Un des grands classiques est la question : vaut-il mieux prendre un médicament avant, pendant ou après un repas, ou tout au moins une prise alimentaire. La nature (et aussi le volume) des différents types d’aliments étant une question connexe également à considérer.
Grands principes
Le bol alimentaire entraîne ders changements physico-chimiques dans chaque segment du tube digestif qu’il parcourt par rapport à l’état de jeûne : variations dans les temps de transit, variations du pH des différents milieux, variations dans les sécrétions digestives. Tout cela peut modifier la pharmacocinétique des médicaments, avec ou sans conséquences significatives.
Principaux aliments impliqués
- Alimentation et pH gastrique :
L’arrivée d’aliments dans l’estomac élève le pH gastrique (et stimule la sécrétion de suc gastrique et d’enzymes), tout en neutralisant transitoirement le pH, modifiant ainsi l’état d’ionisation et/ou de solubilisation des principes actifs. Cela diminue l’absorption des acides faibles (acide acétylsalicylique, sulfamides, lithium) – qui ne se dissocient pas totalement dans l’eau - et favorise celle des bases faibles (quinidine).
Les pénicillines et l’érythromycine, sont particulièrement sensibles aux variations de pH et un repas peut leur faire perdre jusqu’à 50 % de leur biodisponibilité. Les boissons légèrement acides (type cola) améliorent la biodisponibilité de l’itraconazole et du kétoconazole chez les patients en hypochlorhydrie gastrique.
- Valeur calorique, richesse en lipides :
La présence d’aliments dans l’estomac ralentit la vidange gastrique. Le temps de cette dernière augmente avec la valeur calorique du repas, son volume, sa viscosité ainsi que sa richesse en lipides (les glucides et les protéines exercent moins d’effets de ce point de vue). Néanmoins, à teneur calorique identique, la vitesse de vidange gastrique des repas est similaire, indifféremment de leur composition en lipides, glucides et protéines.
En pratique, l’impact sur le délai d’action concerne surtout les médicaments impliqués dans un traitement aigu, ou dans le cas d’un traitement chronique au moment de son instauration, car par la suite, une fois l’état d’équilibre atteint, on peut considérer que l’augmentation du délai d’action du médicament ne devrait plus avoir de conséquences cliniques. Cela étant, un temps de résidence gastrique supplémentaire peut parfois être bénéfique pour certains médicaments peu hydrosolubles (comme la spironolactone par exemple), bénéficiant ainsi de davantage de temps pour se dissocier et se solubiliser.
À titre d’exemple : la biodisponibilité du montelukast-Singulair est multipliée par 2,5 dès lors qu’il est pris après le petit-déjeuner (stimulation de la motilité gastro-intestinale).
- Bol alimentaire et intestin :
L’arrivée d’une grande quantité d’aliments dans l’intestin grêle (siège majoritaire de l’absorption des médicaments) ralentit le péristaltisme intestinal, favorise la dissolution de certains principes actifs et stimule la sécrétion biliaire, augmentant ainsi la biodisponibilité de certains médicaments liposolubles (ciclosporine-Néoral, phénytoïne, carbamazépine-Tégrétol). L’albendazole-Zentel, un antihelminthique, voit ainsi sa biodisponibilité multipliée par 4 quand il est pris au cours d’un repas riche en graisses.
Influence de la composition des aliments
- Alimentation riche en sels minéraux :
Le calcium et le fer diminuent d’environ 50 % l’absorption et la biodisponibilité des tétracyclines de 1re génération ; mais, la doxycycline et la minocycline sont moins impactées par le calcium. La baisse peut être de 30 à 50 % pour ce qui est de la ciprofloxacine-Ciflox et de la norfloxacine. Cela du fait de la formation de chélates insolubles non absorbables. Le calcium impacte également très négativement l’absorption des biphosphonates.
- Aliments riches en calcium :
Fromages à pâte ferme (comté, gruyère…), céréales enrichies pour petit-déjeuner, sardines en conserve, lait, fromages à pâtes molles (camembert), certaines eaux (Courmayeur, Hépar, Contrex). Dans le même ordre d’idée, les tanins contenus dans le thé empêchent l’absorption du fer (y compris le fer médicament) ; ce qui peut être significatif chez les grands buveurs.
- Les aliments riches en potassium :
Abricot, artichaut, asperge, avocat, banane, haricot blanc et vert, lentilles, pomme de terre, thon, morue… peuvent faciliter l’accumulation de cet élément chez les patients ayant des traitements hyperkaliémiants : sels de potassium, diurétiques hyperkaliémiants, IEC, sartans, certains immunosuppresseurs (ciclosporine, tacrolimus, héparines, AINS, EPO).
- Les aliments riches en sodium :
Charcuterie, plats cuisinés, jus de légumes… augmentant la pression artérielle, les apports en sodium doivent donc être plafonnés à 6 g/j en cas de traitement antihypertenseur.
- Alimentation riche en protéines :
Ce type de nutriment augmente l’absorption de certains principes actifs (propranolol, métoprolol-Lopressor, labétalol-Trandate) en augmentant le flux sanguin splanchnique qui assure la vascularisation de l'appareil digestif et hépatique. À l’inverse, un repas riche en protéines réduit l’absorption d’autres produits, comme la lévodopa-Sinemet.
- Alimentation riche en fibres :
Les aliments riches en fibres, comme les légumes, retardent l’absorption de certaines molécules, comme la digoxine par exemple, dans les 6 heures suivant la prise et en diminuent d’environ 30 % la biodisponibilité par adsorption sur les fibres végétales.
- Pamplemousse, agrumes et autres jus de fruits :
Le pamplemousse (fruit et jus) et d’autres agrumes (oranges amères, bergamotes, citrons verts, mandarinier…) renferment des furanocoumarines qui sont de puissants inhibiteurs du CYP3A4 jouant un rôle essentiel dans l’inactivation de très nombreux médicaments. Cette inactivation (irréversible dans ce cas) entraîne une augmentation, pouvant être considérable, de la concentration plasmatique du médicament considéré avec les conséquences que l’on peut imaginer : surdosage, effets indésirables habituels voire toxicité. L’inhibition étant irréversible, on peut s’attendre non seulement à un effet prolongé dans le temps (un seul verre pris le matin peut impacter significativement la biodisponibilité d’un médicament pendant toute la journée), mais aussi à un effet cumulatif en cas de consommation habituelle, quotidienne.
En pratique : les médicaments impactés plus spécialement par ce type d’interaction sont ceux qui sont fortement métabolisés par le CYP3A4 et dont la biodisponibilité orale est faible (moins de 30 %) ou moyenne (30 à 70 %).
En voici quelques exemples : hypocholestérolémiants (atorvastatine-Tahor, simvastatine-Zocor), immunosuppresseurs (ciclosporine-Néoral…), médicaments cardiovasculaires (amiodarone-Cordarone, dronédarone-Multaq, ticagrélor-Brilique), un antirétroviral (maraviroc-Celsentri), des antidépresseurs (sertraline-Zoloft), des médicaments de la dysfonction érectile (vardénafil, avanafil-Spedra).
- Aliments et antivitamines K :
Ces aliments (tous les types de choux, brocolis, épinards, fenouil, avocats…) sont à consommer avec prudence lors d’un traitement par les antivitamines K. En effet, ces aliments risquent de diminuer l’efficacité de ces anticoagulants, avec le risque de survenue de thromboses.
De manière pragmatique, on peut conseiller aux patients sous AVK de ne pas modifier leurs habitudes alimentaires afin de maintenir un apport constant en vitamine K alimentaire (et donc un INR stable).
Par ailleurs, le jus de canneberge (cranberry ; utilisé en prévention d’infections urinaires) peut donner lieu à une faible interaction (diminution du métabolisme) avec la warfarine et peut-être d’autres anticoagulants de ce type. Cela ne doit pas empêcher d’en consommer, mais il est alors plus prudent de modérer les volumes absorbés et de surveiller l’INR.
- L’alcool :
L’alcool interfère avec la pharmacocinétique de nombreux médicaments ; dans des sens différents selon qu’il s’agit d’une alcoolisation aiguë ou chronique. L’alcool agit sur certaines enzymes hépatiques participant au métabolisme des médicaments. Parfois aussi avec la pharmacodynamie. À titre d’exemple : la toxicité hépatique du paracétamol est majorée en cas d’alcoolodépendance. Une concentration intragastrique en alcool supérieure à 20 % peut déclencher un spasme du pylore, ce qui ralentit la vidange gastrique et retarde l’absorption de certains médicaments.
À l’opposé, l’alcool peut favoriser l’absorption de médicaments liposolubles et potentialiser les effets sédatifs des anxiolytiques, hypnotiques, neuroleptiques, analgésiques centraux, produits renfermant de la codéine, antidépresseurs sédatifs et certains antiallergiques anti-H1. Un effet de type antabuse est susceptible de survenir avec le métronidazole, les sulfamides hypoglycémiants, les céphalosporines…
- La caféine :
Certains antibiotiques (ciprofloxacine, norfloxacine) peuvent réduire l’élimination de la caféine. La caféine est aussi un inducteur enzymatique (CYP1A2) pouvant interférer avec la théophylline (diminution de sa demi-vie), certaines fluoroquinolones (ciprofloxacine) et la clozapine-Léponex. Il faut donc conseiller aux grands consommateurs de caféine, amenés à suivre un traitement comportant un médicament substrat ou un inhibiteur du CYP1A2, de limiter leur apport en caféine.
Par ailleurs, la caféine interfère avec l’excrétion rénale du lithium (surveillance de la lithiémie).
- La réglisse :
Une consommation importante et régulière de produits à base de réglisse peut élever la tension artérielle. Il est donc conseiller de s’abstenir d’en consommer régulièrement en cas de traitement anti-hypertenseur. En outre, la réglisse expose au risque d’hypokaliémie et ainsi de troubles du rythme chez les patients traités par anti-arythmique ou un diurétique hypokaliémiant.
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