Confusion et délires

Une iatrogénie à connaître

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Publié le 22/02/2016
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De nombreux médicaments peuvent entraîner des troubles psychiques ou psychiatriques : ils méritent d’être connus car, souvent, ces troubles sont à tort, imputés à la pathologie traitée.
Les agonistes dopaminergiques peuvent être à l’origine de troubles iatrogènes d’allure psychotique

Les agonistes dopaminergiques peuvent être à l’origine de troubles iatrogènes d’allure psychotique
Crédit photo : Phanie

Tous les types de troubles psychiatriques sont observables en iatrogénie médicamenteuse. Leur disparition à l’arrêt du traitement prouve l’étiologie iatrogène - notamment lorsque la pathologie traitée peut également être à l’origine de signes psychiatriques -, mais là aussi il convient d’être prudent : certains sevrages trop rapides sont eux-mêmes à l’origine de troubles psychiques potentiels (ex : anticomitiaux, opioïdes).

De l’obnubilation à l’hallucination

La confusion mentale est un état pathologique modifiant la conscience. Généralement transitoire - ce qui ne signifie pas qu’elle ne puisse persister plusieurs jours à plusieurs semaines - elle est dominée par l’obnubilation, une désorientation temporelle et spatiale, de l’onirisme, des signes d’allure psychotique (délire, paranoïa, etc.), des hallucinations le plus souvent auditives ou/et visuelles. L’épisode de confusion est souvent précédé d’une phase prodromique avec anxiété, sentiment d’« étrangeté » de l’environnement, irritabilité, troubles de l’humeur (excitation, dépression), turbulence nocturne, troubles du sommeil, céphalées. Ces signes psychiatriques s’accompagnent de signes somatiques : anorexie, constipation, oligurie, fièvre, sueurs, déshydratation, troubles neurologiques (tremblements), hypertonie musculaire, hyperréflexivité, raideur méningée.

Si les présentations de la confusion mentale sont variables, parfois frustres et quasiment inaperçues, notamment chez le sujet âgé peu autonome, il existe des formes sévères évoquant une bouffée délirante hallucinatoire. Son étiologie toxique ne doit pas masquer une possible origine organique (tumeur frontale, épilepsie, etc.).

Glucocorticoïdes et immunomodulateurs

Affectant environ 5 % des patients sous corticothérapie, une symptomatologie d’allure psychotique peut survenir en début de traitement ou de façon parfois retardée, voire après son arrêt. Elle associe des signes de confusion mentale à une agitation psychomotrice accompagnée de signes dépressifs inconstants ; les présentations sévères réalisent un tableau de psychose aiguë. Cette iatrogénie serait plus fréquente lors de l’usage de fortes doses mais est décrite avec toutes les molécules et avec toutes les voies d’administration (y compris intra-articulaire, percutanée, locale, ou en inhalation).

Les interférons quant à eux sont connus pour induire des troubles de l’humeur à type de dépression.

Antimicrobiens

Qu’il s’agisse d’antibiotiques (lactamines, macrolides inhibant la transmission glutamatergique, fluoroquinolones antagonistes GABA, isoniazide augmentant la synthèse de sérotonine), d’antirétroviraux (zidovudine, névirapine, éfavirenz) ou d’antiparasitaires (imidazoles, chloroquine, méfloquine), des effets indésirables centraux à type de confusion et de symptômes d’allure psychotique ont été décrits.

Antihypertenseurs

Les antihypertenseurs sont connus pour induire une iatrogénie psychique, qu’ils aient une action centrale d’action centrale (clonidine, guanfacine, etc.) ou non (prazosine). Les bêtabloquants lipophiles peuvent provoquer des hallucinations visuelles ou auditives à prédominance nocturne : ces effets, rares, sont induits par de fortes posologies - mais la survenue de cauchemars est fréquemment signalée -.

Digitaliques

Les signes neuropsychiques (céphalées, troubles du sommeil, vision colorée avec auréole jaune ou verte autour des objets encore appelée dyschromatopsie) évoquent un surdosage tout comme des troubles de vigilance ou un délire hallucinatoire qui constituent volontiers les premiers signes d’intoxication.

Anticholinergiques

Les médicaments anticholinergiques (y compris par voie oculaire, SC ou transdermique) peuvent entraîner une « psychose atropinique » iatrogène, en fait une confusion mentale avec agitation, délire hallucinatoire, ataxie, surtout chez le sujet parkinsonien âgé si les doses sont élevées.

L’utilisation d’antiparkinsoniens correcteurs d’effets extrapyramidaux induits par des antipsychotiques peut induire des signes d’allure psychotique qui restent souvent méconnus car rapportés à l’affection psychiatrique traitée.

Les médicaments anti-Alzheimer induisent parfois une confusion mentale ou des signes d’allure psychotique, notamment des hallucinations. Il reste difficile de distinguer iatrogénie et pathologie.

Antiparkinsoniens

La prévalence des psychoses dopaminergiques est comprise entre 1 % et 20 % des patients parkinsoniens traités. Remarquables par la fréquence des hallucinations visuelles, elles s’observent généralement en fin d’évolution de la maladie ou s’il existe des troubles cognitifs importants et sont liées à une stimulation excessive des récepteurs dopaminergiques mésolimbiques.

Tous les agonistes dopaminergiques peuvent être à l’origine de troubles iatrogènes d’allure psychotique : bromocriptine ou lisuride donnent lieu à effets indésirables psychiatriques, même aux faibles doses requises pour le traitement de l’hyperprolactinémie ou de l’acromégalie.

Anti-épileptiques

Les signes décrits sous carbamazépine, vigabatrine, lamotrigine, tiagabine, topiramate ou zonisamide associent généralement des délires et des hallucinations, mais ils peuvent s’accompagner d’excitation et d’hyperactivité.

Antalgiques centraux

Les opioïdes induisent fréquemment des signes de confusion mentale chez le sujet âgé et leur dosage sera adapté : poids, fonction rénale et hépatique, albuminémie, déshydratation, associations médicamenteuses, troubles métaboliques (hyponatrémie susceptible d’induire elle-même des troubles psychiatriques). Il est recommandé d’initier le traitement avec une dose réduite de 50 à 65 % par rapport au sujet jeune et de titrer la posologie d’équilibre en tenant compte du degré d’insuffisance rénale et/ou hépatique.

Nicolas Tourneur

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3242