Troubles du comportement alimentaire

Des retentissements sur la santé de la mère et de l’enfant

Publié le 09/03/2015
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Anorexie mentale, boulimie et compulsions alimentaires peuvent entraîner des risques pour la femme enceinte et son enfant, à court et à long terme. Explications.

LA GROSSESSE est une porte d’entrée fréquente à l’anorexie mentale. Environ 25 % des cas d’anorexie qui débutent à l’âge adulte surviennent à l’occasion ou au décours d’une grossesse. Quand l’anorexie apparaît plus tôt – à l’adolescence – rares sont les malades qui arrivent à être enceintes (5 % des cas) : un IMC inférieur à 17 kg/m2 entraîne, en effet, la perte de la fécondité. Par ailleurs, chez les femmes tombant enceintes, le déni de grossesse est fréquent.

En cas de grossesse parvenant à terme, un double phénomène s’observe souvent. « D’un côté, une amélioration du trouble du comportement alimentaire (TCA) durant la grossesse : la culpabilité, fréquente chez ces personnes, les pousse à améliorer leur relation à la nourriture et leur poids, pour ne pas perturber la santé de l’enfant à venir, malgré leur peur de prendre du poids. D’un autre côté, après l’accouchement ou l’allaitement, une aggravation de l’anorexie est la règle. Les femmes reprennent leur pensée anorexique et leur besoin de perdre à nouveau du poids en restreignant leur alimentation », souligne le Pr Daniel Rigaud, médecin nutritionniste, hôpital du bocage à Dijon, président de l’association Autrement*. Très souvent, l’effondrement hormonal lié à l’accouchement entraîne, également, une dépression du post-partum particulièrement sévère.

De l’égotisme à la transmission génétique de l’anorexie.

Les femmes souffrant d’anorexie mentale manquent cruellement de confiance en elles. « Malheureusement, certaines, après avoir donné la vie, se rendent compte qu’elles ne désirent pas vraiment leur enfant, et qu’elles l’ont conçu – en grande partie – pour "coller" aux attentes de la société. L’anorexie mentale comporte, en effet, une certaine forme d’égotisme : il est donc difficile, pour elles, de s’occuper du nouveau-né », affirme le Pr Rigaud. Les comportements inappropriés et dysfonctionnels de la mère anorexique vis-à-vis du nouveau-né sont alors fréquents : bébé surnourri, attention obsessionnelle portée à son poids, incapacité à gérer ses pleurs... 

Les données épidémiologiques montrent, par ailleurs, que les femmes souffrant d’anorexie mentale ont un risque multiplié par quatre d’avoir un enfant atteint de TCA à l’adolescence. « Cet accroissement du risque est lié à la fois au comportement alimentaire de la mère, mais aussi à une susceptibilité génétique aux TCA puisque les mères qui ne sont plus anorexiques ont deux fois plus d’enfants souffrant de TCA que les femmes sans TCA », note le Pr Rigaud.

Heureusement, les grossesses de mères souffrant d’anorexie se passent souvent bien, sans dommage pour le bébé. Le risque principal étant, néanmoins, le retard de fermeture du tube neural (spina bifida) lié aux déficits alimentaires (en acide folique, notamment). Un petit poids de naissance (moins de 3 kg) sans conséquences médicales graves est parfois observé.

Les risques de la boulimie et de la compulsion alimentaire.

Durant la grossesse des femmes souffrant de boulimie - comme dans l’anorexie - les praticiens observent une « parenthèse enchantée » : la fréquence et l’intensité des crises diminuent. « Malgré les perturbations biologiques provoquées par les vomissements pluriquotidiens, la santé du futur bébé est le plus souvent normale. Mais la boulimie s’aggrave à nouveau après la grossesse », précise le Pr Rigaud. Associé à la grossesse, un autre TCA pose problème : la compulsion alimentaire (sans vomissement). « Contrairement à l’anorexie et à la boulimie, la compulsion alimentaire s’aggrave pendant la grossesse car les femmes qui en souffrent estiment, à tort, qu’elles doivent "manger pour deux". Certaines prennent jusqu’à 30 kg pendant leur grossesse. Elles peuvent alors tomber dans une spirale infernale qui les mène, pendant qu’elles sont enceintes, au surpoids et parfois au diabète gestationnel. Et, sur le long terme, à l’obésité et au diabète, notamment en cas d’antécédent familial de diabète », conclut le Pr Rigaud.

Hélia Hakimi-Prévot

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3160