d'Hebron à Barcelone, et américains de l'université de Pennsylvanie, montrent que le marqueur CD32a est coexprimé avec d'autres protéines caractéristiques des cellules infectées par un virus actif : CD69, HLA-DR, CD25, CD38 et Ki67. De plus, les cellules exprimant CD32a ne contiennent pas d'ADN viral. Ils en concluent que la protéine CD32a n'est pas un biomarqueur des cellules infectées par un virus lattent.

Dans un communiqué de l'institut Wistar (rattaché à l'université de Pennsylvanie), le premier auteur de l'étude, le Dr Mohamed Abdel-Mohsen, estime que ce travail « prouve que cibler les cellules exprimant CD32a a peu de chance de toucher les cellules réservoirs ». Toutefois, « ce marqueur peut nous fournir un outil bien utile pour étudier la transcription des protéines du VIH. Nous devons maintenant retourner à notre tableau noir et continuer à chercher des biomarqueurs spécifiques des cellules latentes en vue de développer de nouvelles stratégies contre le VIH », indique-t-il.

Deux populations de lymphocytes

Ce constat n'est pas partagé par le Dr Monsef Benkirane, directeur de laboratoire de virologie moléculaire. « Il y a plusieurs écoles de pensée, rappelle-t-il. Une première théorie considère que le réservoir viral n'est composé que de lymphocytes T quiescents, qui contiennent de l'ADN viral qui ne s'exprime pas. La seconde estime que l'on retrouve aussi des lymphocytes T qui produisent des virus "à bas bruit" et que c'est de ces cellules-là que provient le rebond virémique en cas d'arrêt des traitements. »

Pour le Dr Benkirane, les nouveaux travaux publiés dans « Science Translational Medicine » montrent que le biomarqueur CD32a est spécifique de la population des cellules réservoirs exprimant du virus à bas bruit et est absent des lymphocytes T porteur des virus latents. « On n'a pas encore la preuve que le rebond de la virémie provient bien de cette population de lymphocytes, poursuit le Dr Benkirane. Mais si c'est le cas, le CD32a sera très intéressant pour déterminer si un patient est dans un état de guérison fonctionnel et peut arrêter son traitement. »

Afin de trancher la polémique, l'équipe du Dr Benkirane a conçu un projet qu'il va mener avec le soutien l'ANRS (France recherche Nord&Sud Sida-hiv Hépatites) : ils ont prélevé des lymphocytes T mémoires chez des patients qui ont interrompu leur traitement jusqu’à avoir un rebond virémique. « Nous comparerons les génomes des virus circulant après interruption du traitement, à celui des virus quiescents contenus dans les lymphocytes T ayant intégré l'ADN viral et à celui des virus actifs présent dans l'autre population de lymphocyte T détaille-t-il. Nous saurons alors de quelle population provient le rebond virémique ».

Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3430