Ils se présentent généralement sous forme de bandelettes à plonger dans un verre ou sur lesquelles sont déposées des gouttes de boisson, et changent de couleur quand ils détectent une substance psychoactive : les tests anti-soumission chimique fleurissent depuis le procès de Mazan et la médiatisation du mécanisme de la soumission chimique. Y compris en officine. Pour citer quelques exemples, Clear Drink – qui n’a pas répondu à nos demandes d’interview – propose pour moins de 10 euros un kit de 3 tests détectant, « en moins de 90 secondes », dix « drogues : la kétamine, l’ecstasy (MDA et MDMA), le GHB, la morphine, la cocaïne, la métamphétamine (sic), le LSD, le 3-MMC et les médicaments (benzodiazépines)… », revendique le fabricant sur son site internet. De son côté NeutraPharma diffuse, aujourd’hui dans 300 à 400 pharmacies et notamment via le groupement PharmaVie, son test Check Your Drink (CYD) qui « permet de vérifier en seulement une minute si une boisson contient des substances telles que le GHB, la MDMA et plus de 600 autres drogues potentiellement dangereuses ». Et aussi la kétamine, la scopolamine… « Au-delà de la kétamine, le produit détecte toutes les amines », précise Michaël Maurin, consultant chez NeutraPharma Europe, preuves à l’appui : il présente les différents certificats d’efficacité et de conformité de son test, « effectués par des laboratoires indépendants et des universités ». Résultats pour la détection du GHB : sensibilité et spécificité sont évaluées à 95,12 %. La pochette de 5 tests est vendue 8,90 euros. Et d’autres tests devraient arriver en pharmacie, certains fabricants bien connus travaillant aussi sur le sujet.
Mais lors de son premier point presse du 29 janvier, l’Ordre des pharmaciens se montrait cependant plus que sceptique sur la place des tests de boisson anti-soumission chimique en officine.
Des interrogations
« À ce stade, je ne peux qu’émettre des réserves », lançait Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (CNOP). « L’Ordre n’a pas creusé la question mais ce qui interroge, c’est que, à ma connaissance, ces tests n’ont pas de marquage CE et à ma connaissance, ce sont des tests pour lesquels la sécurité n’a pas été vérifiée », poursuit la présidente sans citer de marque. Elle reconnaît pourtant qu’on « ne peut balayer d’un revers de la main l’idée de tester une boisson. Mais il y a des questions qui se posent autour de ces tests. »
En premier lieu, quel est leur statut ? Parce qu’ils n’entrent pas en contact avec des substances biologiques, ils ne sont pas considérés comme des dispositifs médicaux. Ce que confirme l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) qui ne peut faire de recommandations sur le sujet. « CYD est plutôt couvert par la législation européenne du General Product Safety Regulation (règlement sur la sécurité générale des produits, NDLR). C’est un produit certifié ISO, qui répond aussi à la norme cGMP (bonnes pratiques de fabrication, NDLR) », explique Michaël Maurin. Quant à l’absence de marquage CE, « CYD n’en a pas besoin car ce n’est pas un DM et qui dit marquage CE, dit cahier des charges. Il faut alors lister le nom et le nombre de toutes les substances détectées et c’est impossible, car on en détecte de nouvelles quasiment chaque mois. C’est aussi une très mauvaise idée de lister les drogues et de porter ce genre d’informations au grand public. On perd une partie de l’efficacité du produit », complète Stéphane Brohard, consultant chez Action Vitale, distributeur de CYD en France.
On ne peut balayer d’un revers de la main l’idée de tester une boisson. Mais il y a des questions qui se posent autour de ces tests
Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (CNOP)
La Société française de toxicologie analytique (SFTA) aussi, se pose des questions, notamment sur la fiabilité des tests de boisson et sur leurs limites. « Ces tests ne recherchent pas tout. Par exemple, il y a 22 benzodiazépines, plus les métabolites. Est-ce qu’ils les détectent ? », fait remarquer le Pr Jean-Claude Alvarez exerçant en pharmacologie-toxicologie au CHU Raymond-Poincaré AP-HP de Garches (Hauts-de-Seine) et expert judiciaire. Chez CYD, on ne prétend pas le contraire : « Les benzodiazépines sont particulières dans le sens où aujourd’hui, techniquement, seuls les tests à flux latéraux peuvent les détecter. Il faut attendre un temps de réaction généralement de 5 à 15 minutes. CYD n’est pas le bon test pour détecter les benzodiazépines. Il faudrait un autre test », explique le représentant de NeutraPharma. CYD ne détecte pas non plus le fentanyl.
Carine Wolf-Thal soulève deux autres problèmes : « Le risque, c’est que le résultat soit faussement rassurant. Et juridiquement, c’est quoi la suite ? Est-ce recevable dans le cadre d’un dépôt de plainte ? » Tout en considérant que « si le pharmacien entoure la délivrance de conseils et de précautions, alors pourquoi pas… »
Personne aujourd’hui n’est en mesure d’expliquer le principe et le contenu de ces kits
« Check your drink est un produit de prévention, recadre Michaël Maurin. Aujourd’hui, par rapport à la soumission chimique, il y a deux types approches : l’une préventive et l’autre répressive. Les gens que nous rencontrons sont plus sur l’aspect répressif et mettent de côté l’aspect préventif. Or il serait bien d’essayer de juguler le nombre de victimes. Il serait bien de lier les deux. » Même s’il reconnaît que le produit n’est pas « parfait », « on est là pour essayer de réduire les risques », poursuit Stéphane Brohard. Des réserves sont d’ailleurs notées sur l’emballage : « De faibles quantités pourraient ne pas être détectées » ou encore « Certaines substances, comme celles de couleur rouge foncé ou à base de lait, peuvent donner un faux positif. Le citron vert et le sirop à base de citron vert produiront un faux négatif (uniquement pour le GHB - gamma-hydroxybutyrate). Une boisson donnant un résultat négatif peut toujours être dangereuse car elle peut contenir des substances dangereuses autres que celles testées. » Faut-il encore que le message soit perçu par l’utilisateur. Quant à la formation, le distributeur n’en propose pas aux pharmaciens qui choisissent de référencer leur test, mais « on donne des informations de sécurité dans l’argumentaire de vente. Nous sommes également tout à fait partants pour organiser des conférences afin de donner un maximum d’informations aux pharmaciens », poursuit Stéphane Brohard.
Référencer ou ne pas référencer, telle est la question
C’est un appel à la vigilance qu’a donc lancé l’Ordre, peu convaincu. « La question est : est-ce que ces tests doivent entrer dans la liste des marchandises autorisées en officine, ou pas ? s’interroge la présidente du CNOP. Cela fera partie des questions à traiter avec la direction générale de la santé (DGS), la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF)… Et il faudra avoir plus d’informations sur la fiabilité de ces tests. »
« Aujourd’hui, ce genre de tests ne figurent pas, a priori, dans cette liste », s’avance Carine Wolf-Thal, invitant les pharmaciens à faire attention au choix de référencement de tests de boisson anti-soumission chimique, en prenant en compte toutes les réserves.
Des kits soumission chimique à l’étude
Pour autant l’Ordre, sensible à la question des violences sexistes et sexuelles, s’est emparé du sujet de la détection de la soumission chimique et travaille avec le Centre de référence sur les agressions facilitées par les substances (le CRAFS, sur lecrafs.com), l’association #M’endors pas et la Société francophone des sciences pharmaceutiques officinales (SFSPO). « La question est : qu’est-ce qu’on peut faire en tant que pharmacien d’officine ? », explique Carine Wolf-Thal.
Alors que l’ex-Premier ministre Michel Barnier avait annoncé, à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes le 25 novembre, l’expérimentation de kits de détection de soumission chimique remboursés par l'assurance-maladie, personne aujourd’hui n’est en mesure d’expliquer le principe et le contenu de ces kits. Pour l’Ordre, il ne faut pas confondre les tests de boisson anti-soumission chimique avec les tests de recherche de substances chimiques à partir d’un prélèvement sanguin ou urinaire, dans un parcours judiciaire bien borné. « Sur cet aspect-là, rien n’a été encore décidé. Cela fera partie très prochainement de réunions pour voir comment ces kits pourront être réalisés. Je ne suis pas sûre que les officinaux, sur ce volet-là, aient une place à prendre. C’est un rôle surtout pour les biologistes médicaux. Peut-être que l’officinal pourra remettre un kit mais je n’en suis même pas sûre. »
Quoi qu’il en soit, « les travaux commencent seulement », prévient Carine Wolf-Thal. L’Ordre a été auditionné le 29 janvier par la mission parlementaire temporaire ayant pour objet la soumission chimique comme forme de violence faite aux femmes, présidée par la députée Sandrine Josso et la sénatrice Véronique Guillotin.
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