En novembre 2024, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat a dévoilé un rapport sur les inégalités d’accès aux soins. Les chiffres sont préoccupants. La France a perdu 2 500 généralistes depuis 2022 et près de 7 millions de Français n’ont pas de médecin traitant. Selon les chiffres de l’édition 2024 de la démographie médicale de l’Ordre des médecins, le nombre de généralistes, en baisse depuis 2010, a légèrement augmenté de 0,8 % en 2024, avec 1 672 professionnels supplémentaires, et est revenu au niveau de 2014.
Mais les inégalités territoriales, elles, se creusent. L’Eure compte, par exemple, 79 généralistes pour 100 000 habitants, l'Eure-et-Loir, 71,2 pour 100 000. Tandis que les Hautes-Alpes, le Rhône ou encore Paris enregistrent la plus forte densité, avec respectivement 242,5, 143,2 et 169,7 médecins pour 100 000 habitants. Le même constat peut être observé du côté des spécialistes. Des politiques essayent tant bien que mal de trouver des solutions. Une proposition de loi transpartisane pour réguler l’installation des médecins a été récemment inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. En attendant, les délais pour une consultation s’allongent, poussant de plus en plus de patients à renoncer aux soins, ce qui complexifie le suivi des malades, y compris chroniques. Pour rappel, ces derniers sont 12 millions en France.
Sur le terrain, les pharmaciens d’officine servent de plus en plus de relais pour mettre à disposition toute une batterie d’outils de télémédecine, largement popularisés lors de la crise de la Covid-19. Pour rappel, la télémédecine concerne les actes médicaux réalisés à distance par un professionnel de santé (médecin, sage-femme, chirurgien-dentiste). Une pratique qui, dans une certaine mesure, peut servir au suivi des maladies chroniques et combler, au moins en partie, le manque de praticiens.
Lorsque l’on pense télémédecine, viennent immédiatement à l’esprit les cabines, bornes et plateformes de téléconsultation, développées par de nombreux opérateurs comme Medadom, Tessan, Maiia ou encore Qare.
« Nous donnons accès à un généraliste en moins de quinze minutes, ainsi qu’à des spécialistes sur rendez-vous,
Jordan Cohen, dirigeant de Tessan
D’abord, le renouvellement d’ordonnance
Ces cabines ou bornes sont équipées de dispositifs médicaux connectés, tels qu’un stéthoscope, une balance, un thermomètre ou encore un tensiomètre. Installées dans des zones de confidentialité à l’officine, elles permettent d’accéder plus rapidement à un médecin ou à un spécialiste. Un patient n’aura qu’à se rendre sur place pour bénéficier du service. Il pourra se faire épauler par le pharmacien s’il rencontre des difficultés et bénéficier de conseils à l’issue de la téléconsultation.
« Nous donnons accès à un généraliste en moins de quinze minutes, ainsi qu’à des spécialistes sur rendez-vous, promet Jordan Cohen, dirigeant de Tessan. Le fait d'avoir ces dispositifs médico-connectés nous permet d'atteindre jusqu'à 90 % des actes d'un médecin généraliste à distance, contre 40 % pour la visioconférence », poursuit-il.
À noter que ces cabines répondent davantage aux soins non programmés et aux consultations courantes (cystites, otites, angines, renouvellements d’ordonnances…). Elles sont moins pertinentes dans le cadre des pathologies chroniques. Bien que minoritaires, celles-ci représentent chez Tessan 11 % des téléconsultations. Et même si 98,8 % de ces patients ont un médecin traitant, « ils vont quand même consulter nos généralistes et nos spécialistes. Cela prouve qu'il y a un besoin », estime Jordan Cohen. Dans ce cadre, « la téléconsultation peut être utile pour des besoins très ponctuels, par exemple, le renouvellement d’une ordonnance, la surveillance d’un symptôme inhabituel ou l’accès rapide à un avis médical en cas d’aggravation ou de doute sur un traitement, lorsque le médecin traitant ou le spécialiste n’est pas disponible. »
Toutefois, l’expert le reconnaît : « Elle ne peut se substituer à un rendez-vous physique » dans le cadre du suivi d’une maladie chronique. Et ce, pour plusieurs raisons. Certaines pathologies nécessitent, en effet, un examen physique que seul un rendez-vous en présentiel permet (palpation, prise de tension, auscultation, etc.). Certains diagnostics ou suivis requièrent des analyses biologiques, des radiographies ou d’autres tests qui ne peuvent être réalisés à distance. Enfin, la relation de confiance entre le patient et son médecin peut être plus difficile à maintenir uniquement en ligne.
Bientôt des parcours de soins pour les maladies chroniques ?
Se pose aussi la question de la plus-value d’un tel service par rapport aux plateformes de téléconsultation par visioconférence. Au-delà du renouvellement d’ordonnance, « ce service peut jouer un rôle fort et fondamental. Par exemple, pour des patients avec une difficulté respiratoire très légère, on va pouvoir tout de suite écouter les bruits du cœur et fournir des mesures d’oxymétrie. L’intérêt est évident », développe Eli-Dan Mimouni, directeur général et cofondateur de Medadom. Contrairement à la visioconférence, le pharmacien, lui, pourra prendre le relais à l’issue de la téléconsultation en assurant son devoir de conseil complémentaire si le patient a des interrogations. « Maintenant, il faut bien comprendre que nous sommes spécialistes du soin non programmé et que nous sommes complémentaires des médecins traitants et des territoires, on ne les remplace pas », ajoute Eli-Dan Mimouni.
Même son de cloche chez Tessan : la téléconsultation ne se substitue pas aux consultations physiques avec le médecin traitant ou le spécialiste, qui assurent un suivi global du dossier du patient.
Si ce n’est pas son cœur de métier, l’entreprise ne ferme pas la porte à de potentiels développements futurs autour de parcours de soins spécifiques aux pathologies chroniques avec un suivi personnalisé. À l’avenir, notamment pour des patients souffrant d’insuffisance cardiaque ou de diabète, ayant besoin d’un suivi au long cours dans des déserts médicaux, la téléconsultation pourra jouer un rôle grâce à ses outils de mesure.
« Prenons l’exemple d’un patient hypertendu : certaines mesures, comme le suivi du poids, pourront être réalisées de manière régulière et rigoureuse. Dans ces parcours de soins spécifiques, la téléconsultation offrira une solution efficace pour assurer un suivi médical optimal et réactif », explique Eli-Dan Mimouni.
Le médecin traitant ou le spécialiste, lui, pourra ensuite accéder directement aux informations et données de mesure sur le DMP (Dossier médical partagé) du patient, afin d’assurer une bonne continuité des soins.
« Maintenant, il faut bien comprendre que nous sommes spécialistes du soin non programmé et que nous sommes complémentaires des médecins traitants et des territoires, on ne les remplace pas Eli-Dan Mimouni.
Eli-Dan Mimouni, directeur général et cofondateur de Medadom
La téléexpertise aux mains des pharmaciens
Les pharmaciens explorent d’autres solutions pour améliorer l’accompagnement des maladies chroniques dans le cadre d’actes de télémédecine. Christophe Besnard, directeur Réseau Pharmacie Lafayette, explique : « Nous essayons de développer tout ce qui touche aux problématiques dermatologiques et d’analyse de la peau pour apporter une réponse à la crise autour des dermatologues. » Le délai moyen pour obtenir un rendez-vous chez un dermatologue est en effet estimé à 36 jours, selon la Fondation Jean-Jaurès. Le réseau a lancé un programme pilote d’une durée de six mois dans une quinzaine d’officines. À l’issue de cette expérimentation et après avoir évalué la pertinence et la fiabilité des modèles proposés, une solution sera déployée en pharmacie. Là encore, l’enjeu n’est pas de se substituer au professionnel de santé, mais d’apporter un support aux patients afin qu’ils accèdent plus rapidement à une expertise dermatologique.
Plusieurs solutions existent aujourd’hui. Certaines exigent du pharmacien qu’il prenne en photo une lésion cutanée à l’aide d’une loupe grossissante, puis l’envoie à un dermatologue. Le délai d’analyse annoncé est d’environ une semaine, avec un premier diagnostic classant la situation en trois niveaux : bénin, intermédiaire ou nécessitant des examens plus approfondis, pouvant exiger un suivi sur le long terme dans le cadre de pathologies chroniques comme le psoriasis. « Le patient recevra une prescription pour des crèmes et autres traitements. Ensuite, il pourra revenir régulièrement pour bénéficier du même service et assurer un suivi de son psoriasis, s’inscrivant ainsi dans une sorte de routine avec des rendez-vous périodiques. Selon la gravité de la situation, les consultations pourront être plus fréquentes. Par ailleurs, si le cas l’exige, il sera possible de faciliter un rendez-vous plus rapide avec un spécialiste. » Christophe Besnard insiste, à l’instar de Medadom et Tessan : ces outils « ne remplacent pas à un rendez-vous médical physique », d’autant plus en dermatologie, où l’examen en présentiel est particulièrement important.
La téléexpertise dermatologique en plein essor
Les solutions de téléexpertise dermatologique pouvant être déployées en officine ne manquent pas. Les cabines Tessan et Medadom sont équipées d’un dermatoscope permettant de réaliser une téléconsultation en vidéo en direct avec un dermatologue. Ainsi, selon les besoins et les préférences, les patients peuvent bénéficier d’un suivi à distance, soit par photo, soit par consultation vidéo, améliorant ainsi la rapidité de leur prise en charge.
Les Laboratoires Pierre Fabre et la start-up Rofim ont, de leur côté, lancé une expérimentation dès janvier 2024 pour tester DermatoExpert, une solution de téléexpertise dermatologique en pharmacie. Grâce à une plateforme sécurisée, les pharmaciens peuvent transmettre à un dermatologue un dossier contenant des photos et recevoir un avis médical en quelques jours. Cette solution vise à faciliter l’accès à un premier diagnostic en dermatologie et à améliorer la prise en charge des pathologies chroniques.
Plus récemment, Pictaderm a également présenté une solution de téléexpertise destinée aux officines, afin de faciliter l’accès aux soins dermatologiques, en faisant du pharmacien un premier point de contact. Le patient expose son problème au pharmacien qui, après un entretien, soumet un questionnaire et des photos à l’un des trente médecins généralistes ou dermatologues partenaires. Le professionnel de santé répond en moyenne sous douze heures avec un diagnostic et une ordonnance si nécessaire.
L. B.
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